Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du mercredi 6 novembre 2019 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Qu'il me soit permis de ne parler ici que de la réforme de l'assurance chômage, puisque celle-ci s'est faite sans les partenaires sociaux – une réforme dont vous avez prémédité l'échec, madame la ministre, en encadrant de façon draconienne les négociations – ni débat devant la représentation nationale. Il y a quelques jours, vous déclariez : « Notre réforme de l'assurance chômage vise notamment à réduire la précarité. » Comment ne pas voir dans cette déclaration un mensonge plus gros que vous ? Les organisations syndicales, les associations de lutte contre la pauvreté le disent et je l'affirme également aujourd'hui.

À vous écouter, on croirait entendre Mme Thatcher qui avait cette formule : « Je ne pourrais pas vivre sans travailler. C'est pourquoi je me sens si proche des chômeurs. » Vous prétendez améliorer la vie des gens ; vous allez la leur pourrir. Vous prétendez les émanciper par le travail ; vous allez les appauvrir et les aliéner dans des mini-jobs. Or il n'y a pas de dignité du travail sans un travail digne.

Votre réforme est injuste : en allongeant à six mois, au cours des vingt-quatre derniers mois, la période pour être indemnisé, vous allez priver d'allocations de très nombreux demandeurs d'emploi, tandis que d'autres seront indemnisés plus tard que ce n'est le cas aujourd'hui. Vos victimes, ce ne sont pas des statistiques, le chômeur moyen, ce sont de vrais gens qui souffrent, qui se battent, qui survivent, qui peinent à boucler leurs fins de mois, ce sont des jeunes de moins de 25 ans qui ont du mal à démarrer dans la vie, à fonder une famille, ce sont des mères célibataires pour qui la fin du mois, c'est le 15, et qui doivent faire manger leurs enfants jusqu'au 30, ce sont des seniors auxquels, après une vie active, les entreprises claquent la porte au nez.

Les allocations, madame la ministre, ne sont pas des libéralités consenties par le prince, ce sont des cotisations et des droits créés par le travail. Votre réforme est brutale. Prenons le cas d'une personne ayant travaillé deux mois, puis ayant connu dix-huit mois de chômage et enfin travaillé à nouveau quatre mois au SMIC. Avec votre réforme, son indemnité mensuelle passera de 936 à 281 euros. Vous prétendez être les hérauts du progressisme et vous abîmez ce qui fut un grand progrès, les droits rechargeables : là où il fallait avoir retravaillé un mois pour « recharger » ses droits, il en faudra désormais six – et vous prétendez toujours réduire la précarité…

Prenons un autre exemple, celui d'une femme travaillant à temps partiel – un temps partiel subi, comme c'est le cas pour trop de femmes – , qui toucherait une indemnité de chômage de 500 euros par mois et retrouverait un emploi payé 400 euros par mois. Après le 1er avril, au lendemain des élections municipales, alors qu'avant votre réforme elle aurait touché 220 euros d'allocations en plus de son salaire, elle ne touchera plus rien ! Parmi les 40 % – seulement – des chômeurs qui peuvent cumuler emploi et indemnisation, seuls 4 % gagnent plus au chômage qu'en travaillant – or vous instaurez une punition collective et ne réduisez pas, j'y insiste, la précarité.

Ils seront des centaines de milliers à voir leurs droits supprimés, des centaines de milliers à voir le montant ou la durée de leurs droits réduits. Votre réforme fera 1,3 million de perdants parmi les chômeurs indemnisés. Dans les Landes, où près de 50 % des offres d'emploi sont de moins de six mois, il y aura 10 000 perdants. À proximité, dans les Pyrénées-Atlantiques, où près de 60 % des offres d'emploi sont de moins de six mois, il y en aura environ 15 000. Ils seront 52 000 dans le Nord où les offres d'emploi sont également à 60 % de moins de six mois. Les agents de Pôle emploi se préparent d'ailleurs à recevoir les usagers, et redoutent leur incompréhension voire leur colère.

« Quand le marché est dynamique, dites-vous, eh bien, il faut retourner à l'emploi. » C'est ce qu'ont toujours fait les demandeurs d'emploi. C'est d'ailleurs pourquoi, et il faut s'en réjouir, le chômage baisse depuis quatre mois. Mais le problème, ce ne sont pas les chômeurs, c'est le chômage. Vous attendez un changement de comportement de la part des chômeurs. Nul doute qu'il adviendra car ils ne pourront refuser les mini-jobs que vous considérez comme des « offres raisonnables d'emploi », même s'ils sont éloignés, même si leurs horaires rendent la vie impossible, même s'ils sont mal rémunérés. Votre politique, ce n'est pas la carotte et le bâton, c'est le bâton et le bâton.

Attendez-vous sérieusement un changement de comportement des entreprises ? Ce n'est pas votre dérisoire bonus-malus, qui ne concerne que quelques secteurs et ne s'appliquera pas avant 2021, qui changera la donne. C'est fausses promesses et vraies punitions pour les salariés ; fausses sanctions et vrais passe-droits pour les employeurs indélicats. Il vous restait à prétendre que vous renforciez Pôle emploi : ce n'est évidemment pas le cas.

Madame la ministre, votre réforme est indigne : un chômeur sur deux n'est pas indemnisé, 2,6 millions de chômeurs touchent même moins de 860 euros, et 60 % des chômeurs ne vont pas au bout de leurs droits. Renoncez à cette réforme ou assumez ce qu'elle est : une réforme financière dont vous attendez 3,9 milliards d'euros d'économies, une réforme qui abandonne les plus fragiles de nos concitoyens à ce que vous pensez être leur destin de perdants !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.