Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du mercredi 30 octobre 2019 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Défense ; anciens combattants mémoire et liens avec la nation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Selon le point de vue adopté, il est possible de se livrer à deux lectures bien différentes du budget pour 2020 de la mission « Défense ».

Si l'on s'en tient à une approche technique et instantanée, ce que nous proposent le Gouvernement et sa majorité, le budget apparaît renforcé et consolidé, c'est incontestable. Mais si l'on prend du recul, dans l'espace et dans le temps, l'on peut mettre en lumière de très sérieuses faiblesses. Tel est l'apparent paradoxe que je vous propose d'examiner.

La perspective optimiste peut s'appuyer sur des arguments tangibles, le principal étant le respect de la loi de programmation militaire – LPM. Marche après marche, la prévision de progression budgétaire de 1,7 milliard d'euros se réalise, ce qui n'est pas rien. De même, l'inscription dans le budget des opérations extérieures – OPEX – a lieu au rythme prévu. En outre, de multiples initiatives témoignent d'un réel dynamisme. On retiendra, entre autres, la création du Commandement de l'espace, le volontarisme affiché pour la réforme du dispositif de maintien en condition opérationnelle, ou, de manière plus anecdotique, l'activisme sympathique déployé sur le thème de l'innovation.

L'ensemble, comparé à d'autres ministères moins privilégiés, donne l'image d'une institution militaire qui trace sa voie malgré les difficultés du moment. Le chemin semble nettement balisé, l'avenir assuré. Il faut donc saluer ce redressement significatif, et je comprends parfaitement la satisfaction de tous ceux qui y contribuent.

Je crois néanmoins qu'il serait trompeur et réducteur d'en rester là. En effet, dès lors que l'on élargit la perspective, un tableau préoccupant s'offre à nous. Il est temps de comprendre que nous nous berçons d'illusions lorsque nous entretenons l'idée que notre leadership européen en matière de défense est acquis. Certes, la qualité et j'oserais dire la productivité de notre défense sont admirables, mais cette première place, que nous nous targuons toujours d'occuper, est-elle tenable dans la durée, quand le différentiel par rapport au budget britannique est de plus de 10 milliards d'euros ? Au point où nous en sommes, nous pouvons même nous demander si nous serons capables de conserver la seconde place, puisque désormais, le budget allemand est sensiblement supérieur au nôtre, mais, comme chacun le sait, sans force nucléaire.

Cela mérite que l'on s'y arrête. Pouvons-nous continuer à faire comme si cette relégation n'existait pas, nous contenter d'en parler comme d'un risque, alors qu'elle est déjà une réalité ? Comment ne pas voir que cela change tout, notamment pour cette Europe de la défense que nous imaginions autrefois, dans un tout autre environnement ? Quelle est notre stratégie face à ce basculement majeur ? Mystère.

On saisit le paradoxe de la situation : le redressement engagé est bien réel, mais il ne permet pas de stopper le déclassement en cours. Dans ce contexte, en dépit des efforts consentis, l'avenir n'apparaît pas radieux, mais extrêmement difficile, et la marche budgétaire de 3 milliards d'euros supplémentaires à partir de 2023 n'est pas un luxe. C'est le strict nécessaire pour ne pas aggraver la situation. Or rien ne nous garantit que nous serons capables de la franchir.

Madame la ministre, je reconnais bien volontiers les points forts de votre budget et je ne vous reprocherai pas d'être responsable du déclassement que je viens d'évoquer. Il serait injuste de l'attribuer à ce gouvernement, alors que le processus est plus ancien. En revanche, je regrette que vous n'osiez pas ouvrir le nécessaire débat qu'appelle la situation, afin de redéfinir une stratégie crédible.

Certes, je n'ignore pas les travaux de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, qui ont été conduits avec le plus grand sérieux. Vous savez bien pourtant qu'en dépit de l'appellation, il s'agissait essentiellement d'un cadrage budgétaire, qui en outre n'incluait pas le pilier central du nucléaire. Le véritable débat stratégique sur les ambitions de la France et les moyens de les réaliser, indispensable et attendu par les états-majors, n'a jamais eu lieu. Le devoir du Président de la République serait de l'ouvrir et de ne pas contourner la représentation nationale.

Pour conclure, je dirai qu'il est bon d'avancer, mais qu'il serait sage de se demander enfin où nous en sommes et où nous allons. Il y a urgence, car il est certain qu'en 2023, quand nous serons au pied du mur financier, il sera déjà trop tard pour se poser utilement ces questions. Réagissons alors qu'il en est encore temps.

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