Intervention de Alice Guitton

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 11h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie :

La première question concernait le comité d'éthique sur l'intelligence artificielle. Il faut souligner que nous sommes le premier pays au monde à avoir proposé une démarche de cette nature, consistant à assumer à titre national la responsabilité d'établir un organisme permanent au sein de notre institution de défense pour traiter des questions éthiques liées aux technologies émergentes.

Depuis 2010, une réflexion prospective avait déjà été conduite sur les problématiques éthiques et sociétales soulevées par les nouvelles technologies de défense. La DGRIS apportera à ce nouveau comité son expérience et son réseau international.

L'objectif de ce comité tel que présenté par Mme la ministre à Saclay le 5 avril dernier est d'être un outil d'aide à la décision et à l'anticipation et de traiter les questions posées par les technologies émergentes et leur emploi par l'Homme dans le domaine de la défense. À moyen terme, son périmètre vise à aborder l'ensemble des interrogations éthiques multiples liées à l'évolution du métier des armes ainsi que des espaces de conflictualité.

Ce comité a la possibilité, par les réflexions qu'il fournira et les avis qu'il rendra, d'éclairer le débat international sur ces sujets – aujourd'hui toujours porté à Genève comme nous le souhaitons dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) – et sous l'angle des systèmes d'armes létaux autonomes (SALA).

La ligne portée par la ministre, en cohérence avec les projets défendus conjointement avec l'Allemagne, s'appuie sur l'idée d'une déclaration politique qui permettrait de réunir la communauté internationale, pour réaffirmer la primauté du respect du droit international humanitaire en toutes circonstances, quels que soient les développements de l'intelligence artificielle envisagés. L'idée est également de renvoyer vers une responsabilité nationale la problématique éthique.

L'un des défis auxquels nous avons fait face était de crédibiliser ces débats à la CCAC de telle sorte qu'ils ne viennent pas à être traités dans des formats moins consensuels tels que l'Assemblée générale des Nations unies ou le Conseil des droits de l'Homme, et où des compétiteurs stratégiques comme la Chine ou la Russie pourraient s'émanciper de normes qui s'appliqueraient à tous. C'est bien ce consensus qui nous importe également.

S'agissant de la contribution versée au gouvernement de la République de Djibouti, elle ne diminue pas. Elle est portée à 26,4 millions d'euros au PLF 2020, contre 26,1 millions d'euros en 2019. Aucune baisse n'est donc survenue en la matière. Et nous continuons d'être pleinement redevables de cette contribution annuelle forfaitaire que nous devons au gouvernement de la République de Djibouti en compensation de l'implantation des forces françaises sur son territoire. Cette contribution a été fixée dans le cadre du traité de coopération en matière de défense signé le 21 décembre 2011 entre la France et la République de Djibouti, qui continue de prévaloir.

J'en profite, l'occasion de parler de Djibouti étant trop belle, pour préciser que Djibouti est l'un des lieux où nous avons observé en premier la manière dont l'initiative des routes de la soie menée par la Chine conduisait à faire coexister à nos côtés une base chinoise, avec de potentielles implications pour notre capacité à préserver le secret, le renseignement et l'information – préoccupation que nous partageons avec le Japon, le Canada et les États-Unis.

Si l'on regarde ensuite les neuf millions sur onze millions de kilomètres carrés de ZEE qui appartiennent à la France dans l'ensemble de la région indopacifique, quelles priorités pouvons-nous mettre en oeuvre pour y protéger nos intérêts mondiaux et européens ? C'est ainsi que j'entends la question qui m'a été posée par M. Marilossian.

À cela, la réponse est triple. Il nous faut tout d'abord nous donner les moyens de maintenir notre présence d'une manière équilibrée et respectueuse du droit international. À ce titre, la France n'hésite pas, à travers ses déploiements navals, les dialogues politiques et stratégiques qu'elle mène et les coopérations militaires et opérationnelles qu'elle engage, à favoriser des liens étroits avec tous les partenaires de la région. Elle le fait en commençant par ses partenariats stratégiques – Inde, Australie, Japon – mais aussi en les déclinant avec tous les autres partenaires selon ses capacités pour accréditer le besoin du respect du droit, notamment de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (United Nations Convention on the Law of the Sea – UNCLOS), ainsi que dans les airs où des zones d'interdiction émergent plus ou moins. La France propose également une voie alternative face au fait majeur structurant que constitue la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine.

Le deuxième axe consiste, dans les enceintes de sécurité collective régionales et sous-régionales qui pourraient émerger, à s'investir davantage en communicant stratégiquement de manière plus audacieuse et régulière sur le fait que la France est un acteur de l'Indopacifique. Nous sommes en effet un acteur légitime et, je crois, de plus en plus reconnu. La stratégie de défense sur l'Indopacifique a été un bel outil pour promouvoir la place de la France à cet égard, avant tout à l'occasion de la participation et des interventions de la ministre des Armées au dialogue du Shangri-La où nous avons conforté notre présence de manière visible avec la présence à quai du porte-avions Charles de Gaulle qui a été très appréciée.

Troisièmement, nous devons également conforter notre capacité à pouvoir nous adresser tant aux États-Unis qu'à la Chine ou à la Russie en affirmant notre autonomie politique et notre recherche d'un dialogue équilibré. Cette capacité à être autonome politiquement à titre national a une résonance auprès de nos partenaires, qui savent pouvoir s'adosser à nous pour suivre une ligne similaire.

À cela, s'ajoutent deux défis. Le premier est celui des moyens. Les élongations sont considérables. Outre le soutien apporté à nos forces de souveraineté et de présence, il faut donc parvenir à suivre dans la durée. Cet enjeu est à mettre en regard de la clause de revoyure de 2021.

Le deuxième défi est celui de la nécessité de l'établissement de priorités et d'un partage des rôles, comme par exemple avec l'Inde que nous souhaitons voir s'investir davantage dans le sud de l'océan Indien jusqu'au canal du Mozambique.

S'agissant des sept pays partenaires auxquels j'ai fait référence dans mon propos liminaire, il s'agit des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Espagne, du Canada et de l'Australie.

Concernant le Tchad et le G5 Sahel, il me semble important d'aborder la situation de la bande sahélo-saharienne en suivant de près la situation au Tchad. Le Tchad représente en effet un verrou entre les risques de dérapage ou de détérioration de situations sécuritaires ou de terrorisme auxquels nous faisons face dans le Sahel – risques face auxquels nous jouons un rôle important grâce notamment à l'opération Barkhane et aux actions mises en oeuvre à travers les missions de formation de l'Union européenne, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), l'Alliance Sahel et le P3S – et, d'autre part, la menace présentée par Boko Haram en Afrique de l'Est. Nous savons que la mobilisation des acteurs régionaux d'Afrique de l'Est, au-delà de la force multinationale mixte (FMM) qui compte encore aujourd'hui 10 000 hommes, n'est pas forcément à la hauteur du défi posé par cette organisation terroriste.

Le Tchad constitue donc un verrou, un point important et un allié précieux pour la France à travers l'accord de défense qui lie nos deux pays. Nous continuons par conséquent à suivre de très près les évolutions politiques que pourrait connaître ce pays, de façon à le lier au maximum à la préservation des équilibres dans la région.

Je crois que le P3S constitue par ailleurs une réelle opportunité. L'idée est que l'élargissement du périmètre géographique et du champ d'action envisagés par les initiatives précédemment lancées permette une cohérence et une efficacité accrues des actions menées, pour répondre aux besoins de sécurisation militaire, mais aussi de stabilité à travers des actions de renforcement de la sécurité intérieure, ce avec l'ensemble des pays de la région – les pays du G5, mais également les sept pays frontaliers du G5 Sahel, Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d'Ivoire, Guinée, Sénégal, ainsi que le Cameroun. Je crois que nous bénéficions à présent d'une plateforme cohérente pour y parvenir.

Il me semble que le lancement du P3S interviendra mi-décembre, pour confirmer l'ensemble de ces tendances. Il permettra d'afficher d'ailleurs un important investissement de l'Allemagne à nos côtés, très désireuse de s'engager davantage ainsi qu'elle l'a déjà montré à travers l'engagement de la brigade franco-allemande (BFA).

La dernière question qui m'a été posée portait sur la Russie et l'Arctique. Je suis effectivement mobilisée sur ces questions. Je reviens d'ailleurs d'un séjour en Norvège où j'ai mené un dialogue stratégique approfondi sur ces questions.

L'Arctique ne peut pas être considéré seulement comme un théâtre de compétition stratégique accru du fait du réchauffement climatique. Comme le diraient les Norvégiens, c'est en effet avant tout un enjeu de coopération pacifique, historiquement recherchée dans cette région. C'est également un enjeu de recherche scientifique.

Toutefois, depuis l'ouverture du passage nord, le renforcement par la Russie de la militarisation de sa côte nord et la massification des investissements chinois dans les secteurs stratégiques – gaz, mines, tentatives de rachat de bases navales et d'aéroports au Groenland, réseau 5G, projets russes de brise-glaces à propulsion nucléaire (comme l'Arktika) –, il est évident que nous devons développer une perception, une compréhension et une stratégie durables de l'évolution de l'Arctique.

C'est ce que nous nous sommes efforcés de présenter à travers un document que je me suis permise d'apporter et que je suis prête à diffuser. Ce document articule l'ensemble des actions qui sont les nôtres, nos liens de partenariat, et nos évaluations de la situation.

En matière d'anticipation et de prospective, l'un des sujets consiste à vérifier comment la Russie et la Chine vont « déconflicter » leurs intérêts potentiellement divergents dans cette région et comment nous ferons en sorte de préserver les intérêts pour la France au regard des enjeux d'approvisionnement, de défense collective et de liberté d'action des forces armées françaises. Il ne saurait être question de se retrouver avec un déni d'accès par la Russie de cette partie nord de l'espace transatlantique.

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