Intervention de Anne Genetet

Séance en hémicycle du jeudi 31 octobre 2019 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Action extérieure de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne Genetet, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères :

Je salue en particulier aujourd'hui Mmes les directrices d'administration centrale. Il est en effet suffisamment rare pour qu'on omette de le souligner non pas que des directeurs d'administrations centrales soient présents, mais qu'il s'agisse de femmes !

Pour la troisième année, j'ai le plaisir et l'honneur de vous rapporter au nom de la commission des affaires étrangères un avis sur les crédits budgétaires de deux tiers des moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères : ceux de la diplomatie et des affaires consulaires.

Comme l'a souligné un ancien ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, notre monde contemporain ressemble à Jurassic Park ! Nous avons plus que jamais besoin d'une voix forte, innovante et ambitieuse au service de la paix, dans un monde plus que chaotique. Dans ce contexte, le rôle de la diplomatie est encore plus décisif.

À quelques jours des commémorations du 11 novembre, je voudrais rappeler à notre assemblée ce que l'histoire nous a si douloureusement enseigné : la paix n'a pas de prix. Dialoguer, trouver des accords, des compromis, des alliances, soutenir des projets communs, des valeurs partagées, tel est le sens de la mission de nos agents partout à travers le monde. Qu'ils soient ici remerciés pour leur engagement et leur dévouement au service de la France et de nos compatriotes à l'étranger.

Dans ce rapport, je salue d'abord plusieurs évolutions. Grâce à l'engagement personnel de M. Le Drian, les moyens globaux du ministère augmentent, les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » sont enfin stabilisés et, malgré tout, le Quai d'Orsay, bon élève, maintient ses efforts pour se réformer en profondeur et dégager des économies. Ce point mérite d'être souligné.

Certaines évolutions vont d'ailleurs dans le sens des recommandations que j'avais émises, notamment l'introduction de nouveaux indicateurs de performance. Quant à l'augmentation des crédits budgétaires consacrés à l'entretien du patrimoine immobilier de l'État à l'étranger, elle permettra de mettre un terme à ce que je qualifierais de grande braderie de certains des instruments du rayonnement de la France.

Dans ce rapport, je regrette néanmoins certaines absences de décision ou d'action. C'est le cas par exemple du flou persistant sur certains indicateurs de performance comme celui intitulé « optimiser l'effort français en faveur du maintien de la paix », dont je ne sais ce qu'il recouvre. C'est aussi le cas de l'annonce non suivie d'effet de la compensation d'une somme de 1 million d'euros, manquant depuis la suppression de la réserve parlementaire pour les associations d'aide au développement local gérées par des Français sur place.

Dans ce rapport, je formule surtout une vingtaine de propositions pour contribuer à améliorer notre action diplomatique et consulaire. Paraphrasant le général de Gaulle, je rappellerai en effet que l'action extérieure, ce sont des femmes et des hommes au milieu des circonstances. Je concentrerai mon propos sur quatre points qui concernent tous la gestion des effectifs.

Premièrement, nous devons détendre notre modèle diplomatique. Celui-ci est en effet tendu, du fait d'un décalage entre des missions trop ambitieuses et des moyens contraints. À force de tirer sur la corde, elle peut rompre. Un effort supplémentaire de réduction des moyens aurait un impact direct sur les personnels et, plus largement, sur notre politique étrangère.

Un nouvel équilibre doit être trouvé. De deux choses l'une : soit nous poursuivons les économies, ce qui implique de réduire le périmètre des missions ; soit nous maintenons ce périmètre, et devrons alors mettre un terme aux efforts supplémentaires. Faire mieux avec moins, c'est aussi intensifier nos liens avec les sociétés civiles, comme l'a demandé le Président de la République. C'est aussi associer davantage la communauté des Français à l'étranger à la stratégie d'influence internationale de la France, une exigence que je défendrai toujours avec acharnement.

Deuxièmement, nous devons ralentir le taux de rotation des personnels, qui est trop élevé et présente un coût : nous perdons l'historique de certains dossiers et cette amnésie nous affaiblit sur les enjeux sensibles. L'hypermobilité triennale est synonyme de perte en efficacité. C'est pourquoi je propose d'allonger à quatre ans la période d'affectation de certains personnels.

Troisièmement, nous devons accélérer la féminisation du personnel. Gandhi nous recommandait : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » Or, si la France promeut une diplomatie féministe, la féminisation du personnel diplomatique progresse trop lentement. Les femmes sont sous-représentées parmi les ambassadeurs bilatéraux. Sur ce point, je reste déçue par les nominations intervenues cet été. Certes, le taux de féminisation progresse, mais il pourrait le faire plus rapidement. Pour accélérer la féminisation, je propose de mettre en place, pour chaque poste à responsabilité, une liste de présélection paritaire dans le respect de l'équité de traitement, c'est-à-dire sans qu'aucune offre alternative de poste ne soit faite à l'un ou l'autre des candidats jusqu'à la décision finale.

Enfin, nous devons davantage valoriser l'image du Quai d'Orsay et de ses personnels qui sont trop peu connus des autres ministères, des parlementaires et du grand public. Trop souvent, le ministère peine à défendre son action et ses ressources et aborde les négociations budgétaires en position de faiblesse, jusqu'à subir parfois des injonctions paradoxales. Je me félicite donc de la création du Collège des hautes études de l'Institut diplomatique, qui permettra de mieux faire connaître les missions et les diplomates du ministère.

Pour conclure, permettez-moi une suggestion audiovisuelle : quand verra-t-on, monsieur le ministre, une série sur la diplomatie, inspirée du Bureau des légendes, qui mette enfin en lumière les professionnels dévoués agissant de façon exemplaire, mais dans l'ombre, au service de l'État et de notre sécurité quotidienne ? C'est ainsi que j'ai introduit mon rapport par ces mots : Histoire d'un ministère de l'ombre : le nez dans le guidon et pas de vague. Tel serait, si je pouvais écrire une étude ethnographique du Quai d'Orsay, le titre que je donnerais à cet ouvrage.

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