Intervention de Nicole Le Peih

Réunion du mardi 22 octobre 2019 à 17h20
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Le Peih :

Je voudrais vous faire part du témoignage d'une jeune femme que j'ai reçue récemment à ma permanence. Elle m'a adressé le courrier suivant : « je vous adresse ces quelques lignes pour vous faire connaître l'enfer auquel nous, les femmes victimes de violences conjugales, sommes confrontées. Il y a six ans, j'ai rencontré un homme avec qui tout se passait bien les premiers temps, même si certains signes avant-coureurs se profilaient, les disputes hors normes, les reproches incessants, les victimisations perpétuelles. Le mariage a été vite envisagé. Mon entourage n'approuvait pas cette union, la manipulation était criante et ses tentatives d'éviction de plus en plus importantes. Bon nombre d'amis ont préféré couper les ponts, mes soeurs également. Mes parents se sont battus pour maintenir le lien de plus en plus fragile. Deux enfants sont nés de cette union. Les rares périodes de calme étaient durant mes grossesses.

En dehors de ces huit mois de grossesses prématurées, le contrôle et la domination s'accentuent, la jalousie devient inévitable. Les premières répercussions sur le travail se font sentir. Je suis agent de la fonction publique territoriale. Les nuits sont difficiles. Si ce n'est les coups, l'humiliation et le rabaissement prennent le dessus. Je ne suis qu'une « incapable », une « feignasse », une « mauvaise mère », une « grosse vache », et je vous passe les insultes plus crues, mais d'autant plus dures que les coups, car elles sont invisibles et font perdre confiance en soi. La fatigue est insurmontable. J'envisage de le quitter. Les menaces de mort et le désenfantement (sic) s'accentuent.

Je compose le 3919 qui me conseille de constituer un dossier et de partir. J'organise mon départ. Aujourd'hui, à bientôt un an de séparation, j'ai tenté pendant un an de gérer au mieux la situation lors des passations d'enfants, comme me l'ont conseillé de nombreuses gendarmes impuissants face à la situation. Oui, il faut oser parler et quitter le domicile, mais non, les violences ne s'arrêtent pas. Le 5 septembre, la situation s'envenime. Il me menace de mort. Il me traîne par les cheveux. Je me décide à porter plainte. Les gendarmes me demandent de continuer la passation des enfants et de les appeler si besoin. Ce soir-là, par chance, l'échange se fait sur le parking d'un supermarché en présence d'une amie. Les insultes pleuvent. Mon téléphone est brisé au sol, le tout devant les regards médusés des personnes assistant à la scène, démunies, mes enfants y compris. Depuis ce jour, je suis placée en centre d'hébergement d'urgence avec mes deux enfants et donc un arrêt de travail.

Alors que je suis chargée d'une maison de service public (MSAP) - j'adore mon travail -, je me retrouve loin de ma famille et de mes amis pour pouvoir sauver ma vie et épargner mes enfants de toutes ces violences. Cet homme, par le fait que nous sommes femmes, pense avoir le droit de vie ou de mort sur nous. En France, en 2019, c'est scandaleux. Ma vie a basculé. Mon ex-conjoint, quant à lui, ne vit pas reclus, contrairement à nous, et vit comme il l'entend. Je suis membre de l'association « Putain de Guerrières », et j'envisage de créer la mienne lorsque je pourrai reprendre une vie normale, celle que j'envisage désormais, assortie de mesures de protection et de téléphone grand danger pour me sentir protégée et éviter d'être la 122e victime en 2019.

Chers tous, je mets l'ensemble de ces espoirs sur les mesures du Grenelle, très touchée par le discours de lancement qui était juste et plein de sincérité. Comme l'a dit M. Philippe, ces maris ne sont pas de bons pères, ni même de bons citoyens avec nous ; nous ne pouvons imaginer qu'un simple rappel à la loi. Il nous faut donc des mesures fortes pour éradiquer toutes ces violences, qui sont pour vous, cause nationale, et pour nous, un enfer quotidien. Merci de m'avoir lue. »

Devant une telle situation, je m'interroge : pourquoi n'arrivons-nous pas à être plus réactifs ? Pourquoi, en amont, ne détectons-nous pas plus tôt ces violences ? Pourquoi l'accompagnement doit-il être encore si long ? Cette affaire sera jugée le 14 novembre prochain, mais d'ici là, cette femme est malgré tout en danger et elle n'a toujours de téléphone grand danger. Elle veut travailler ; elle a déjà trouvé un logement social car elle a besoin d'émancipation.

Pour autant, comment pouvons-nous répondre à ces situations ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à y répondre de façon satisfaisante ? Je pense que vous y êtes confrontées quotidiennement. Mais face à ces violences, que faire ?

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