Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mardi 5 novembre 2019 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

… est une bonne nouvelle, et nous permettra d'être plus crédibles vis-à-vis des partenaires avec lesquels nous contractons dans le monde entier. Cette concrétisation de la proposition formulée par le président Macron dans son discours de la Sorbonne donnera un nouvel élan à l'utilisation par l'Union européenne des instruments de défense commerciale en matière d'antidumping et d'antisubventions. Il s'agit véritablement d'un progrès, car l'idée, bien que régulièrement avancée et poussée, n'avait pu être mise en pratique sous le mandat de la Commission sortante.

Nous avons tous une conscience aiguë de la nécessité de mieux concilier les agendas commerciaux et climatiques, un aspect sur lequel le Président de la République nous a demandé de travailler d'arrache-pied. La France a d'ailleurs un rôle moteur dans ce domaine. Notre réussite dépendra du degré d'infusion de nos propositions chez nos partenaires et de notre capacité à bâtir des coalitions, à convaincre et à entraîner, car dire qu'on est à l'avant-garde est une façon pudique de reconnaître qu'on est isolé. Il y a néanmoins des raisons d'espérer : la présidente von der Leyen a repris la proposition de mettre en place un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières bien dimensionné et compatible avec le droit de l'OMC. Cet outil sera indispensable pour lutter efficacement contre les fuites de carbone dans des pays non soumis à une contrainte sur le CO2, un enjeu clairement mis en avant par la nouvelle Commission.

J'articulerai mon propos liminaire à partir des quatre points à l'ordre du jour du Conseil affaires étrangères en formation commerce, qui comprend un état des lieux des relations commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis, la réforme de l'OMC, la mise en oeuvre des accords de libre-échange, la dernière partie du conseil étant dédiée aux relations entre l'Union européenne et la Chine ainsi qu'à un tour d'horizon des négociations bilatérales. Je m'attacherai ici à vous présenter les positions que les autorités françaises défendront et à me mettre à l'écoute des suggestions de votre commission.

Les discussions commerciales entre l'Europe et les États-Unis se sont crispées ces dernières semaines en raison de l'adoption par ces derniers d'un ensemble de mesures contraires aux intérêts européens et assez inattendues de la part d'un allié. Aux sanctions tarifaires prises dans le cadre du contentieux Airbus risquent de s'ajouter des droits de douane additionnels sur les importations d'automobiles européennes au motif que celles-ci menaceraient la sécurité nationale américaine – cherchez le lien ! Quant à la taxe sur le numérique votée par le Parlement français, elle est jugée discriminatoire par l'administration américaine.

Après l'arbitrage rendu sur le contentieux impliquant les aides versées par les États européens à Airbus, qui a duré plusieurs années, des droits de douane supplémentaires s'appliquent, depuis le 18 octobre, sur de nombreux produits français et européens. La France se trouve particulièrement touchée, les secteurs les plus concernés étant l'aéronautique et les vins. Bruno Le Maire et moi-même nous sommes mobilisés dès le début de la crise et avons reçu les représentants des filières. Nous travaillons désormais avec les commissaires sectoriels pour inciter l'Union européenne à adopter une réponse appropriée, c'est-à-dire à faire usage de tous les moyens dont nous disposons, à commencer par la négociation. Nous étions, en effet, ouverts, avant même la mise en place des sanctions, à travailler sur un règlement en matière d'aides aéronautiques. Un communiqué de Robert Lighthizer, représentant américain au commerce, prônait une même ouverture ; il n'a toutefois mené à rien de concret.

Nous gardons cependant une main tendue afin d'éviter une escalade qui serait encore plus dommageable pour nos intérêts économiques et que les filières sont, elles aussi, attachées à voir enrayée. La Commission cherche ainsi à négocier avec les Américains un accord amiable sur les modalités de financement du secteur aéronautique. Cecilia Malmström, la commissaire au commerce sortante, s'est entretenue jeudi dernier avec Robert Lighthizer, et Bruno Le Maire lui avait transmis ce message à la mi-octobre à l'occasion des assemblées générales du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Si l'Union européenne a été condamnée pour les aides versées à Airbus, les États-Unis le seront aussi pour les aides accordées à Boeing et, d'ici à 2020, l'Union européenne sera autorisée à prendre des sanctions contre les États-Unis. Ces sanctions mutuelles sont absurdes et nuisent aux intérêts des deux parties, car un droit de douane additionnel pèse sur le consommateur final. Nous devons donc trouver une solution qui soit bénéfique aux deux parties et qui prévoie le retrait des sanctions et la mise en place d'un cadre agréé sur les modalités de financement du secteur aéronautique des deux côtés de l'Atlantique. Nous y travaillons sans relâche mais, reconnaissons-le, avec peu de répondant de l'autre côté.

Les autres outils dont nous disposons sont les mesures d'accompagnement pour soutenir les filières ; la filière viticole, en particulier, est durement affectée par les sanctions. Avec nos partenaires italiens et espagnols, nous avons fait des propositions au niveau européen qui ont été formalisées au Conseil des ministres de l'agriculture du 14 octobre dernier. Elles portent notamment sur la mise en oeuvre rapide d'opérations de promotion dans les pays tiers. Il faut savoir que pour certaines catégories de vins, le marché américain représentait jusqu'à 50 % des débouchés. Les droits de douane additionnels vont induire une préférence pour des vins issus d'autres territoires, d'autres terroirs, d'autres pays. Il est donc urgent d'accélérer la promotion auprès d'autres destinations, notamment le Japon et le Canada, avec lesquels des accords ont été signés, et où les ventes des vins et spiritueux français connaissent une bonne progression.

Nous avons également demandé à la Commission européenne de garantir une sécurité juridique pour activer nos outils nationaux de promotion – le ministère de l'agriculture en a fait la demande – et la possibilité de recourir aux mesures exceptionnelles de l'organisation commune de marché pour compenser les éventuelles pertes. Nous devrions connaître les suites réservées à nos demandes lors du prochain Conseil des ministres de l'agriculture, qui se tiendra en décembre.

Nous nous sommes également adressés, à titre national, à l'agence Business France, qui accompagne déjà 1 600 entreprises du secteur, afin qu'elle intensifie ses actions pour aider les entreprises de la filière viticole à développer leur potentiel, notamment au Japon et au Canada. Il est très important d'être au rendez-vous, car les conséquences de cette décision américaine pourraient s'avérer désastreuses pour un certain nombre d'entreprises.

Le deuxième contentieux éventuel réside dans la menace agitée par les États-Unis d'appliquer des droits de douane additionnels sur les importations de voitures en provenance de l'Union européenne, pour des raisons de sécurité nationale. Cette décision serait prise sur le fondement de la section 232 du Trade Expansion Act de 1962 et pourrait être mise à exécution dès le 13 novembre, date à laquelle le délai de six mois prévu par la procédure aura expiré. Le président américain aura alors trois choix possibles. La première option serait d'imposer des droits de douane additionnels à un niveau encore inconnu mais qui pourrait tout de même atteindre 25 %. Cela étant, plusieurs constructeurs européens ont localisé une partie de leur outil de production aux États-Unis. C'est d'ailleurs un des arguments utilisés pour faire comprendre aux Américains que ces taxes viseront aussi des constructeurs qui emploient et qui créent de la valeur sur leur territoire national. La deuxième option serait de reporter la décision, ce qui a déjà été fait en mai dernier. La troisième serait de renoncer à taxer les importations d'automobiles, ce qui est peu probable. Les parties prenantes rencontrées – le Congrès, les constructeurs automobiles – nous ont indiqué que l'exécutif américain devrait – le conditionnel est de rigueur, l'imprévisibilité étant la marque des dernières décisions – privilégier un report de la décision afin de conserver un moyen de pression sur les Européens. La France rappellera, lors du prochain Conseil commerce, que les menaces américaines au titre de la section 232 ne doivent pas conduire la Commission à accepter des concessions sur d'autres secteurs que celui de l'automobile ; je pense notamment au secteur agricole. J'avais évoqué, lors d'une précédente audition, le communiqué commun des présidents Trump et Juncker du 25 juillet 2018 sur le cadre de discussion entre les États-Unis et l'Union européenne, dont l'agriculture était exclue. Les Américains cherchent, depuis lors, à faire revenir par la fenêtre ce qui avait été évacué par la porte. Même si la Commission a toujours été ferme sur le sujet, nous réitérerons le message à toutes fins utiles.

Le troisième contentieux qui envenime la relation entre l'Union européenne et les États-Unis porte sur la taxe numérique française : l'administration Trump enquête pour déterminer si celle-ci constitue une pratique commerciale « déraisonnable, discriminatoire ou qui restreint le commerce américain ». Nous avions obtenu, lors du G7 de Biarritz, un compromis bilatéral avec un sursis temporaire, lequel arrivera à échéance le 25 novembre. Les États-Unis sont donc susceptibles d'adopter, d'ici à la fin de l'année, de nouvelles sanctions tarifaires à l'encontre de produits européens. Nous rappelons que des travaux sont en cours au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour instaurer une taxation internationale qui prenne en compte la digitalisation des entreprises ; nous avons bon espoir qu'ils débouchent début 2020. Nous maintenons le contact de façon très étroite avec les équipes du représentant au commerce et du Trésor américains ; une délégation française de la direction de la législation fiscale (DLF) et du Trésor se rendra d'ailleurs sur place la semaine prochaine à cette fin. Nous expliquerons à nos amis européens, lors du Conseil des ministres du commerce, quelle démarche a présidé à l'élaboration du texte portant création d'une taxe sur les services numériques déposé par le Gouvernement et adopté au Parlement afin de rétablir la vérité face à la position américaine, car ce sujet est fondamental dans l'économie du XXIe siècle. Nous ferons part de notre optimisme concernant l'avancée des travaux à l'OCDE et demanderons aux États membres de faire front commun avec la France si les États-Unis se décidaient à imposer des droits supplémentaires.

L'examen de ces trois cas montre que les États-Unis ont pour objectif constant de créer un rapport de force en leur faveur au moyen de l'imposition, agitée comme une menace ou effective, de droits de douane. Nous pensons que cela ne doit pas conduire l'Union européenne à accepter des concessions en dehors de celles agréées dans les mandats relatifs à un accord tarifaire sur les biens industriels ou à un accord de coopération réglementaire. Bien que la France n'y ait pas souscrit, les négociations sur ces accords ont commencé, compte tenu du système de majorité en vigueur. Elles sont totalement bloquées sur l'accord tarifaire, puisque les États-Unis cherchent à y intégrer l'agriculture, ce que l'Union européenne refuse. Quant à la coopération réglementaire, elle avance à un rythme modéré. On constate que l'appétence des Américains pour ces négociations est assez faible étant donné que l'agriculture n'y figure pas. En outre, ces derniers sont assez obnubilés par leurs négociations avec la Chine, qui mobilisent du temps et de la bande passante, si je puis dire. Face au refus des États-Unis d'infléchir leur position sur le volet tarifaire, nous appellerons le Conseil à s'en tenir au mandat adopté en avril dernier. Remettre à l'agenda la question agricole n'est clairement pas envisageable pour la France. J'y insiste car je vous sais très attachés, les uns et les autres, aux terroirs, à nos agriculteurs et à nos filières.

Le deuxième point à l'ordre du jour de ce conseil sera la réforme de l'OMC, dont le succès dépendra également de notre capacité à restaurer un dialogue constructif avec les États-Unis, mais aussi à poursuivre le travail entamé avec la Chine, car pour que nous puissions traiter le problème à la racine, nos amis chinois ont encore du chemin à parcourir. L'OMC est aujourd'hui dans une situation critique et risque clairement l'extinction, ce qui aurait pour conséquence un retour au commerce administré et à des conflits commerciaux de grande ampleur. Si l'organe d'appel de l'Organe de règlement des différends (ORD) est bloqué, les États seront potentiellement amenés à se faire justice eux-mêmes. C'est pourquoi la France s'est engagée très vigoureusement en faveur d'une réforme de l'OMC, dont le cadre doit être adapté à la réalité commerciale mondiale du XXIe siècle. Compte tenu des tensions actuelles entre les deux grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis, il est assez difficile d'avancer sur ce sujet. Nous devons veiller à ce que l'accord sur lequel ces deux pays travaillent n'ait pas de conséquences dommageables pour le système multilatéral. Un certain nombre de règles préférentielles pourraient, en effet, être consenties aux États-Unis par les Chinois, notamment sur l'investissement ou les joint ventures (JV), les opérations conjointes entre entreprises de nationalités différentes.

Notre travail avec l'Union européenne se déploie à travers plusieurs formats. Un premier groupe de travail associe l'Union européenne, les États-Unis et le Japon pour tenter de définir de nouvelles règles visant à renforcer l'équité des conditions de concurrence et à encadrer les subventions à l'industrie. Un deuxième groupe de travail associe l'Union et les Chinois, car nous devons faire prendre conscience à ce partenaire qu'il ne peut maintenir un capitalisme d'État subventionnant abondamment certaines industries et créant des distorsions défavorables à nos propres producteurs. À défaut, aucune solution multilatérale ne pourra être envisagée, et la guerre commerciale prendra de l'ampleur par contagion. La prochaine réunion de ce groupe aura lieu le 7 novembre, soit après-demain. Vous le constatez, notre ambition est vraiment de traiter les causes profondes de la fragilisation du système, les pratiques distorsives de concurrence des pays tiers.

À cet égard, nous pouvons partager l'analyse des Américains sur certains points. Le cadre de l'OMC est, en effet, bien moins précis que le cadre européen. Il ne permet pas de tenir compte, par exemple, de la mise à disposition de terrains ou du versement de subventions par les États à certaines industries. Il est donc perfectible et doit être parachevé, peaufiné pour répondre aux enjeux actuels. Il faut reconnaître que certains griefs formulés par les États-Unis contre le système de règlement des différends de l'Organisation sont justifiés. En bloquant le renouvellement des membres de l'organe d'appel, ils menacent toutefois de faire ployer tout l'édifice, car plus aucun appel ne sera possible à partir du 11 décembre s'ils restent sur leur position. Certes, les délais de traitement des litiges sont souvent trop longs. Lors de la création de l'OMC, les règles établissaient que les procédures devaient durer quatre-vingt-dix jours. En raison notamment de la complexité du droit et du volume des dossiers et annexes établis par les avocats, les délais d'instruction ont dérapé et, conséquemment, la durée d'exercice du mandat des membres de l'organe d'appel puisque ces derniers pouvaient continuer à statuer après la fin de leur mandat sur les affaires dont ils avaient été saisis auparavant. Les États-Unis reprochent, en outre, à l'organe d'appel d'avoir outrepassé son pouvoir en créant un droit jurisprudentiel, par exemple en resserrant les conditions de déclenchement des clauses de sauvegarde. Les critiques formulées sont donc bien recevables.

Je tiens à saluer le travail effectué par l'ambassadeur David Walker, représentant permanent de la Nouvelle-Zélande auprès de l'OMC, qui a été chargé de mettre à plat les critiques américaines pour y apporter des réponses. Sur ce fondement solide, nous devrions pouvoir avancer, mais, là encore, nous n'avons pas de retour de la part des Américains, qui entendent peut-être stratégiquement conserver un levier jusqu'au dernier moment. En tout cas, s'il y a une volonté de sauver l'organe d'appel et de réformer l'Organisation, les moyens d'y parvenir sont là.

Que se passera-t-il le 12 décembre, échéance qui pourrait sceller l'impossibilité de fonctionnement de l'organe d'appel de l'ORD lorsque ses membres titulaires ne seront plus que deux, soit un nombre insuffisant pour que leurs délibérations puissent être validées ? La première option serait que plusieurs membres de l'OMC s'accordent pour mettre en place, au sujet des affaires qui les opposent, un appel de substitution avec des arbitres désignés. Certains membres pourraient toutefois décider de ne pas souscrire à ce mécanisme, de sortir du cadre de l'OMC et de se faire justice eux-mêmes en imposant leurs propres sanctions. Ce contexte nous impose de réfléchir aux mesures que pourrait prendre l'Union européenne si le pire devait advenir.

La prochaine conférence ministérielle de l'OMC, qui se tiendra en juin 2020 à Noursoultan, le nouveau nom de la capitale du Kazakhstan, marquera un tournant important. La précédente, qui avait eu lieu à Buenos Aires en décembre 2017, n'avait guère donné de résultat. Nous espérons progresser sur plusieurs dossiers. L'encadrement des subventions à la pêche pour éliminer les aides illégales n'avait pas abouti en 2017 ; nous espérons cette fois arriver à la conclusion d'un accord qui répondrait à la nécessaire prise en compte des objectifs de développement durable dans le commerce. Plusieurs négociations plurilatérales, impliquant seulement une partie des membres de l'OMC et ayant vocation à s'étendre à tous, porteront sur le commerce électronique et sur la facilitation de l'investissement.

En conclusion sur l'OMC, la France insistera lors du prochain Conseil des ministres à Bruxelles sur la nécessité de redoubler les efforts et d'envisager de nouvelles pistes pour faire avancer la réforme. Nous avons le travail de David Walker, il faut maintenant un élan politique qu'il appartient aux dirigeants d'imposer. Il faut également donner un nouveau souffle à la trilatérale Union européenne, États-Unis, Japon et essayer d'engager un dialogue politique au plus haut niveau avec les Américains pour sortir de l'impasse.

Le troisième point à l'ordre du jour concerne la mise en oeuvre des accords commerciaux. La Commission européenne a rendu son troisième rapport sur le sujet – j'ai demandé que ce document vous soit transmis numériquement, car il permet de voir si nos filières en ont tiré profit. Il dresse un état des lieux sur les trente-cinq accords passés avec soixante-deux partenaires et constitue une base de travail solide et étayée, avec pour visée une meilleure transparence de l'information dans les relations de la Commission avec le Conseil, avec le Parlement européen et avec les parlements nationaux. On constate que les accords commerciaux continuent de produire des effets positifs en termes de facilitation des échanges. C'est le cas, en particulier, de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Canada, qui nous a occupés de longues heures il y a quelques mois : les exportations agricoles européennes vers le Canada ont augmenté de 4 %, et celles de la France de 8 à 9 % en moyenne. Voilà qui plaide pour la poursuite du processus. Le projet de loi autorisant la ratification de l'accord a été adopté par l'Assemblée nationale puis transmis au Sénat. Notre intention est qu'il y soit débattu au printemps prochain, ce qui laissera à la Haute assemblée le loisir de l'examiner sous toutes les coutures. D'ici là, nous continuerons de suivre sa mise en oeuvre et la façon dont le gouvernement canadien observe la feuille de route bilatérale ambitieuse en matière environnementale.

Pour en revenir aux accords commerciaux, la façon dont les entreprises se les sont appropriés est inégale selon les zones géographiques. En Turquie, en Suisse, en Corée, en Jordanie et en Ukraine, les entreprises utilisent trois fois sur quatre ou quatre fois sur cinq les préférences octroyées à l'Union européenne. En Amérique centrale, en revanche, les accords ne sont utilisés qu'à hauteur de 30 % de leur potentiel. Des marges d'amélioration existent donc et un travail reste à faire par les représentants des entreprises et par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), qui sensibilise régulièrement les entreprises à toutes ces opportunités.

Enfin, nous pensons que l'Union européenne doit, sans hésiter, enclencher les procédures contentieuses prévues par les accords lorsque ceux-ci sont violés par nos partenaires, comme elle l'a fait récemment à l'encontre de la Corée du Sud, qui n'a toujours pas ratifié quatre conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT). Lors du prochain Conseil commerce, nous demanderons, comme à chaque fois, un point d'information sur les actions menées, les contentieux en cours et l'activation des procédures de règlement des différends, car nous devons tout simplement nous faire respecter.

Le quatrième et dernier point de l'ordre du jour a trait aux relations commerciales de l'Union européenne avec la Chine et aux autres négociations bilatérales. Sur le premier sujet, la semaine est particulièrement importante, puisque le Président de la République est en visite d'État à Pékin et que ce déplacement coïncide avec la tenue à Shanghai de la Foire internationale des importations en Chine. Une réunion informelle des ministres du commerce de l'OMC se tient également aujourd'hui même et, comme je l'ai déjà indiqué, le groupe de travail entre l'Union européenne et la Chine sur la réforme de l'OMC doit se réunir jeudi. C'est donc un moment clé, dont nous espérons beaucoup.

Nous pouvons nous réjouir de l'évolution doctrinale qu'illustre l'adoption, en mars dernier, d'une communication conjointe de la Commission et du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) sur les relations entre l'Union européenne et la Chine. Cette dernière y est présentée à la fois comme un partenaire – ce qu'elle est, par exemple, sur le climat et sur d'autres défis mondiaux – et comme un concurrent économique, « un rival systémique ». C'est une révolution, car, sur beaucoup de dossiers, le filtrage des investissements directs étrangers notamment, les pays du sud de l'Europe ou d'Europe centrale et orientale, qui ont accueilli de nombreux investissements chinois ces dernières années, étaient très réticents à envisager la relation avec la Chine de façon plus équitable et à promouvoir la réciprocité. Cette communication marque donc un changement de mentalité au sein de l'Union européenne qui est particulièrement bienvenu. Nous souhaitons, pour notre part, une relation économique plus équilibrée, qui permette la révision de certaines règles afin de garantir des conditions de concurrence équitables. Nous avons, en effet, tout intérêt à conserver des règles plutôt qu'à évoluer dans une zone de non-droit en matière commerciale ; c'est le message, la méthode prônés par le Président de la République en Chine. Les guerres commerciales ne présentent d'avantages pour personne et ne sont pas faciles à gagner.

Lors du prochain Conseil des affaires étrangères sur le commerce, je plaiderai au nom de la France pour qu'on avance dans la formation d'outils européens de nature à promouvoir la réciprocité en matière de marchés publics. Dès lors que nos amis chinois ont pu gagner des marchés publics en Europe centrale, il importe que nous ayons la possibilité de répondre à certains marchés publics en Chine.

Il est temps également d'arriver à conclure l'accord global en matière d'investissement, sur lequel les négociations sont en cours depuis 2013. L'objectif fixé lors du dernier sommet Union européenne-Chine en avril dernier était d'y parvenir en 2020, mais cela dépendra de l'offre révisée attendue de la part de la Chine pour la fin de l'année, car ce qui importe, c'est le contenu. Nous devons maintenir un niveau d'ambition élevé, car nos entreprises sont contraintes de s'associer en joint venture avec des entreprises chinoises pour pénétrer ce marché. Une ouverture effective du marché, des conditions de concurrence équitables, sans transferts de technologie forcés ni subventions étatiques, voilà les éléments sur lesquels nous serons très vigilants. Nous serons également attentifs à la protection du droit à réguler et au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Sur ce point, le niveau d'exigence est supérieur à celui qui prévalait il y a dix ou quinze ans. Le nouveau modèle de règlement des différends adopté pour le CETA est, d'ailleurs, en quelque sorte la préfiguration de la cour permanente des investissements que nous appelons de nos voeux.

Avant d'arriver à la conclusion d'accords sur ces sujets, nous pouvons d'ores et déjà nous réjouir que les négociations sur les indications géographiques protégées aient abouti. Pour la France, ce sont vingt-six IGP, notamment des vins comme le Beaujolais, le Bordeaux, le Chablis ou des fromages comme le Roquefort ou le Comté, qui sont reconnues. Sur le marché chinois, cette reconnaissance vaut protection contre les contrefaçons et les falsifications, dont plusieurs producteurs de vin ont été victimes. Cet accord est, en outre, vivant, c'est-à-dire qu'à la première liste de cent IGP européennes pourrait s'en ajouter rapidement une autre. Au moment où le marché chinois s'oriente de plus en plus vers les produits de qualité, ce travail sur les IGP donne un avantage compétitif à nos producteurs.

Je vous propose maintenant un petit tour d'horizon des accords commerciaux qui ont abouti ou qui sont en cours de négociation dans d'autres zones géographiques.

Mme la présidente a évoqué l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur. Il est certain qu'au-delà de son texte, l'accord sera jugé sur les actes et les résultats concrets qu'il donnera. Ainsi, malgré les engagements pris par le président Bolsonaro lors du G20 d'Osaka, le gouvernement brésilien a mené des actions clairement en contradiction avec les engagements de l'Accord de Paris. On a vu le peu de cas qu'il faisait de la lutte contre le réchauffement climatique, alors que, dans le cadre de la COP21, le Brésil a consenti en particulier à replanter 12 millions d'hectares de forêt d'ici à 2030. Le Président de la République a tiré les conclusions de tout cela et annoncé que la France ne pouvait pas soutenir le texte en l'état. Je redis ici la position française.

Reprenant la méthodologie mise au point lors du précédent du CETA, grâce au travail conjoint que nous avions conduit avec la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, nous avons mandaté une commission d'experts indépendants, afin de procéder à une évaluation rigoureuse de cet accord. Vous m'avez interrogé sur son travail, mais le Gouvernement n'a pas de droit de regard dessus. À peine savons-nous qu'elle envisage de rendre un rapport intermédiaire au mois de décembre, le rapport final devant intervenir dans le courant du premier trimestre de l'année prochaine. Parallèlement, une étude d'impact prospective également indépendante est menée sur les conséquences de l'accord sur nos filières agricoles sensibles.

Du côté de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, les négociations progressent convenablement. La France est particulièrement attentive aux filières agricoles sensibles et communique régulièrement ses préoccupations aux autorités ministérielles australiennes et néo-zélandaises. Je pense que le message est bien reçu de leur côté.

La Nouvelle-Zélande est particulièrement volontariste en matière de développement durable. Elle constitue même un allié pour convaincre certains collègues européens puisque la Première ministre, Jacinda Ardern, a souhaité que l'Accord de Paris soit « clause essentielle » de l'accord à venir. Ce serait un précédent formidable que d'arriver à inciter les Européens à y souscrire également. En marge de l'Assemblée générale des Nations unies, Jacinda Ardern a annoncé une politique commerciale beaucoup plus verte. Nous nous pencherons sur son plan, car nous portons la même ambition.

Un peu plus au nord, la zone de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) fait l'objet d'un agenda de négociation ambitieux. Un accord de libre-échange et de protection des investissements a été signé avec Singapour à la fin de l'année 2018 et approuvé par le Parlement européen au début de cette année. Il doit désormais être adopté par le Comité des représentants permanents (COREPER) puis par le Conseil. Cet accord reflète pleinement la nouvelle approche européenne, qui inclut notamment la protection du droit à réguler et le système des cours d'investissement. Il devrait être ratifié par l'ensemble des parlements des États pour entrer en vigueur. Vous serez donc amenés à vous prononcer.

Un autre accord de libre-échange et de protection des investissements est en cours de négociation avec le Vietnam. Le Parlement européen sera conduit à se prononcer début 2020 sur cet accord, qui comprend des enjeux importants pour l'économie française puisqu'un certain nombre de filières pourront en bénéficier.

Les négociations entre l'Union européenne et l'Indonésie se poursuivent de façon assez lente.

Pour conclure, nous devons articuler toujours plus et mieux commerce et développement, en posant certaines conditions, telles que la priorité à la mise en oeuvre du mécanisme de réduction des émissions de carbone, l'approbation de l'Accord de Paris comme clause essentielle, et la prise en compte du chapitre relatif au développement durable de nos accords commerciaux dans le mécanisme de règlement des différends. La feuille de route est dense ; nous espérons la remplir avec votre soutien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.