Intervention de Jean-Charles Larsonneur

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis (programme 146 Équipement des forces – dissuasion) :

Madame la présidente, mes chers collègues, ce sont, comme l'an dernier, les crédits du programme 146 « Équipement des forces – dissuasion » qu'il me revient de vous présenter. Sur le front de ces crédits d'armement, les nouvelles sont bonnes. Ces derniers sont en effet conformes aux dispositions de la LPM, et nous pouvons tous nous en féliciter. D'abord, qu'une loi de programmation militaire soit exécutée avec exactitude est en soi une bonne chose. Ensuite, la trajectoire de cette LPM est ambitieuse : en 2020, la mission « Défense » s'est vue attribuer 1,7 milliard d'euros de crédits de plus qu'en 2019, dont 1,3 milliard d'euros pour les équipements. Les crédits du programme 146 augmentent ainsi de 15,6 % en crédits de paiement et de 75 % – c'est exceptionnel ! – en autorisations d'engagement. Il ne me paraît donc pas exagéré de qualifier cet effort budgétaire de très important.

Il s'explique en partie par les besoins de financement du renouvellement des matériels de la dissuasion. En effet, 2020 est l'année prévue pour l'entrée en phase de réalisation du programme des sous-marins lanceurs d'engins de troisième génération (SNLE 3G). Parallèlement, les travaux en vue de la modernisation puis du remplacement du missile nucléaire air-sol progressent.

Cet effort budgétaire d'ampleur bénéficie aussi à l'ensemble des autres systèmes de forces. Je ne passerai pas ici en revue une à une les soixante-treize lignes budgétaires du programme 146, car mon rapport présente en détail l'évolution et la justification de ces crédits, mais je tiens à signaler quelques commandes et quelques livraisons emblématiques que ce PLF finance. Parmi les livraisons, retenons par exemple pour la marine nationale le premier sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) du programme Barracuda, le Suffren, deux avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés au standard 6, deux hélicoptères NH90 Caïman, deux lots de missiles de croisière navals (MdCN), sept missiles Aster 30 destinés aux frégates multi-missions (FREMM) et dix-neuf torpilles lourdes Artémis ; pour l'armée de terre, la livraison de 128 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon, des quatre premiers Jaguar, de sept NH90 Caïman, du premier système de drone tactique, de 1 000 véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP), de 100 véhicules blindés légers (VBL) rénovés, de cinquante postes de tir et de 300 munitions de missile moyenne portée (MMP), de 1 250 radios pour les communications numérisées tactiques et de théâtre (CONTACT), ainsi que de 12 000 fusils d'assaut HK 416 F ; pour l'armée de l'air, les premiers Mirage 2000D rénovés, deux A400M, un multi-rôle transport tanker (MRTT), un C-130J ravitailleur et un C-130H modernisé, ainsi qu'un système de trois drones moyenne altitude longue endurance (MALE) Reaper.

L'année 2020 sera également riche en commandes. Retenons par exemple le financement d'un système de commandement et de contrôle aérien pour l'armée de l'air, ainsi que quatre drones MALE européens, quatre C-130H modernisés, 1 500 VLTP, 12 000 fusils HK 416 F, 271 VBMR Griffon, 42 Jaguar et 364 Serval – la version légère du VBMR – ainsi que 50 chars Leclerc et 120 véhicules blindés légers rénovés. Je m'en tiendrai là s'agissant du plan de commandes et de livraisons financé par ce budget d'armement, qui me paraît à la hauteur des enjeux et de nos ambitions.

Il ne faudrait pas toutefois qu'un tel effort soit entamé sur un flanc ou un autre. Deux hypothèques en particulier pèsent souvent sur les crédits d'armement : le financement du surcoût des opérations extérieures (OPEX) et le report de charges. Là encore, les nouvelles sont bonnes. La provision pour les OPEX ayant été portée à 900 millions d'euros en 2019 puis à 1,1 milliard d'euros en 2020, autrement dit à un niveau réaliste et sincère, nous devrions pouvoir éviter les arbitrages de fin d'année, presque toujours défavorables au programme 146. Quant au report de charges, conformément à la loi de programmation militaire, il est en baisse. Deux dangers majeurs pour la bonne exécution des crédits d'équipement soumis à notre vote sont donc ainsi écartés.

Une fois que ces crédits auront été votés, il faudra encore que les programmes avancent. L'État fait sa part du travail, l'industrie doit également faire la sienne. Pour ce qui concerne les programmes français, contrôler le bon avancement des études, des développements et des productions fait pleinement partie de notre travail ; à cet égard, mon rapport présente un état précis des aléas industriels qui ont pu être rencontrés.

Pour ce qui est des programmes en coopération, les affaires sont plus complexes car, par nature, tout ne dépend pas de nous, et les enjeux sont considérables. Nous misons beaucoup sur de telles coopérations pour le renouvellement de nos principaux armements conventionnels, dont les programmes les plus emblématiques sont le système principal de combat terrestre ou main ground combat system (MGCS), le système de combat aérien du futur (SCAF), et le système de lutte anti-mines du futur (SLAMF).

J'ai décidé cette année de consacrer la partie thématique de mon rapport à la question de nos coopérations d'armement à l'heure du Brexit.

Bien malin qui pourra nous dire quand et comment le Brexit aura lieu… L'objet de mon rapport n'étant pas d'ordre divinatoire, je me suis attaché à étudier ses conséquences possibles sur les programmes d'armement que nous conduisons en coopération.

Quelle qu'en soit la forme, le Brexit ne devrait guère avoir de conséquences directes sur les programmes bilatéraux et multilatéraux auxquels participent les Britanniques, car ils reposent sur des instruments de droit international autres que les traités européens, au premier rang desquels les accords de Lancaster House. Les conséquences indirectes, en revanche, moins prévisibles, sont plus à craindre. Le possible rétablissement d'une frontière douanière, d'abord, risque d'engendrer des surcoûts, qu'ils soient liés à d'hypothétiques droits de douane ou, plus certainement, aux délais qui s'attacheront aux formalités de douane. Des groupes industriels européens tels que MBDA seront particulièrement exposés, les chaînes d'approvisionnement étant de plus en plus intégrées. Le risque est aussi que l'impact du Brexit sur l'économie britannique conduise le Royaume-Uni dans une période de difficultés budgétaires, ce qui n'est jamais favorable aux crédits d'investissements militaires. De plus, sans accord spécifique, le Royaume-Uni ne serait plus éligible aux dispositifs européens de soutien à la recherche et au développement, sur lesquels nous fondions de solides espoirs. Enfin, et surtout, le Brexit placera de nouveau les Britanniques devant l'éternelle question de savoir s'ils voient leur avenir du côté du continent ou au grand large. Pour illusoires que paraissent les promesses américaines, les autorités britanniques seront peut-être tentées d'y croire.

Dans ce contexte, quels sont les intérêts de la France ? Comme l'écrivait Talleyrand, qui fut ambassadeur au Royaume-Uni, les vrais intérêts de la France ne sont jamais en opposition avec les vrais intérêts de l'Europe. C'est pourquoi nous coopérons activement avec l'Allemagne, notamment sur les projets SCAF et MGCS. L'actualité de ces programmes montre toutefois que le dialogue franco-allemand n'est pas toujours facile, car nos intérêts ne sont pas toujours parfaitement alignés avec ceux de nos collègues allemands, dont certains ne se sont d'ailleurs pas privés de le faire savoir. Dans ces conditions, l'intérêt de la France me semble être de poursuivre et d'approfondir la coopération avec le Royaume-Uni afin de diversifier nos partenariats.

Or l'année 2020, qui sera – peut-être – la première année du Brexit, marquera aussi le dixième anniversaire de Lancaster House, ce qui me paraît constituer une bonne occasion pour signer un nouveau traité de coopération franco-britannique et, en parallèle, un traité au format « vingt-sept plus un » pour permettre le maintien du Royaume-Uni dans les cadres européens de coopération à titre d'État tiers. Ce nouveau Lancaster House pourrait a minima reprendre les termes de l'accord d'il y a dix ans en les expurgeant des références au droit communautaire, afin d'en affermir les stipulations sur le plan juridique. Il pourrait aussi ouvrir la voie à de nouveaux champs de coopération. Au vu de la qualification concomitante de la force expéditionnaire commune interarmées et du très encourageant retour d'expérience de l'appui britannique à l'opération Barkhane, les champs de coopération les plus prometteurs se situent, à mon avis, dans le domaine opérationnel, mais pourraient également concerner le cyber, l'intelligence artificielle ou le spatial.

Je conclus, mes chers collègues, en recommandant l'adoption des crédits d'armement inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.

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