Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel, rapporteure pour avis :

Il me revient donc l'honneur de présenter mon avis sur le budget « Énergie » du projet de loi de finances pour 2020.

Il s'inscrit dans un contexte particulier que chacun connaît : mobilisation inédite des citoyens, notamment des jeunes, en faveur du climat ; publication de nouveaux rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sonnant comme des cris d'alarmes et réunions de haut niveau à l'ONU centrées sur le développement durable et l'action contre le changement climatique.

Pourtant, malgré ce contexte qui aurait pu être porteur, le budget « Énergie » du projet de loi de finances pour 2020 est malheureusement très décevant – Monsieur le président, je n'en fais pas tout à fait la même lecture que vous.

J'ai centré mon analyse sur les programmes 174 « Énergie, climat et après-mines », 345 « Service public de l'énergie », 764 « Soutien à la transition énergétique », 765 « Engagements financiers liés à la transition énergétique », 793 « Électrification rurale » et 794 « Opérations de maîtrise de la demande d'électricité, de production d'électricité par des énergies renouvelables ou de production de proximité dans les zones non interconnectées », qui concentrent les crédits consacrés à la politique énergétique.

Ma première interrogation porte sur les moyens du ministère de la transition écologique et solidaire, qui connaît l'une des coupes les plus importantes décidées par le Gouvernement en termes d'effectifs, soit près de 800 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en moins. D'autres ETPT sont également transférés vers d'autres programmes au sein du budget de l'État. Cette évolution n'est évidemment pas cohérente avec la priorité qui doit être la nôtre d'accélérer la transition énergétique.

Les crédits du programme 174 « Énergie, climat et après-mine » sont, à périmètre constant, en baisse pour 2020. Je regrette un certain nombre d'évolutions, notamment la transformation du CITE en une prime qui n'est pas suffisamment ambitieuse. Je me suis déjà exprimée en commission des finances à ce sujet : je pense que l'exclusion totale des ménages les plus aisés du nouveau dispositif d'aide est contraire aux objectifs de massification de la rénovation.

Je suis convaincue qu'il est possible de concilier les deux objectifs que sont l'amélioration du pouvoir d'achat et la lutte contre le changement climatique, l'un aidant les foyers les plus modestes, l'autre apportant des aides à ceux qui peuvent engager des travaux importants s'avérant bénéfiques à ce même changement.

Même si en séance un amendement du Gouvernement prévoyant une aide pour l'isolation des murs, avec un montant forfaitaire par mètre carré, a été adopté, je considère que le dispositif reste en deçà des enjeux s'agissant notamment des passoires thermiques.

Les crédits prévus pour la nouvelle prime CITE – 450 millions d'euros en 2020 – ne sont à mon sens pas suffisamment élevés. Il faut que la prime permette de réduire davantage le reste à charge des ménages modestes et très modestes.

Les crédits relatifs au dispositif de prime à la conversion sont en outre en baisse de 32 % par rapport à 2019, alors même que la décarbonation des transports doit être une priorité.

Les crédits relatifs au chèque énergie sont en baisse de 3 %. Sans doute cela s'explique-t-il, comme l'indique le Gouvernement, par une meilleure estimation du taux d'utilisation par les bénéficiaires. Force est néanmoins de constater que l'accompagnement des bénéficiaires du chèque n'est pas au rendez-vous : encore 20 % d'entre eux ne l'ont pas utilisé, ce qui n'est pas satisfaisant.

À périmètre constant, les crédits du programme 345 « Service public de l'énergie » sont globalement stables par rapport à l'an dernier. Ils comprennent notamment les charges liées à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées, ainsi que celles liées au soutien à la cogénération.

Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » est, lui, en baisse de 1 milliard d'euros. Cette baisse s'explique par la fin du remboursement du principal de la dette de l'État accumulée au titre de l'ancienne contribution au service public de l'électricité (CSPE). Un échéancier fixé en 2016 l'avait prévu : si cette baisse n'a rien de surprenant, je regrette néanmoins que l'on n'ait pas profité de ces recettes jusqu'alors affectées à ce compte et économisées cette année – et qui représentent, je le rappelle, 1 milliard d'euros – pour les redéployer vers le financement de la transition énergétique, ce qui aurait clairement montré la volonté du Gouvernement en la matière.

Le CAS prévoit un soutien stable par rapport à l'an dernier à la production d'électricité renouvelable ainsi qu'une montée en puissance du dispositif de soutien à l'effacement. Cependant, si le cadre réglementaire n'évolue pas, cette montée en puissance risque de ne pas avoir lieu, étant donné les résultats très décevants des premiers appels d'offres.

Les crédits du CAS « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » sont également stables par rapport à l'an dernier. Je rappelle que ces crédits sont chroniquement sous-consommés, car les actions qu'ils peuvent financer ne sont adaptées ni aux nouveaux défis de la transition énergétique, ni aux caractéristiques des territoires ultramarins dont nous avons beaucoup parlé tout à l'heure.

Il est urgent que la réforme du Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (FACÉ), que nous avons votée dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, puisse entrer en vigueur. Les territoires d'outre-mer doivent être évidemment pleinement associés à cette réforme.

Au-delà des crédits qui sont stables ou en baisse par rapport à l'an dernier, je tiens à souligner qu'un grand nombre de dépenses dans ce budget 2020 sont défavorables à la transition énergétique.

Un récent rapport de l'inspection générale des finances a fait le décompte et recensé près de 25 milliards d'euros de dépenses défavorables à l'environnement. Nous sommes donc loin d'un budget vert !

Parmi ces 25 milliards d'euros, plus de 15 milliards correspondent à des dépenses fiscales comme des exonérations ou des taux réduits sur les taxes intérieures de consommation des produits énergétiques relative aux carburants. Il est désormais essentiel que le Gouvernement présente un calendrier progressif de suppression de ces dépenses défavorables à l'environnement. J'aimerais également que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, nous puissions disposer d'une évaluation conjointe des conséquences environnementales et sociales des dépenses, afin d'engager une transition écologique juste et solidaire.

Je pense, enfin, que nous devrions conduire une vraie réflexion sur la fiscalité écologique. C'est en effet la clé de la réussite de la transition énergétique : nous devons emmener tout le monde pour réussir.

Je souhaiterais que nous puissions voter ici même, au sein du Parlement, chaque année, une loi sur la fiscalité écologique qui soit équitable et protectrice des plus modestes. Aujourd'hui, la fiscalité écologique est en effet régressive et pèse surtout sur les ménages les moins aisés.

Je sais que malheureusement, une telle loi n'est pas pour tout de suite. À court terme, il serait donc peut être opportun d'affecter davantage les recettes de la mise aux enchères des quotas carbone à la rénovation énergétique. En effet, ces recettes explosent : 840 millions d'euros en sont attendus pour 2020. Les moyens budgétaires existent donc pour mettre en place des mesures ambitieuses.

Pour toutes ces raisons, je ne peux donner qu'un avis défavorable au budget « Énergie ».

J'ai par ailleurs choisi de centrer la partie thématique de mon avis sur les passoires thermiques ainsi que sur les moyens à mettre en place pour enclencher une vraie dynamique de rénovation énergétique. Malgré le très grand nombre de dispositifs, la dynamique des travaux reste faible, en effet.

Alors que la loi de 2015 relatives à la transition énergétique fixe comme objectif la rénovation de 500 000 logements par an, seuls 350 000 ont été rénovés en 2018. Certes, l'enjeu de la rénovation énergétique est pris en compte dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat grâce, d'ailleurs, au travail de nombreux parlementaires, dont certains sont présents ici. Néanmoins, les mesures adoptées dans ce texte sont encore trop timides et à échéances trop lointaines. Le nombre de passoires thermiques est estimé à environ 7 millions de logements, dont 3,8 millions sont occupés par des ménages modestes : il est donc urgent d'agir davantage, plus vite et plus efficacement !

La complexité et l'instabilité des aides, l'absence d'accompagnement à maîtrise d'ouvrage ou la mobilisation insuffisante de certains acteurs, notamment les financeurs, expliquent en grande partie la difficulté à enclencher, aujourd'hui, une vraie dynamique de la rénovation.

Pour mettre en place une telle dynamique, il est nécessaire à la fois de se fixer des objectifs ambitieux et partagés par tous, de prévoir un financement à la hauteur des enjeux, et d'accompagner suffisamment les ménages et les collectivités.

La France se caractérise par ailleurs aujourd'hui par un foisonnement d'objectif en matière énergétique : il faut donc à mon avis les hiérarchiser et faire en sorte qu'ils soient partagés par l'ensemble de l'écosystème, à savoir les professionnels qui accompagnent les ménages et les acteurs qui financent leurs projets.

Afin de mobiliser l'ensemble des acteurs, l'État doit évidemment montrer l'exemple sur son propre parc de bâtiments. Il faudrait mettre en place un programme budgétaire permettant de financer spécifiquement des actions de réduction de la consommation énergétique des bâtiments de l'État.

S'agissant du financement, le frein financier représente une limite importante. Il faut réduire autant que possible le reste à charge des ménages, notamment les plus modestes.

Vous me demandiez, Monsieur le président, le bilan que je dresse de l'éco-PTZ, levier effectivement essentiel de la rénovation. Malheureusement, aujourd'hui, le nombre d'éco-PTZ distribués est relativement faible. Cela s'explique en grande partie par des raisons conjoncturelles, et notamment par la faiblesse des taux d'intérêt, mais également par les fortes réticences du secteur bancaire à distribuer ce prêt.

Il faut reconnaître que s'il a été considérablement amélioré cette année, il est possible d'aller encore plus loin. Aujourd'hui, chaque ménage ne dispose que de trois ans après l'émission de l'éco-PTZ pour réaliser ses travaux. Il faudrait prévoir des dérogations à ce délai, sous certaines conditions, afin de rassurer les particuliers et de les encourager à engager des travaux grâce à cet éco-PTZ.

Il faudrait également créer des dispositifs plus innovants et plus incitatifs : je pense au dispositif d'avance remboursable que notre collègue Jean-Louis Bricout avait proposé dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'énergie et au climat.

Dans ce dispositif, l'État aiderait le système bancaire à attribuer aux propriétaires éligibles une avance de fonds pouvant couvrir tout ou partie des travaux de performance énergétique. L'avance serait remboursée à la mutation du bien, grâce, en partie, aux économies réalisées. Sous réserve de certaines modifications et précisions, ce dispositif a remporté l'adhésion de nombreux acteurs que j'ai auditionnés.

S'agissant de l'accompagnement, au-delà de la question du financement, il est nécessaire de se pencher sur celui des ménages et des collectivités. Cela passe, tout d'abord, par la création d'un vrai service public de la rénovation. Or, le financement récemment prévu pour ce service public ne me semble pas du tout satisfaisant.

Il a en effet été décidé qu'il reposerait à 50 %, sur des financements des collectivités et à 50 % sur des financements privés, à travers un programme de certificats d'économie d'énergie (CEE). C'est extrêmement étonnant pour un service dit public !

Le montant de soutien annoncé via les certificats d'économie d'énergie, de 200 millions d'euros sur cinq ans, est bien en deçà des attentes. Rien n'est prévu pour aider les collectivités territoriales à mettre en place ce service. Il est pourtant essentiel que ces dernières soient accompagnées, afin de ne pas créer de trop fortes disparités territoriales.

J'ai insisté dans mon rapport sur l'accompagnement des copropriétés. Vous me demandez, Monsieur le président, comment encourager la rénovation dans les co-propriétés. Cela passe par une meilleure identification des co-propriétés à aider. Les carnets numériques des co-propriétés, par exemple, pourraient être rendus accessibles aux collectivités. Cela passe aussi par une prise de décision plus simple en assemblée générale. L'ensemble des acteurs que j'ai auditionnés étaient favorables au rétablissement du vote à la majorité simple des travaux d'efficacité énergétique. Il faudrait également faciliter la distribution du prêt collectif. Mon rapport contient quelques propositions à ce sujet, sur lesquelles nous pourrons revenir.

L'accompagnement des collectivités est tout aussi essentiel. Il me semble capital de communiquer davantage sur les dispositifs de la Caisse des dépôts à destination des collectivités, notamment sur le prêt GPI-Ambre (Grand plan d'investissement – Ambition rénovation énergétique). Une réduction du taux du prêt serait plus que bienvenue. Il pourrait par exemple passer d'un taux égal à celui du livret A plus 0,75 % à un taux égal à celui du livret A plus 0,5 %.

Pour finir, ce rapport ne prétend pas avoir trouvé « La » solution pour massifier dès demain la rénovation énergétique, mais il dresse un certain nombre de pistes d'action que, j'espère, vous trouverez également intéressantes et que vous partagerez lors de l'examen des amendements.

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