Intervention de Éric Straumann

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Straumann, rapporteur pour avis :

Le tourisme est un secteur stratégique de l'économie française, qui représente 7,2 % du PIB, 2 millions d'emplois directs et indirects, 313 000 entreprises, dont une majorité de très petites entreprises et de petites et moyennes entreprises. Avec plus de 90 millions de visiteurs internationaux accueillis en 2018, outre-mer inclus, la France a battu un nouveau record de fréquentation et demeure la première destination touristique mondiale.

L'objectif que s'est fixé la France d'accueillir 100 millions de touristes d'ici 2020 et de lever 60 milliards d'euros de recettes paraît atteignable, à condition de déployer une politique volontariste. Pourtant, nos outils de pilotage statistique et budgétaire semblent très en deçà de nos ambitions : aucun programme au sein du PLF n'est consacré au tourisme, les statistiques disponibles sont insuffisantes et la direction générale des entreprises (DGE) a admis, en audition, des difficultés à trouver des séries longues dans le domaine statistique ainsi qu'un morcellement des sources sans raccord méthodologique.

Enfin et surtout, l'investissement public dans le secteur est insuffisant : j'y reviendrai dans la première partie de cette intervention et je vous proposerai tout à l'heure un amendement. Nous nous intéresserons ensuite à la question des opportunités et des risques liés au développement du e-tourisme, sujet qui requiert une attention constante du législateur tant la « galaxie » des plateformes numériques est mouvante. Enfin, nous évoquerons la question de la modernisation de la taxe de séjour.

Le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie » comportait, jusqu'en 2019, un objectif de promotion de l'offre touristique de qualité et du tourisme social : il a été supprimé l'an dernier, tout comme l'action n° 21 « Développement du tourisme ». Les crédits destinés au tourisme figurent donc, comme l'année dernière, au sein de l'action n° 23 « Industrie et services » : ils s'élèvent à 440 000 euros en autorisations d'engagement et 240 000 euros en crédits de paiement, soit une forte baisse par rapport aux crédits prévus en 2019, qui étaient de 4,29 millions d'euros en autorisations d'engagement et 1,42 million d'euros en crédits de paiement. Des crédits d'intervention sont également prévus, s'élevant à 390 000 euros en autorisations d'engagement et 210 000 euros en crédits de paiement.

Quatre dépenses fiscales importantes sont, par ailleurs, associées au programme pour 2020. L'application du taux de TVA de 10 % à la restauration représente un coût de 3,06 milliards d'euros. Le taux de TVA de 10 % applicable à la fourniture de logements dans les hôtels a bénéficié à 35 000 entreprises en 2018 ; son coût est évalué à 780 millions d'euros. Le taux de TVA de 10 % applicable à la fourniture de logements dans les terrains de camping classés, qui a bénéficié à 8 000 entreprises au total en 2018, est évalué à 219 millions d'euros. Enfin, l'exonération de la contribution patronale et de la participation financière du comité d'entreprise et des organismes à caractère social au financement des chèques vacances, qui a bénéficié à plus de 4,5 millions de ménages en 2018, représente un montant évalué à 70 millions d'euros.

Les crédits consacrés au tourisme dans la mission « Action extérieure de l'État » sont regroupés au sein du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », qui comprend la subvention pour charges de service public versée à l'opérateur Atout France. Atout France, unique opérateur de l'État dans le secteur du tourisme, contribue au renouvellement de l'offre touristique et veille à sa qualité, tout en favorisant le développement et la promotion des « marques de destinations » destinées à accroître la notoriété de nos régions à l'étranger. Son rôle est donc crucial.

La subvention pour charges de service public subit une baisse de près de 2 millions d'euros, soit près de 5 %, passant de 32,7 millions d'euros en 2018 et 2019 à 30,9 millions pour 2020. Et encore, la présentation de cette variation de crédits est trompeuse car elle tient compte d'une provision de 2,6 millions d'euros qui ne sera versée à l'opérateur que pour couvrir d'éventuels frais liés aux départs des personnels. En revanche, l'économie immobilière prévisionnelle de 1,4 million d'euros, le transfert vers la direction générale des entreprises de 1,5 million d'euros et les économies supplémentaires attendues de l'opérateur à hauteur de 1,5 million d'euros ne sont pas identifiables au premier regard.

Au total, c'est donc une baisse de 4,4 millions d'euros qui est imposée à l'opérateur, supérieure de 400 000 euros aux annonces du Gouvernement formulées au printemps dernier. Par ailleurs, le plafond d'emplois de l'opérateur est abaissé de dix équivalents temps plein travaillé (ETPT) par rapport à l'exercice précédent. Cette réduction me paraît peu cohérente avec nos ambitions et c'est pour cette raison que j'émettrai probablement un avis défavorable sur les crédits alloués au tourisme dans ce projet de loi de finances.

J'ai voulu, dans un deuxième temps, m'intéresser aux effets du numérique sur le secteur touristique. L'univers de l'e-tourisme, en perpétuelle évolution, requiert une attention constante de la part du législateur sous peine de maintenir un encadrement en décalage avec la situation.

L'e-tourisme est porteur d'opportunités et de risques. Les effets des plateformes de réservation, comme Booking, ou d'intermédiation, comme Airbnb, sont difficiles à caractériser, même si deux phénomènes semblent réels : d'une part, un élargissement du marché, avec une plus grande visibilité offerte à certains hôtels et à certaines zones, avec l'avènement d'une offre complémentaire de l'offre traditionnelle, visant une clientèle plus jeune et plus familiale ; d'autre part, dans les villes où le marché du logement est tendu, le développement de ces plateformes accentue la hausse des prix des loyers.

L'e-tourisme est donc susceptible d'avoir sur le phénomène de sur-tourisme des effets ambivalents : les plateformes contribueraient à une répartition plus équilibrée des flux touristiques sur les territoires mais les villes les plus exposées voient augmenter les prix de l'immobilier, ce qui contribue au ras-le-bol des populations locales. Aussi, Londres, Amsterdam, Berlin, Barcelone, San Francisco et New-York ont mis en place des réglementations, plus ou moins drastiques, pour encadrer le développement d'Airbnb.

En France, nous avons privilégié une approche plus équilibrée en encadrant les plateformes au moyen de nombreux dispositifs pour éviter les distorsions de concurrence et les pratiques déloyales : obligation de déclaration en mairie pour les locations saisonnières, obligation d'information incombant aux plateformes, limite de 120 jours de location par an d'une résidence principale, obligation d'enregistrement issue de la loi pour une République numérique, obligation pour les plateformes de collecter la taxe de séjour auprès des loueurs non professionnels, interdiction des clauses de parité tarifaire et, enfin, la toute récente taxe GAFA.

Il reste néanmoins quelques angles morts, comme le contrôle des avis sur internet. Ces avis déterminent aujourd'hui la vie ou la mort de certains établissements. En audition, certains professionnels ont soutenu que 40 % des avis étaient infondés : difficile de vérifier ce chiffre, mais il est significatif. Certains clients procèdent à un véritable chantage au commentaire pour obtenir des avantages indus de la part des restaurateurs et des hôteliers. Nous avions essayé, dans la loi pour une République numérique, de limiter ces dérives mais le dispositif est insuffisant. Je suggère donc de rendre obligatoire l'application de la norme mise en place par l'Association française de normalisation (AFNOR) en 2013 : d'application volontaire, elle vise à fiabiliser les avis de consommateurs en ligne en exigeant d'eux, par exemple, des preuves de consommation. Par ailleurs, la limite des 120 jours est largement contournée : il suffit pour cela de s'inscrire sur plusieurs plateformes, puisqu'il n'existe pas de moyen de contrôle centralisé.

Mais au-delà de ces angles morts, c'est l'évolution rapide des plateformes, de leur positionnement, des acteurs et de leur offre qui rend difficile l'exercice d'encadrement auquel nous nous livrons. Le marché de l'e-tourisme semble se résumer à quelques noms : Booking, Airbnb, Expedia. Ce sont effectivement les leaders du marché. Mais, en réalité, ils sont concurrencés par une myriade de sites qui se livrent aux mêmes activités et passent sous le contrôle de nos radars, tels Leboncoin ou Facebook. Une attention constante des pouvoirs publics est donc requise pour éviter les contournements de notre législation.

Depuis le 1er janvier 2019, les plateformes de location transactionnelles de meublés de tourisme entre particuliers ont l'obligation de collecter la taxe de séjour. Les modalités de calcul de celle-ci sont un casse-tête pour les communes et pour les professionnels chargés de sa collecte ainsi que pour les particuliers, les offices de tourisme et les plateformes. Je ne prétends évidemment pas proposer une solution simple à ce problème complexe mais la suppression de la taxe de séjour forfaitaire constitue un préalable indispensable à toute réforme.

Le tourisme est un secteur stratégique, qui se remet depuis deux ans d'un choc conjoncturel et pour lequel nous devons avoir une ambition réelle. La France est la première destination touristique mondiale : nous devons tout faire pour conserver cette place, alors que les attentes des consommateurs sont en pleine évolution.

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