Intervention de Didier Baichère

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Baichère, rapporteur pour avis (Environnement et prospective de la politique de défense de la défense) :

Le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » vise justement à soutenir l'innovation, en particulier celle des petites et moyennes entreprises (PME). Je reviendrai sur les crédits avant de me focaliser sur l'agence de l'innovation de défense (AID) créée il y a douze mois et sur la recherche biomédicale et cognitive, qui pèse budgétairement peu, mais est très intéressante.

Le budget de l'environnement et de la prospective de la politique de défense a une ambition essentielle : préparer l'avenir, soutenir l'effort indispensable d'innovation et irriguer notre base industrielle constituée de PME, mais aussi de grands groupes. Les technologies nouvelles doivent faciliter le travail de nos soldats.

Le budget du programme 144 augmente de 5 % en crédits de paiement et de 8 % en autorisations d'engagement, et passe ainsi de 1,5 à 1,7 milliard d'euros. Vous vous souvenez probablement des jalons de la loi de programmation militaire et de notre objectif d'un milliard d'euros en 2022 pour les études amont – principale dépense du programme. L'objectif sera largement tenu, ce qui est une excellente nouvelle compte tenu des défis que nos armées doivent relever.

La préparation de l'avenir est un concept assez large, puisque le programme 144 embrasse des domaines aussi différents que le renseignement, les études technologiques, les sciences humaines et cognitives, les instituts de recherche, les écoles et la contribution versée en raison de l'implantation des forces françaises à Djibouti – estimée à 26,44 millions d'euros pour 2020, stable d'une année sur l'autre.

Les équilibres traditionnels sont respectés en 2020 : le renseignement est toujours une priorité. Ses crédits vont augmenter de 14 % en AE et 2 % en CP, pour atteindre respectivement 399 et 364 millions d'euros. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) poursuit sa politique de rationalisation immobilière et de recrutement, la LPM prévoyant un important volume de recrutements pour le renseignement.

Les crédits de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) font un bond exceptionnel de plus de 49 % en AE, lié à la dotation d'une nouvelle base de souveraineté qui doit, notamment, nous permettre de développer nos capacités d'aide à la décision, grâce à un nouveau logiciel de traitement des habilitations.

La direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), en charge de l'analyse stratégique et des études, est dotée d'un budget de 10 millions d'euros, en hausse de 6 %. La DGRIS s'est fixé comme objectif de contribuer à long terme à la création d'une filière académique d'études stratégiques dans le domaine de la défense, qui nous fait cruellement défaut. Les précédentes LPM ayant été moins généreuses, le sujet avait été un peu laissé de côté.

Les crédits alloués aux études amont représentent la majeure partie du budget. Ils sont de 821 millions d'euros en CP – contre 758 en 2019 – et vont atteindre un milliard d'euros en AE. Les études amont, ce sont avant tout trois poids lourds, toujours les mêmes : la dissuasion, l'aéronautique et les missiles. Bien que j'aie repris récemment l'avis budgétaire, j'ai noté l'inquiétude de l'armée de terre : les crédits qui lui sont alloués ne représentent qu'environ 5 % des crédits des études amont. Or les opérations des militaires de l'armée de terre se numérisent massivement et les soldats doivent faire face à de nouveaux défis cognitifs : la masse d'informations à leur disposition est tellement importante qu'ils vont avoir besoin d'aide pour savoir gérer leur priorisation et leur utilisation. Les études manquent en la matière. Il me semble que ces 5 % sont insuffisants au regard des enjeux.

Une autre difficulté fait écho à la question posée tout à l'heure par M. Blanchet et a été très largement soulignée dans les auditions : celle que rencontrent les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour accéder directement aux marchés d'études amont. Nous l'avons déjà évoqué dans le cadre du groupe d'études sur les industries de la défense et j'avais alors fait des recommandations. Les 830 millions affectés à ces études sont largement « trustés » par les grands industriels même si, bien sûr, ils animent un écosystème de PME. Les PME duales ou celles du secteur civil rencontrent les mêmes difficultés, alors qu'elles pourraient développer de nouveaux produits intéressant l'armée.

Il faut faire preuve d'une intense pédagogie dans nos régions et nos territoires afin de sensibiliser le tissu industriel aux besoins des armées, mais aussi de l'informer des possibilités de financement accessibles aux PME. Enfin, le secteur bancaire est particulièrement frileux pour financer la défense. Or les PME travaillent avec les banques locales et ont donc beaucoup de difficultés à financer l'innovation, mais aussi, par exemple, à rapatrier les fonds issus de ventes à l'étranger, bien qu'elles soient titulaires d'une licence d'exportation.

Je l'avais également souligné dans le rapport du groupe d'études, les hausses de crédits du futur Fonds européen de défense – porté à plus de 13 milliards d'euros – vont encore complexifier son accès et sa compréhension pour les PME et les ETI françaises. Là encore, il faudra faire preuve de pédagogie et communiquer.

Je l'ai constaté au cours des auditions, le ministère des Armées a ces éléments en tête – la réorganisation en profondeur de la direction générale de l'armement (DGA) vise aussi à préparer cette transformation.

L'agence de l'innovation de défense (AID), créée il y a douze mois, héberge désormais le budget du programme 144 et dépend de la DGA. Elle gère les dispositifs existants, qui ont fait leurs preuves : l'accompagnement spécifique des travaux de recherche et d'innovation défense (ASTRID), très en amont en matière de recherche et développement, ASTRID maturation, pour la deuxième phase et ensuite le régime d'appui à l'innovation duale (RAPID) qui concerne bon nombre de nos PME.

En outre, le fonds Definvest, géré par Bpifrance, est désormais opérationnel et pourra investir à hauteur de 50 millions d'euros – 10 millions par an. Le deuxième versement de 10 millions va avoir lieu. Six entreprises en ont jusqu'à présent bénéficié, plutôt en phase de production, post-R & D. C'est essentiel, mais ces 50 millions d'euros ne sont pas à la hauteur des besoins ; il faudra y réfléchir au cours des prochaines années. Soulignons malgré tout la cohérence de l'accompagnement : plus de la moitié des entreprises qui ont bénéficié de Definvest avaient déjà bénéficié d'ASTRID ou de RAPID.

Les attentes des états-majors d'armées, comme des organisations professionnelles vis-à-vis de l'agence, sont très fortes – et pour cause, puisque tout est désormais centralisé au même endroit. Il conviendra d'observer avec attention comment se déroulent les interactions de l'agence avec l'écosystème en matière d'innovations ouvertes – il lui revient faire émerger un écosystème de start-up et d'innovation pour la défense – puis de mesurer combien de ces innovations ouvertes irriguent nos armées.

Au sein de l'AID, l'Innovation défense lab commence à trouver sa place. Nous pourrions d'ailleurs y organiser une réunion décentralisée de la commission de la défense. C'est un lieu moderne, qui doit assurer la visibilité, au sens marketing du terme, de la DGA auprès des start-up et des PME. Le plateau conjoint DGA-état-major, inauguré la semaine dernière à Balard, montre bien la volonté d'un travail conjoint d'innovation au service des forces armées.

Je passe aux crédits alloués aux instituts de recherche. Vous connaissez tous l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et l'Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL). L'ONERA est un institut de recherche du ministère dans le domaine aérospatial. Son budget est fixé à 105,7 millions d'euros, soit un million d'euros de plus qu'en 2019. Sa soufflerie, à Modane, a été complètement rénovée suite à des effondrements – comme cela a été évoqué ici au cours des années passées. Le chantier est désormais terminé. Je suis, je l'avoue, assez inquiet de la situation de l'ONERA : il rassemble des compétences critiques dans le domaine aérospatial, mais le nombre considérable de départs à la retraite, auquels, fait encore plus inquiétant, se sont ajoutées près de trente démissions de personnels recrutés depuis moins de trois ans, traduit un réel problème de positionnement. Je m'y pencherai l'an prochain, mais je préconise d'ores et déjà une révision du contrat d'objectifs et de performance. L'office, comme l'ISL, rencontrent des difficultés en termes de rémunération de leurs personnels. Ainsi, à l'institut, les rémunérations des chercheurs allemands sont plus élevées que celles des chercheurs français. À l'ONERA, le différentiel de rémunération est de 300 euros en moyenne avec la DGA.

Des écoles d'ingénieurs sous la tutelle du ministère sont également hébergées dans le programme 144. La création de l'Institut polytechnique de Paris va regrouper sur le plateau de Saclay l'École polytechnique, l'École nationale supérieure des techniques avancées, l'École nationale de la statistique et de l'administration économique, Télécom Paris et Télécom Paris Sud. L'institut bénéficiera de 2,4 millions d'euros du ministère des armées et de 1,6 million d'euros du ministère de l'économie. Je serai attentif à son évolution, d'autant qu'il s'est désolidarisé du nouveau pôle universitaire du plateau de Saclay, issu de la fusion de trois universités. Il est important qu'il conserve des relations fortes avec ce tissu académique – c'était une des raisons de mettre en place cette opération d'intérêt national (OIN).

Pour finir, j'évoquerai la recherche biomédicale des armées. Elle représente un budget de trois millions d'euros – à comparer au 1,7 milliard d'euros du programme. On pourrait légitimement se demander quel est l'intérêt de préserver une recherche spécifique aux armées – je m'étais moi-même posé la question. Mais lorsqu'on visite l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) et que l'on discute avec les chercheurs, on se rend compte que l'armée a des besoins très spécifiques. La recherche biomédicale de défense se concentre sur la prévention et le maintien de la santé des militaires, confrontés en opérations à des conditions d'emploi peu fréquentes dans la vie civile : exposition aux accélérations des pilotes d'avion, immersion de très longue durée dans des eaux froides ou très chaudes pour les nageurs de combat, utilisation de systèmes d'armes complexes avec une surcharge informationnelle et environnementale dans un environnement hostile, exposition à des climats extrêmes – pensons à nos troupes au Mali –, cycles de sommeil très irréguliers, risques liés aux armes non conventionnelles, nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC)… Cette liste n'est pas exhaustive. En outre, l'IRBA effectue des recherches sur la multi-exposition des forces à ces facteurs de risque, ce qui n'est pas le cas de la recherche civile qui travaille davantage en silos.

Cette recherche biomédicale contribue également à la résilience nationale, notamment dans le domaine des risques NRBC. Le service de santé des armées est le seul à avoir l'autorisation de fabriquer certains médicaments dans sa pharmacie centrale. Enfin, malheureusement, ces dernières années, le service de santé des armées, dont l'IRBA, ont aussi été beaucoup sollicités au moment des attentats, compte tenu de son expertise en matière de blessés de guerre. Lorsque la France a été attaquée, il a fallu réagir et soigner des polytraumatisés.

Je reviendrai sur l'analyse cognitive dans un prochain avis, mais la surcharge informationnelle de nos combattants, liée au numérique, nécessite de travailler très en amont afin de les aider à traiter ces informations beaucoup plus nombreuses que par le passé.

L'IRBA n'est pas seul à pratiquer des activités de recherche. Il ne faut pas oublier tout l'écosystème qui l'entoure avec les huit hôpitaux d'instruction des armées ou le centre de transfusion sanguine des armées, qui a mis au point le plasma lyophilisé. Ils sont tous au service de la santé des soldats, vont sur le terrain, échangent avec les services médicaux en opérations extérieures (OPEX) pour y tester leurs expérimentations.

Cette recherche qui s'effectue en collaboration avec de nombreuses entités civiles, trouve pleinement sa place dans le budget du programme 144, sur lequel je vous demande de bien vouloir émettre un avis favorable.

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