Intervention de Alice Guitton

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 11h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie :

Vous m'avez fait l'honneur de m'accueillir il y a un an alors que je venais de prendre mes fonctions à la tête de la DGRIS. Aujourd'hui, au terme d'une année marquée par d'intenses bouleversements et évolutions stratégiques, c'est avec un grand plaisir mais aussi avec le même sens aigu des responsabilités que je reviens m'exprimer devant votre commission.

En ma qualité de directrice générale des relations internationales et de la stratégie, j'assume effectivement la responsabilité du programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense ». Je vous présenterai plus loin les orientations liées à ses trois domaines d'action que sont le renseignement, la prospective de défense et les relations internationales.

Préalablement je souhaiterais, ainsi que vous m'y avez invitée, revenir sur la valeur ajoutée de la DGRIS, son positionnement et ses missions au sein du ministère des Armées et en interministériel tels que je les conçois au bout d'un an d'activité. Un rôle de la DGRIS qui me semble, face à un contexte stratégique et de défense complexe et menaçant, plus sollicité plus que jamais, et dont il faut consolider la progression vers ce que j'appellerais une véritable maturité institutionnelle, dans le prolongement de la réforme qui a conduit à sa création en 2015.

Enfin, je poursuivrai par un tour d'horizon des principaux enjeux de défense auxquels nous faisons face avec nos partenaires européens et Alliés, et pour lesquels la DGRIS s'efforce d'apporter des clés de décryptage, de compréhension, d'anticipation, de prévention, d'action et de préparation pour l'avenir.

Placée sous l'autorité directe de la ministre des Armées et de son cabinet, la DGRIS assume avec une grande détermination le large spectre des missions qui lui ont été confiées par le décret fondateur n° 2015-4 du 2 janvier 2015 fixant ses attributions et son organisation. Ces missions s'articulent autour de deux volets. Le premier, celui des relations internationales, conduit la DGRIS à agir en cohérence avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, à coordonner l'action internationale du ministère des Armées, à contribuer à la définition, y compris en interministériel, des positions de la France au sein des organisations internationales sur toutes les questions de défense, et à mener un dialogue politique et stratégique avec les directions homologues de nos alliés et de nos partenaires en appui des échanges menés au niveau ministériel.

Ces missions de pilotage et de coordination de l'action internationale se traduisent plus spécifiquement ensuite par la validation de plans de coopération et par la coordination des instructions adressées à nos attachés de défense et aux représentations militaires et de défense auprès des organisations internationales.

Pour la conduite des opérations des armées, le soutien aux opérations d'exportation et les coopérations en matière d'armement, la DGRIS intervient en appui de l'État-major des armées (EMA) et de la Direction générale de l'armement (DGA).

Le second volet des missions de la DGRIS est celui de la stratégie, le « S » de la DGRIS. Il recouvre le pilotage ministériel des travaux de prospective stratégique ainsi que la coordination des travaux préparatoires nécessaires à l'élaboration et à l'actualisation régulière du Livre blanc.

La DGRIS veille également, en liaison avec l'État-major des armées, la DGA et le Secrétariat général pour l'administration (SGA), à l'articulation efficace entre la stratégie de défense et la programmation militaire. C'est ainsi qu'elle a coordonné les travaux de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, dont les conclusions ont contribué à l'élaboration de la LPM.

Enfin, la DGRIS continue d'assumer son rôle important de pilote en matière de lutte contre la prolifération, de maîtrise des armements et de contrôle des transferts sensibles, qu'il s'agisse des matériels de guerre ou des biens à double usage.

Au-delà de la diversité des tâches assumées, que je viens de rappeler, je voudrais partager avec vous la manière dont je perçois la valeur ajoutée de la DGRIS dans un contexte de transformation et de modernisation en cours du ministère des Armées et de l'État.

La DGRIS, à périmètre de missions constant, doit être en mesure de jouer encore davantage, chaque jour, son rôle d'ensemblier, de catalyseur, d'intégrateur de la fonction « relations internationales et stratégie » au sein du ministère. Concrètement cela signifie être capable de lier efficacement et d'optimiser les ressources mobilisées en appui de nos relations de défense : des dialogues stratégiques et politiques, des coopérations militaires et opérationnelles et une coopération d'armement. De ce point de vue, j'observe des progrès prometteurs.

La DGRIS doit continuer à faire davantage pour que se diffuse au sein du ministère la culture stratégique indispensable à la bonne appréhension du monde actuel tel que nous l'observons, ses lignes de tension, ses fractures, mais aussi ses opportunités. En ce domaine, l'objectif est simple : conduire le ministère à être plus agile, en reliant les dynamiques de court et de long termes, et plus résilient, en étant capable d'anticiper les ruptures stratégiques et technologiques et de s'y préparer.

Pour y parvenir, il convient d'articuler plus étroitement et de manière continue la mise en oeuvre de la LPM avec les travaux de doctrine ou de portée stratégique que nous menons. Parmi ces nombreux travaux, nous pouvons citer ceux réalisés sur la stratégie spatiale, le cyber, l'intelligence artificielle, ou encore ceux concernant la stratégie de défense en Indopacifique.

Tout cela doit nous conduire à relier nos objectifs stratégiques avec leurs déclinaisons concrètes.

La contribution de la DGRIS à ces différents travaux est importante. Elle doit s'accompagner, plus encore aujourd'hui, d'une communication stratégique appropriée. Il s'agit d'un point essentiel, qui correspond au besoin croissant que j'identifie de convaincre au moins autant que d'agir pour fédérer nos partenaires à nos initiatives. J'ai à l'esprit notamment l'exemple de la notion d'autonomie stratégique européenne portée par la France ou encore l'initiative européenne d'intervention (IEI) à laquelle vous faisiez référence, Madame la présidente, dont les termes ont pu susciter quelques inquiétudes ici ou là et qu'il nous faut continuer d'expliquer.

À ce titre, nous devons renforcer nos capacités à mobiliser tous nos leviers d'influence de manière mieux coordonnée au sein du ministère et plus réactive : depuis la conception et le pilotage au niveau de l'administration centrale, jusqu'à la mise en oeuvre au niveau local par le biais du réseau des missions de défense, sans oublier nos instituts de recherche stratégique ainsi que les think tanks, et les milieux académiques et de recherche. Il convient donc de décliner une stratégie d'influence internationale.

Par ailleurs, notre domaine d'analyse, l'environnement de sécurité et de défense, apparaît de plus en plus complexe, car il met en jeu un grand nombre d'acteurs et recouvre des problématiques de plus en plus globales. De plus, le spectre d'expertises à mobiliser est de plus en plus large et pointu. Un sujet quel qu'il soit ne peut plus être traité isolément. Il s'inscrit dans une pluralité de problématiques qui s'alimentent. Confrontation de puissances, ruptures et tensions stratégiques, alliances et partenariats, multipolarité nucléaire, prolifération, maîtrise des armements, terrorisme, migrations – tous ces sujets, sur différents points du globe, se mêlent et doivent être analysés selon les différents angles en même temps. La transversalité des approches et la fluidité des échanges d'informations doivent donc prévaloir.

C'est dans ce contexte que je m'efforce aussi de renforcer la coordination confiante et efficace avec le Quai d'Orsay.

Le besoin accru en experts et analystes de grande qualité et spécialisés, doit entraîner la constitution d'un vivier d'experts pérenne, au sein duquel le ministère – DGRIS, Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), État-major des armées – sera en mesure de puiser des forces vives. Un vivier également susceptible de se nourrir de la recherche stratégique que nous encourageons directement. Un vivier enfin, qui permette de renforcer notre présence dans les organisations internationales pertinentes. Je songe notamment à l'actualité de la mise en place de la direction générale chargée de l'industrie de la défense et de l'espace au sein de la Commission européenne, mais aussi, bien sûr, à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Nous avons aussi besoin de nous exporter, avec des experts, vers nos partenaires externes, qu'ils soient privés – think tanks – ou publics – laboratoires de recherche universitaires.

Pour être à la hauteur de l'ensemble de ces défis et ambitions, nous devons également pouvoir continuer à nous appuyer sur un réseau diplomatique de défense solide, ciselé au plus juste de nos ambitions et de nos moyens. Nous devons aussi pouvoir compter sur le déploiement d'officiers de liaison et d'échange, des actions de formation de militaires étrangers en France, ainsi que d'information et de rayonnement variées dont le programme des « personnalités d'avenir défense » (PAD) que pilote la DGRIS.

À cet égard, je souhaiterais vous communiquer quelques chiffres afin d'illustrer les moyens humains et les leviers dont nous disposons et qu'il convient de consolider.

Notre réseau diplomatique de défense comprend aujourd'hui 89 missions de défense couvrant 166 pays dont 77 suivis en non-résidence, ainsi que les représentations militaires et de défense et les conseillers militaires auprès des organisations internationales.

La réforme interministérielle engagée en 2018 sur les réseaux de l'État à l'étranger entraînera pour le ministère des Armées une déflation nette de 5 % soit 17 postes sur notre réseau d'ici 2022, mais nous préservons globalement la couverture d'universalité de notre dispositif qui reste comparable à celui du Royaume-Uni et qui nous place au troisième rang après les États-Unis et la Chine.

Deuxième levier : 268 officiers dans 28 pays assurent aujourd'hui des liaisons avec les forces armées avec lesquelles nous sommes engagés dans des actions opérationnelles en cours ou futures. 61 officiers d'échange sont directement intégrés et travaillent au contact des forces armées de sept pays partenaires. Ces officiers de liaison et d'échange, dont certains sont insérés dans des états-majors multinationaux, relèvent certes de l'État-major des armées, mais ils sont répartis et mis en place en concertation avec la DGRIS et ils opèrent localement en étroite coordination avec nos attachés de défense.

Troisième levier : 49 dialogues stratégiques ont été conduits en 2018 au niveau ministériel et des directions politiques de défense, 118 plans de coopération bilatéraux sont mis en oeuvre et déclinés au jour le jour, et plus de 550 militaires étrangers sont accueillis dans les organismes de formation du ministère des Armées – qu'ils suivent des formations longues (École de l'air, École navale, Saint-Cyr, École de guerre, écoles d'application) ou discontinues, pour des formations très spécialisées.

Tous ces chiffres montrent que le volume d'activités s'accroît en raison de la hausse de la demande qui s'adresse à nous. Cette demande repose sur des équipes compactes au sein de la DGRIS : 211 personnes, hors Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) dont les effectifs sont de 37 personnes, et un réseau extérieur rationalisé au maximum comme je l'indiquais.

Mais ces chiffres seraient inertes si je ne pouvais vous assurer avec conviction et sans hésitation de l'engagement plein et entier, de la motivation et des compétences des équipes en place dont les profils sont très variés. La DGRIS est en effet composée pour moitié de civils et pour moitié de militaires. C'est sur ces talents que je m'appuie pour progresser sur les différents axes que j'ai mentionnés : la transversalité, l'anticipation, la fluidité du partage d'informations, la réactivité, qui sont indispensables à l'intelligence collective et à l'efficacité de notre ministère.

J'en viens à présent au programme 144, dont vous m'avez demandé de rendre compte. Le périmètre budgétaire de ce programme est plus large que celui des missions de la DGRIS, mais il s'inscrit en parfaite cohérence avec ce dernier.

C'est un programme qui bénéficie d'une hausse continue de ses crédits dans la LPM 2019-2025, conformément aux conclusions de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui placent l'innovation et le renseignement au coeur de la fonction « connaissance et anticipation » du Livre blanc. Au Projet de loi de finances (PLF) 2020, le programme 144 se voit doté en crédits hors titre 2 de 1 766 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 8,5 %, et de 1 548 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 5 %, ce qui représente un accroissement substantiel.

Le programme 144 contient trois actions dont la conduite est répartie entre la DGRIS, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD), la DGA et l'État-major des armées : l'action 3 intitulée « recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la Défense », l'action 7 sur la prospective de défense et l'action 8 sur les relations internationales et la diplomatie de défense.

L'action 3 couvre les besoins de la DGSE et de la DRSD. Ses crédits s'élèvent à 399 millions d'euros en AE et à 365 millions d'euros en CP, soit une augmentation respective de 14 % et de 1,7 %.

La DGSE bénéficie de 376 millions d'euros en AE et de 348 millions d'euros en CP et dispose d'un champ de compétences global couvrant les champs sécuritaire, politique et économique des enjeux internationaux.

La DGSE s'est engagée à poursuivre des développements capacitaires sur ses dispositifs techniques au bénéfice de l'ensemble de la communauté du renseignement ainsi que sur la cyberdéfense, et à garantir une autonomie technique et un renseignement stratégique de qualité. En outre, la DGSE renforcera, grâce à ses moyens, ses capacités allouées à l'appui aux opérations – liaison tactique, équipement – afin d'améliorer le soutien et l'efficacité des agents sur le terrain.

Parallèlement à la croissance capacitaire du service, la DGSE entend renforcer sa résilience dans les domaines de l'immobilier, de la sécurité des emprises et des systèmes d'information et de télécommunication.

La DRSD bénéficie pour sa part de 23,4 millions d'euros en AE et de 16,4 millions d'euros en CP. Il s'agit du service de renseignement dont dispose la ministre des Armées pour assumer ses responsabilités en matière de sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles.

L'accroissement des besoins de protection de la défense appelle à une montée en puissance rapide de la DRSD pour se moderniser et se transformer en un service de renseignement de temps de crise durable, à l'étranger comme sur le territoire national.

Les ressources inscrites au PLF 2020 doivent permettre à la DRSD de financer plusieurs projets structurants, dont la conception et le déploiement de la nouvelle base de souveraineté du Service qui permettra de recueillir et d'exploiter le renseignement, ainsi que la poursuite du plan d'équipement en moyens techniques de la direction centrale et de ses échelons déconcentrés.

J'en viens à présent à l'action 7 qui couvre les besoins de la prospective de défense portée par la DGRIS, l'État-major des armées et la DGA. En PLF 2020, ses crédits enregistrent une augmentation de 7 % en AE et 6 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, pour s'élever au total à 1 327 millions d'euros en AE et 1 143 millions d'euros en CP.

Cette augmentation touche les trois sous-actions de la prospective : les études prospectives et stratégiques pilotées par la DGRIS et commandées à des instituts de recherche, dont les crédits augmentent de 6 % en AE et 0,7 % en CP pour s'élever à 10,8 millions d'euros en AE et 9,8 millions d'euros en CP ; les études opérationnelles et technico-opérationnelles, pilotées par l'État-major des armées au titre de la prospective des systèmes de forces, dont les crédits sont portés à 22,4 millions d'euros en AE et CP, soit une augmentation de 2,9 % ; et les études amont pilotées par la DGA dont les crédits augmentent de 9 % en AE et de 8,2 % en CP en 2020.

Les études amont, dont les crédits sont en hausse sur la totalité de la LPM 2019-2025, s'appuient, d'une part, sur un nouvel outil de programmation, le document d'orientation de l'innovation de défense (DOID) approuvé par la ministre lors du Comité exécutif ministériel (COMEX) du 23 avril 2019, qui fixe les objectifs stratégiques de l'innovation de défense et les moyens associés. Ces études reposent, d'autre part, sur le nouvel acteur fédérateur, l'Agence de l'innovation de défense (AID), ainsi que sur une nouvelle instance de gouvernance, le comité de pilotage de l'innovation de défense, dans lequel la DGRIS est représentée.

Les crédits inscrits au PLF 2020 pour les études amont s'élèvent à 1,004 milliard d'euros pour les études d'amont en AE, soit une hausse de 83,7 millions d'euros, et à 821 millions d'euros en CP, soit une hausse de 62,5 millions d'euros.

Ces crédits nous permettront d'investir dans des technologies de rupture, de lancer des démonstrateurs innovants, et de faire face aux enjeux de préparation des futurs systèmes d'armes face aux menaces émergentes. Ils rendent notamment possibles d'ores et déjà le financement des piliers technologiques du Système de combat aérien du futur (SCAF), avec l'Allemagne et l'Espagne, ainsi que les études sur le porte-avions de nouvelle génération ou encore sur le futur système de combat terrestre franco-allemand, le Main Ground Combat System (MGCS).

La quatrième sous-action, 7.4, consacrée à la gestion des moyens et subventions est dotée quant à elle de 290 millions d'euros en AE et CP. Pilotée par la DGA, elle recouvre toutes les subventions octroyées aux opérateurs participant à des études et des recherches en matière de défense, notamment l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et les écoles de la DGA, dont l'École polytechnique. Elle finance aussi cette année le nouvel Institut polytechnique de Paris, placé sous la tutelle conjointe du ministère de l'Économie et des Finances et du ministère des Armées. Il est à noter que la contribution du programme 144 à cet institut s'élève en 2020 à 3,15 millions d'euros. L'ambition est d'en faire une institution de science et technologie de rang mondial.

Enfin, l'action 8 du programme 144 est consacrée aux relations internationales et à la diplomatie de défense. Sa gestion relève de la DGRIS. Elle est dotée au PLF 2020 d'une enveloppe de 40 millions d'euros en AE et en CP. Ses crédits financent des actions de coopération et d'influence internationales, dont l'aide versée au gouvernement de la République de Djibouti en compensation de l'implantation des forces françaises, la contribution française au budget de l'Agence européenne de défense (AED) et les actions de coopération bilatérales et multilatérales entreprises dans le cadre du Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive (PMG7) ainsi que les dépenses liées au soutien de notre réseau diplomatique de défense et aux crédits d'activité de la DGRIS que je mentionnais initialement.

J'en viens au troisième volet de mon intervention : les principaux enjeux de défense auxquels nous faisons face.

En premier lieu, je voudrais bien sûr souligner à quel point les événements survenus depuis le vote de la LPM confirment l'évolution d'un contexte stratégique plus complexe, objectivement plus instable et potentiellement plus dangereux. L'actualité récente est à ce titre très illustrative : annonces turques d'incursion imminente dans le nord-est de la Syrie ; retrait américain de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien ; tensions grandissantes dans le Golfe arabo-persique ; fin du traité sur les Forces nucléaires intermédiaires (FNI) et test d'un nouveau missile sol-sol américain en août ; crise nord-coréenne liée au tir du 2 octobre et aux tirs précédents du mois d'août ; incidents récurrents en mer de Chine méridionale ; tensions entre le Japon et la Corée ; situation à Hong Kong ; tensions au Cachemire ; situation en Libye et bien sûr persistance de la menace terroriste que je singularise à nouveau.

Les manifestations de la compétition stratégique entre États sont également plus nombreuses, plus récurrentes. Et nous assistons à un nombre croissant de démonstrations de puissance qui prennent la forme d'exercices militaires majeurs, de déploiements aériens et navals, d'actions dans l'espace exo-atmosphérique ou de postures de déni d'accès, voire de plus en plus d'actions ambiguës. Il peut s'agir de stratégies d'intimidation, voire de stratégies du fait accompli, d'actions directes ou indirectes dans des zones grises sous le seuil d'un conflit armé, qui complexifient les enjeux en imbriquant plus étroitement les intérêts de sécurité, les intérêts économiques et les ambitions géopolitiques.

Dans ce contexte, les risques d'incompréhension et d'escalade augmentent – en témoignent la situation du Golfe arabo-persique et celle de la Syrie. En corollaire, l'accroissement des dépenses de défense dans le monde se poursuit, caractérisé par une course aux armements technologiques entre grandes puissances accompagnée d'une rhétorique agressive et par la présentation de nouveaux armements stratégiques de rupture. Vous avez entendu le discours prononcé le 1er mars 2018 par le président Vladimir Poutine dans la salle d'expositions du Manège de Moscou. Vous avez également sans doute entendu des déclarations effectuées autour du défilé organisé pour le 70e anniversaire de la Chine communiste à Pékin, le 1er octobre 2019.

Ces développements sont préoccupants, car ils mettent en scène une compétition stratégique qui s'étend, sans le moindre tabou, à tous les espaces communs – air, terre, mer – et investissent de nouveaux champs, comme ceux de l'intelligence artificielle, de l'immatériel, ou de l'informationnel.

Face aux tensions stratégiques croissantes et à l'élargissement de la menace, bien visible lorsqu'elle est militaire mais beaucoup plus intrusive lorsqu'elle est immatérielle, asymétrique, cyber ou terroriste, l'éventail des acteurs à mobiliser se trouve élargi. De fait, ces défis ne relèvent pas du seul champ militaire mais posent aussi la question de notre souveraineté et de notre résilience politique, diplomatique, économique ou technologique. Ils posent également la question des vulnérabilités et des dépendances que nous pouvons avoir dans de nombreux domaines. Je pense notamment aux télécommunications, aux infrastructures critiques et aux coopérations scientifiques.

Plus que jamais, il est indispensable d'élaborer des stratégies à même de conjuguer l'ensemble des leviers disponibles dans chacun de ces champs, pour accroître nos marges de manoeuvre et renforcer notre autonomie stratégique. Soyons clairs, c'est là que se situe le véritable enjeu pour notre pays comme pour l'Europe.

C'est sur la base d'un tel constat que la France figure désormais, par exemple, au rang des rares pays à avoir pris toute la mesure de l'importance stratégique de l'espace. Présentée à Lyon le 25 juillet dernier par la ministre des Armées, la stratégie spatiale de défense française acte le fait que le domaine spatial est devenu un espace de confrontation possible, conduisant la France à se doter d'une doctrine de défense active dans l'espace.

Il en est de même pour le cyber, désormais totalement pris en compte non seulement dans notre réflexion stratégique mais aussi au niveau technologique et opérationnel. Nos armées disposent d'une doctrine d'emploi en matière de lutte informatique défensive et offensive. La ministre a récemment exposé le positionnement de la France sur l'applicabilité du droit international aux opérations dans le cyberespace.

En ce qui concerne l'intelligence artificielle, la stratégie ministérielle est à la fois la confirmation des immenses opportunités offertes par cette rupture technologique, mais aussi la prise de conscience d'un certain potentiel de déstabilisation. Notre feuille de route s'empare du sujet sans négliger la question de la défense de nos valeurs ni minimiser nos responsabilités. C'est bien tout le sens de la création du comité d'éthique ministériel sur les sujets de défense voulu par notre ministre.

De même, les enjeux énergétiques et environnementaux doivent être mieux appréhendés ainsi que notre ministre l'a souligné lors des récentes universités d'été de la Défense.

Ces stratégies thématiques doivent également être mises en regard de stratégies régionales. La DGRIS a ainsi fédéré tous les acteurs du ministère et de l'interministériel pour établir une vision commune de nos enjeux de défense dans l'Indopacifique. De la même manière, nous avons cherché à clarifier notre approche des enjeux auxquels nous faisons face dans l'Arctique. Nous travaillons aussi encore aujourd'hui à définir les termes d'un partenariat plus équilibré, là où cela est nécessaire, avec la Chine.

À travers ces orientations, nous essayons de récolter tous les bénéfices de l'investissement en matière de prospective et de soutien à la recherche stratégique que j'évoquais précédemment.

Tout cela me conduit à un second point, qui est que cette dynamique que nous devons entretenir n'aura d'effet véritable que si nous le faisons avec nos partenaires stratégiques. Cela est d'autant plus important que nous assistons à une érosion accélérée des principes du multilatéralisme ainsi qu'à une contestation systématique des instruments de maîtrise des armements, qui permettaient d'assurer une stabilité stratégique. Vous avez sans doute pu lire dans la presse les rumeurs récentes autour d'une dénonciation par les États-Unis du traité Ciel ouvert. Nous assistons également à un état de tension croissant des rapports entre États. Les rapports de force sont plus brutaux.

Je voudrais insister sur l'un des atouts majeurs de notre pays, à savoir sa capacité à donner l'élan et à être force de proposition - nous le voyons avec l'Europe de la défense – comme à rallier ses alliés et partenaires pour faire face aux défis communs. Je pense d'emblée au Sahel ou à nos efforts actuels de soutien à la désescalade dans le Golfe.

La légitimité de la France pour porter ces initiatives procède de son statut international et de ses engagements en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) – État doté responsable respectant ses obligations au titre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), pays constamment engagé dans la résolution des crises, pays enfin dont la crédibilité et l'exemplarité des forces sont largement reconnues et nous donnent crédit au premier chef auprès du partenaire américain, avec lequel nous opérons sur de nombreux théâtres, ou britannique, avec lequel nous nous préparons à certifier la pleine capacité opérationnelle de la Combined Joint Expeditionary Force (CJEF) en 2020, année du dixième anniversaire du traité de Lancaster House.

Mais notre légitimité repose aussi sur notre capacité à entretenir la cohésion euro-atlantique comme intra-européenne et à penser la sécurité sur l'ensemble du continent européen. À ce titre, le socle de notre défense collective est et demeure l'OTAN. Nous accompagnons son processus d'adaptation mesuré. Nous y sommes un allié fiable et exigeant, car notre crédibilité militaire nous le permet.

Et cette crédibilité qui est la nôtre au sein de l'OTAN est un élément de notre crédibilité au service de l'Europe de la défense. De ce point de vue, il existe bel et bien un espace pour une souveraineté et une solidarité européennes accrues en matière de défense. C'est tout le sens du sursaut stratégique attendu de nos partenaires européens et à propos duquel nous constatons depuis deux ans des avancées tangibles.

Outre des progrès à poursuivre sur la voie d'un redressement des budgets de défense nationaux, à l'image de la France, un processus de structuration des besoins capacitaires et opérationnels s'est enclenché, comme le montrent la troisième vague de la coopération structurée permanente (CSP), la montée en puissance de la capacité de planification civile et militaire de l'Union européenne, ou encore le projet d'une facilité européenne pour la paix (FEP).

Mais les plus grandes avancées actuelles se trouvent finalement dans l'industrie de la défense, avec le plan de développement capacitaire et l'émergence du Fonds européen de défense (FED), en passe d'être doté de 13 milliards d'euros sur la durée du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027. Soyons clairs : pour la première fois depuis 1957, des fonds communautaires seront directement affectés au développement de capacités de défense, notamment de processus de recherche et développement (R et D). C'est un pas considérable.

Pour autant, l'étendue des défis que j'ai mentionnés doit nous inciter à élargir la palette de nos cadres d'action au-delà de l'OTAN ou de l'Union européenne. Par leur souplesse, les coopérations bilatérales ou en format ad hoc offrent en effet également une capacité de réponse utile, pragmatique, adaptée, ciselée à certains besoins identifiés. Dans cet esprit, l'IEI favorise effectivement l'émergence d'une culture stratégique commune en associant des partenaires européens ayant la volonté de s'engager et de se donner les moyens, y compris financiers, de faire plus pour leur défense.

Le premier cycle des travaux s'est achevé. L'IEI montre un réel succès, visible par les demandes d'adhésion. Nous avons ainsi accueilli deux nouveaux membres, la Norvège et la Suède, et le principe de la rejointe de l'Italie est aujourd'hui acquis, ce qui est une excellente nouvelle.

Cette culture stratégique commune progressera à mesure que les militaires développeront entre eux leur capacité à porter des scénarios et à retenir les expériences de leurs engagements communs.

Cette culture stratégique commune sera également portée sur un autre terrain, celui de la jeunesse. Je souhaite ainsi vous faire part ce jour du projet annoncé par la ministre des Armées aux universités d'été de la Défense d'organiser un événement, la « Fabrique Défense ». Il s'agit d'un dispositif de promotion de l'esprit de défense auprès des jeunes de 18 à 30 ans, en lien avec nos partenaires européens. Il sera organisé tous les deux ans et complété par des déclinaisons en régions et en Europe.

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