Intervention de Jean Bizet

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 16h45
Commission des affaires européennes

Jean Bizet, président de la Commission des Affaires européennes du Sénat :

Je vous remercie, Mme la présidente, d'avoir pris cette initiative de rechercher un nouveau format à nos rencontres avec les élus français au Parlement européen, sur le sujet ô combien important de la prochaine réforme de la PAC.

Pour la première fois, en effet, nos deux institutions se sont attachées à réunir dans un document commun la synthèse des cinq résolutions européennes qu'elles ont, l'une et l'autre, adoptées sur la future PAC 20212027. Vous y trouverez les points clés qui nous tiennent tous à coeur.

S'agissant du Sénat, nous avons plus particulièrement défendu les orientations suivantes :

– premièrement, le refus du renoncement à l'ambition agricole de l'Union, alors que les autres grandes puissances mondiales investissent à l'inverse massivement dans ce domaine ;

– deuxièmement, le maintien des moyens budgétaires de la PAC, alors que le projet de réforme table a contrario sur une réduction drastique en termes réels, de 11 % des aides du premier pilier et de 28 % de celles du second. J'ajouterais que derrière cela, il y a une politique de convergence à laquelle nous sommes invités à souscrire mais qui va nous fragiliser par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale, ainsi qu'une augmentation des cofinancements nationaux au titre du deuxième pilier aux alentours de 10 % ;

– troisièmement, nos plus vives inquiétudes quant au nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC proposé par la Commission européenne. De fait, sa logique conduit mécaniquement et inexorablement à une « renationalisation », que je qualifierais de rampante, de la politique agricole commune. Elle ne se sera pas tellement visible au temps t, mais beaucoup plus au bout de sept ans. Ceci générera des distorsions de concurrence supplémentaires au détriment des producteurs français. On peut hélas redouter le passage à vingt-sept politiques agricoles nationales de moins en moins compatibles entre elles, déclinées en outre de 270 façons différentes dans chacune des régions européennes. Je rappelle que la politique agricole commune a été une des clés du fondement de la cohésion de l'Union européenne depuis le Traité de Rome ;

– quatrièmement, la demande de progrès supplémentaires en termes de gestion des crises ;

– cinquièmement, le refus du statu quo en matière de concurrence, que défend la Commission au motif, à nos yeux totalement infondé, que les avancées du règlement Omnibus du 13 décembre 2017 seraient suffisantes.

J'ai toujours rêvé que l'Europe se calque sur ce que les Américains ont fait au travers du Capper-Volstead Act de 1922, c'est-à-dire que le regroupement devienne la règle en agriculture, et non l'exception. Nous avons cent ans de retard.

Nous vous invitons donc à réagir à ce document de travail. D'une façon générale, nous souhaiterions aboutir à un document certes informel, mais faisant consensus entre députés, sénateurs et membres français du Parlement européen sur la future politique agricole commune. Tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, nous savons dépasser nos clivages politiques, lorsque l'enjeu le justifie et lorsque l'intérêt national l'exige. Tel est bien le cas pour ce dossier. Par là même, nous nous inspirerions utilement des exemples d'autres États membres, où les parlementaires nationaux et européens savent travailler de concert d'une façon efficace et pertinente.

Permettez-moi de conclure en soulignant que nous avons collectivement intérêt à agir ensemble et maintenant, car, pour la Commission européenne, manifestement les jeux sont faits : le projet de réforme de la PAC se fera quoi qu'il arrive, quelles que soient les objections formulées. Tel était le sentiment général, à l'issue de la réunion organisée avant-hier à Helsinki par la présidence finlandaise, à laquelle je participais pour le Sénat, en compagnie de ma collègue Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, et de collègues députés. En résumé, nos échanges de vues ont fait apparaître un véritable « dialogue de sourd » entre la Commission européenne et les représentants des parlements nationaux. La situation a d'ailleurs été parfaitement résumée par notre collègue député Jean-Baptiste Moreau, au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale : « Malgré les oppositions continuellement exprimées, la Commission n'a pas modifié d'un iota son projet depuis juin 2018. »

Il y a sept ans, nous étions parvenus au Sénat, à la demande du président Larcher, à réunir le plus grand nombre possible de commissions des affaires européennes des États membres. J'ai tenté de renouveler cette année l'exercice avec mes collègues, pour aboutir finalement à un constat d'échec. Nous avions commencé à travailler avec les attachés agricoles des différentes ambassades ; nous nous sommes aperçus au bout de quelques mois que nous étions en totale divergence, notamment avec l'Allemagne, notre principal partenaire.

Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons, je me réjouis que nous soyons réunis aujourd'hui pour trouver un consensus.

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