Intervention de Anne Genetet

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 9h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne Genetet, rapporteure pour avis (Action diplomatique et consulaire) :

Il est vraiment très impliqué dans la défense des intérêts de son ministère ; il n'y a aucun doute à ce sujet.

Les crédits du programme 105, qui regroupent les moyens de l'action diplomatique de la France proprement dite, augmentent très légèrement et traduisent deux priorités.

La première est la hausse des contributions européennes et internationales de la France : elles représentent les deux tiers des crédits du programme 105, hors masse salariale. Ces moyens supplémentaires viendront abonder plusieurs projets de sécurité collective et accroître la présence française dans les organisations internationales.

La deuxième priorité a trait aux travaux de maintenance immobilière, dont les crédits sont en augmentation de 7,5 millions d'euros. Cela permettra de mettre fin – je le souhaite en tout cas ; cela suffira-t-il ? l'avenir nous le dira – à l'approche court-termiste, que j'ai vivement combattue, consistant à multiplier les cessions immobilières pour entretenir le patrimoine restant, lequel se réduit comme peau de chagrin. Je voudrais insister sur le fait qu'une partie de notre patrimoine immobilier est le fruit de cadeaux qui nous ont été faits par des pays étrangers ; et un cadeau, ça ne se vend pas. L'exercice a donc ses limites. Pour avoir beaucoup visité de sites, je puis témoigner que l'état de certaines emprises devient véritablement indigne. Les montants consacrés à la rénovation, mêmes renforcés, restent à mon avis insuffisants : il faudra certainement en faire davantage pour prévenir la dégradation de long terme de nos emprises à l'étranger, dont je viens de parler.

Les crédits du programme 151, qui regroupe les moyens consacrés aux affaires consulaires, baissent très légèrement, mais ce phénomène est dû à la réduction de la dotation dédiée à l'organisation des élections : dans le PLF de l'année dernière, nous devions financer l'organisation des élections européennes, avec une dotation de 3 millions d'euros environ. Certes, il y aura encore une élection l'année prochaine, mais d'une ampleur moindre : il s'agira d'un scrutin local, quoiqu'à l'échelle du monde entier, puisque les 1,2 million d'électeurs inscrits choisiront les conseillers consulaires, c'est-à-dire les grands électeurs pour les élections sénatoriales qui auront lieu à la fin du mois de septembre 2020.

En revanche, comme le rappelait notre présidente, les moyens destinés à la modernisation de notre administration consulaire sont plus que doublés ; c'est très heureux. Ils viennent financer quatre grands projets que le ministère mène de front. Le premier concerne le vote par internet, qui représente un enjeu crucial : dans ma circonscription, qui compte des pays comme l'Inde, la Chine et l'Australie, pour aller voter, il faut parfois parcourir plus de 3 000 kilomètres, et autant au retour. Le vote par internet sera réellement un plus, même si je peux comprendre que, sur le plan philosophique, certains d'entre vous soient réticents à l'égard d'un vote sans isoloir, sans oublier les pressions qui peuvent s'exercer sur quelqu'un qui vote avec son smartphone ou son ordinateur. J'entends ces craintes, mais l'enjeu est ici différent : les contraintes géographiques ne sont pas du tout les mêmes que celles de la métropole.

Le deuxième projet de modernisation est celui de France-Visas, dont l'objectif est de permettre la dématérialisation des demandes de visa, notamment pour la fourniture des documents nécessaires. De fait, quand on demande un visa pour venir en France, même pour faire du tourisme, il faut fournir une liasse de documents plutôt épaisse. Les démarches sont aussi contraignantes que celles que la Chine impose : il faut le savoir. Le projet France-Visas est donc important ; il sera très utile non seulement au personnel, mais aussi aux demandeurs. La procédure d'obtention du visa est en quelque sorte la première vitrine d'un pays : si l'on voit que c'est simple, cela renvoie une bonne image de la France.

Le troisième grand projet de modernisation concerne le registre de l'état civil électronique. Il s'agit des actes d'état civil qui sont établis à l'étranger pour les ressortissants français et tenus par le personnel du ministère à Nantes.

Le quatrième grand projet de modernisation, enfin, concerne la plateforme consulaire de réponse téléphonique et courriel mondiale, que j'avais proposé de créer l'an dernier dans mon rapport au Premier ministre. Il s'agit simplement de faire en sorte que, lorsqu'on veut contacter un consulat, l'appel ou le message soit traité non pas sur place, ce qui nécessite des moyens humains et matériels importants, mais par une plateforme en France. En effet, 80 % des appels téléphoniques sont liés à des demandes qui sont les mêmes partout dans le monde : la dimension de la photo pour un passeport, les horaires d'ouverture du consulat – autant d'informations que l'on trouve d'ailleurs sur le site internet, mais qui peuvent tout à fait être mutualisées dans une plateforme unique située en France.

Globalement, le projet de budget comporte deux principaux motifs de satisfaction sur lesquels je voudrais insister.

Premièrement, il présente de nouveaux indicateurs et sous-indicateurs destinés à mesurer la performance de notre action diplomatique et consulaire – j'ai eu souvent l'occasion de souligner, les années passées, le fait que les indicateurs posaient question. Ceux qui sont proposés cette année permettront de mieux mesurer la qualité du service rendu aux étrangers et à nos ressortissants. J'ai souvent regretté l'insuffisance de la démarche de performance au sein du ministère, qui ne permet pas d'apprécier le travail des agents du ministère – plus de 13 000, dont 8 000 à l'étranger –, auxquels je souhaite rendre hommage. Nombre d'entre eux consacrent à certaines tâches un temps considérable, mais difficile à mesurer et plus encore à anticiper. Faute de pouvoir s'appuyer sur des critères objectifs, notamment quand il s'agit de la suppression de certains postes, certaines décisions visant à rationaliser l'organisation nourrissent un sentiment d'arbitraire. Le budget pour 2020 représente de ce point de vue une véritable amélioration, qui doit se poursuivre : beaucoup d'indicateurs restent à améliorer, notamment pour prendre en compte le temps de travail du personnel. C'est difficile, mais il faut vraiment trouver une solution.

Par ailleurs, je salue l'effort de transparence et de sincérité de ce budget, qui fait apparaître les phénomènes exogènes à la gestion du ministère, à savoir les effets de l'inflation et de la variation du taux de change. Compte tenu de l'éclatement géographique du réseau diplomatique dans le monde – nous avons quelque 200 ambassades et 500 représentations consulaires –, le Quai d'Orsay est surexposé aux effets de l'inflation mondiale et de la dévaluation de l'euro par rapport aux autres administrations, y compris celles qui ont des opérateurs à l'extérieur, ne serait-ce que le ministère des finances. Il importe de souligner qu'au cours des dernières années, ces phénomènes sont venus gonfler la masse salariale du ministère et ont pu donner l'impression que celui-ci ne fournissait pas les efforts attendus. Or, on ne peut pas appliquer à l'étranger de manière rigide la grille salariale de la fonction publique : il faut tenir compte du niveau de vie local, de l'inflation et du taux de change, faute de quoi nos agents peuvent se retrouver dans des situations très difficiles, comme ce fut le cas il y a quelques années au Chili.

Voilà qui m'amène à un grand regret concernant l'évolution actuelle du Quai d'Orsay. Certes, les moyens de la mission Action extérieure de l'État sont stabilisés – c'est une bonne chose –, mais le ministère continue à déployer des efforts substantiels pour faire des économies. Vu le budget contraint dont il dispose, on se demande vraiment où résident les économies possibles. Notre présidente le rappelait : le Quai d'Orsay doit opérer une réduction de 5,7 % de sa masse salariale d'ici à 2022, ce qui n'est pas sans m'inquiéter. Même si c'est moins que les 10 % que l'on avait exigé de lui au départ, je vois mal comment il pourrait tenir cet objectif de 5,7 %.

Je n'évoquerai pas en détail la réforme des réseaux de l'État à l'étranger, que mon collègue Didier Quentin et moi-même vous présenterons le 13 novembre prochain, en conclusion d'une mission flash que nous avons menée sur les processus de gestion des postes diplomatiques. Néanmoins, je dresse le constat suivant : après des décennies de contraction des moyens, le Quai d'Orsay est arrivé au bout des efforts qu'il pouvait fournir pour dégager des économies. Dans la mesure où les missions flash ne donnent pas lieu à la publication d'un rapport, j'ai tenu à évoquer nos travaux dans cet avis, afin qu'ils soient consignés par écrit et publiés. Je vous invite donc à vous y référer. Les secrétaires généraux d'ambassade, sur lesquels nous avons porté notre attention, sont soumis à des contraintes terribles, en tout cas particulièrement fortes.

Le ministère se retrouve face à un dilemme : soit il veut accompagner les économies que l'on demande à l'État dans son ensemble, ce qui implique selon moi de réduire le périmètre des missions des personnels ; soit il maintient ce périmètre, mais alors il faut mettre fin aux efforts financiers que l'on exige de lui. On ne peut pas faire les deux à la fois. En l'absence de décision, ce sont les personnels qui souffriront et, à plus long terme, la politique étrangère de la France.

Je me suis souvent demandé pourquoi le Quai d'Orsay a toujours été le perdant des arbitrages budgétaires. Je pense, en définitive, que cette situation est due à son attitude constante de bon élève qui grogne un peu mais finit toujours par obtempérer : et comme il cède aux injonctions budgétaires, on continue à faire pression sur lui. Cela est dû aussi à l'image qu'il traîne derrière lui : malgré les succès indéniables de notre diplomatie, nos concitoyens n'ont souvent qu'une idée très vague du quotidien d'un diplomate. Même sur les bancs de l'hémicycle, d'ailleurs, bon nombre de nos collègues seraient incapables d'expliquer à quoi sert un ambassadeur, ce qu'il fait au quotidien. Cette méconnaissance explique une grande partie des fantasmes et des fausses informations qui entourent notamment le train de vie des diplomates : certaines publicités sont à cet égard extrêmement dommageables à leur image.

La diplomatie politique classique est essentielle à notre présence dans le monde, mais elle est entourée, sur le terrain, d'un ensemble d'opérateurs et d'acteurs sur lesquels, à titre personnel, je souhaite que l'on s'appuie de plus en plus, notamment, pour ce qui nous concerne, la communauté des Français qui vivent hors de nos frontières.

Le Quai d'Orsay est donc mis au défi de s'ouvrir et de se faire davantage connaître. Rappelons donc que Nantes est, grâce au service central d'état civil du ministère, la plus grande mairie de France, celle qui enregistre le plus grand nombre d'actes d'état civil. Donnons à voir la diplomatie en action, par exemple au travers d'une série télévisée qui serait au Quai d'Orsay ce que Le Bureau des Légendes a été aux services de renseignement. Ce serait formidable.

Je ne suis pas diplomate, tant s'en faut, mais avec tout ce que j'ai vu dans nos différents postes, je n'aurais aucun mal à faire une saison complète d'une telle série. Et en nous appuyant sur nos diplomates, il y aurait de la matière pour une dizaine de saisons !

Quelques mots pour finir sur trois sujets que j'ai décidé d'approfondir dans le cadre de cet avis budgétaire.

D'abord, j'évoquerai les bourses scolaires à l'étranger, qui bénéficient à 25 000 jeunes ressortissants français du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Cette aide à la scolarité forme un ensemble très robuste et indispensable, mais des pistes pourraient sans doute être explorées pour renforcer l'équité du système et adapter la procédure d'attribution aux délais très courts auxquels sont confrontées certaines familles. En effet, les commissions d'attribution commencent à se réunir avant l'été pour statuer pour l'année scolaire suivante, alors qu'un renouvellement important des familles a lieu pendant l'été : cela pose problème.

J'ai également consacré une partie de mon rapport à la gestion qualitative des effectifs, qui est souvent le parent pauvre de la gestion des ressources humaines, dans un contexte de réduction quantitative des effectifs. Je propose notamment de réduire la fréquence des changements de poste, qui se traduit dans certains cas par la perte d'une expertise précieuse ; de renforcer la part de l'expérience dans le déroulement des carrières, au détriment du statut et du concours ; et surtout, de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour l'heure quasi inexistante, ce qui explique notamment le phénomène des agents sans affectation, sans parler de ceux qui se voient confier une mission qui n'est pas à la hauteur des compétences qu'ils ont développées au fil de leur parcours.

Enfin, j'évoquerai la féminisation du personnel diplomatique, dont Mme la présidente a déjà touché un mot. Malgré les efforts réalisés par le ministère, qui lui ont valu de recevoir le label de l'Agence française de normalisation (AFNOR) en 2017, le Quai d'Orsay revient de loin et accuse encore un retard considérable. Dans l'administration centrale, seuls 25 % des postes de direction et de chef de service sont occupés par des femmes. Comment la France peut-elle prétendre développer une diplomatie féministe dans le monde si elle n'est pas elle-même exemplaire dans la composition de son corps diplomatique ? Nous ne parviendrons pas à rétablir l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes sans une action plus volontariste du ministère pour promouvoir des femmes à des postes à responsabilité et, en amont, pour lever les verrous qui bloquent la progression des femmes.

Au bénéfice de ces observations, j'appelle à voter en faveur des crédits de la mission Action extérieure de l'État.

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