Intervention de Anne Genetet

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 9h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne Genetet, rapporteure pour avis (Action diplomatique et consulaire) :

Absolument !

Monsieur Alain David, la question de la cohérence entre la baisse des effectifs et l'amélioration de la qualité de service est fondée, et je la pose moi-même depuis le début : avant de couper les têtes, il faudrait savoir pourquoi, et que ce ne soit pas une coupe comptable…

La baisse des effectifs va se ralentir encore : il n'y aura que 81 ETP en moins en 2020. C'est toujours trop à l'échelle de ce ministère, sauf si on modifie le périmètre des missions. À cet égard, je pense que le traitement des demandes de visa et de passeport, qui relèvent du consulaire, ne devrait plus se faire dans les postes. Cela permettrait des gains de temps, d'efficacité et dégagerait des moyens pour faire autre chose. Si vous en avez l'occasion, allez voir un jour le service visas d'un consulat, vous verrez que c'est terrible !

Christophe Naegelen et Didier Quentin ont posé la question des agents sans affectation. On constate un pic fin août, lorsque l'on n'a pas encore réussi à affecter tout le monde. En 2019, on dénombre en moyenne vingt-deux agents non affectés, dont six agents de catégorie A+ et huit agents de catégorie A. Mais c'est un peu la face émergée de l'iceberg. Derrière ces personnes qui sont vraiment sans affectation, d'autres se voient confier des missions qui ne sont pas à la hauteur de ce qu'ils pourraient attendre. Ainsi, certains sont envoyés pendant deux ou trois ans au sein de l'inspection générale des affaires étrangères, auprès de la direction des ressources humaines ou de la direction des affaires financières. Cela n'est pas inintéressant, mais est-ce à la hauteur de leur parcours et de leurs compétences ? Je n'en suis pas certaine. J'en ai vu certains qui s'ennuyaient et qui en profitaient pour passer deux ou trois ans à Paris à apprendre une autre langue : c'est un peu dommage, cela crée une rupture dans le parcours de compétences. Mais le problème d'encombrement des effectifs aux rangs A et A+ reste entier. Je n'ai pas recherché le coût de ces postes sans affectation.

Madame Clémentine Autain, vous soulevez un problème en évoquant, à l'instar de M. Didier Quentin, la mission de diplomatie économique. Il est important d'aider les entreprises à se propulser à l'international, nous en sommes tous d'accord, mais Business France, BPI, les régions, les chambres de commerce en France, les chambres de commerce à l'étranger, s'en occupent déjà. Team France Export, et c'est une bonne chose, permet de rationaliser le dispositif, mais on peut légitimement se poser la question de l'efficacité de cette multiplicité d'acteurs.

Les quatre objectifs, rappelés par M. Jean-Paul Lecoq, sont très précis et pourtant, on voit un décalage avec la feuille de route des ambassadeurs. On leur demande tout, y compris de faire de la diplomatie de genre, de la diplomatie de l'environnement, de la diplomatie de la technologie… Je pense moi aussi qu'il existe un risque de dispersion, donc de perte d'efficacité. À faire trop de choses, on finit par faire moins bien.

Même si nos diplomates sont absolument incroyables, force est de reconnaître que certains signaux faibles, sur différents théâtres, n'ont pas été perçus. Je plaide pour ma chapelle : les Français présents dans le monde, en dehors des réseaux institutionnels classiques, ont une connaissance du terrain différente et complémentaire de celle de nos diplomates ; nous devons donc absolument nous appuyer sur eux. Le Président, dans son discours aux ambassadrices et aux ambassadeurs, en août dernier, a secoué les diplomates, leur demandant de sortir de leur zone de confort et d'aller vers la société civile locale. Un journaliste a écrit que la diplomatie française ne faisait plus que 3 % de la diplomatie ; c'est un jugement sévère, mais il faut le garder à l'esprit. Nos diplomates, aussi compétents soient-ils, doivent s'appuyer sur d'autres réseaux pour rendre notre diplomatie et notre présence dans le monde encore plus efficaces.

Madame Cazebonne, je suis absolument d'accord avec vous à propos des bourses scolaires : la procédure est extrêmement complexe et vraiment décourageante pour les familles. Elle tient du déshabillage : les ressources et le mode de vie des familles sont mis à nu ; dans certains pays, du fait de la crainte légitime de la fraude, on va même vérifier sur place comment les gens vivent : c'est extrêmement inquisiteur. Où le curseur doit-il être placé ? C'est une question qu'il faut vraiment se poser.

Par ailleurs, je vous rejoins complètement sur la menace pour la mixité sociale : toute une classe sociale a des ressources trop élevées pour prétendre à une bourse mais trop faibles pour payer une scolarité. Pour information, le reste à charge des familles pour une scolarité à l'étranger, dans les lycées les moins onéreux, par exemple celui de Pondichéry, s'élève à 1 500 euros l'année. Cela peut déjà paraître beaucoup, mais la moyenne est souvent de 5 000 euros voire, dans certains pays, 10 000 euros l'année. À Singapour, de nombreux parents issus de la classe moyenne font l'école à la maison parce qu'ils ont trop de revenus pour obtenir une bourse mais pas assez pour payer la scolarité. Le reste à charge y est de 10 000 à 15 000 euros par an et par enfant : quand on a trois enfants, cela fait 45 000 euros l'année ! Je suis contente de savoir que vous avez posé une question au directeur de l'AEFE : il me paraît très important d'approfondir le sujet et de voir s'il est possible de modifier les critères. Il faut également faciliter l'accès de ces enfants au Centre national d'enseignement à distance (CNED), en mode scolarisation et non pas en mode soutien.

Madame Poletti, sur la mutualisation, zéro avancée… Quelques progrès ont certes été enregistrés dans la mutualisation des moyens, comme à Dacca au Bangladesh, mais il n'y a pas eu de nouveau cas de mutualisation. De toute façon, tant que nous n'aurons pas une politique étrangère européenne solide, avec des intérêts convergents, il sera difficile de mettre en place des postes diplomatiques mutualisés. Nous représentons localement des petits pays dépourvus de représentation diplomatique – pratiquement tous les grands pays agissent ainsi – mais ce n'est pas ce que j'appelle une véritable mutualisation.

La féminisation intéresse quant à elle l'ensemble des ministères, et pas seulement le ministère des affaires étrangères. Mais lorsqu'on me dit, par exemple à la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, que la difficulté de gestion des effectifs au Quai d'Orsay tient à plusieurs facteurs, dont l'entrée des femmes sur le marché du travail, je bondis de ma chaise ! L'entrée des femmes sur le marché du travail en France remonte aux années 1960 : il est très regrettable que le ministère des affaires étrangères avance encore cet argument en 2019 ! Cela témoigne d'une mentalité et de freins très puissants. Je souhaite vraiment que ces freins soient supprimés et qu'un vivier se constitue : les femmes oseront venir si elles savent qu'elles peuvent avoir une carrière à la hauteur de leurs ambitions.

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