Intervention de Aude Bono-Vandorme

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 15h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAude Bono-Vandorme, rapporteure pour avis (mission Sécurités pour les crédits Gendarmerie nationale) :

Pour la troisième année consécutive, il me revient la responsabilité, et surtout l'honneur, de vous rapporter les principales orientations du projet de budget relatives à la gendarmerie nationale. Comme vous le savez, les crédits qui lui sont alloués sont inscrits au programme 152 de la mission « Sécurités », laquelle regroupe également les ressources de la police nationale, de la sécurité civile et des actions conduites en faveur de la sécurité et de l'éducation routières.

Avec près de 9,77 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et 8,96 milliards de crédits de paiement, l'effort de l'État en faveur de la gendarmerie est important, même si l'augmentation repose pour l'essentiel sur le titre 2 – j'y reviendrai. Il permet de tenir compte de l'évolution du contexte sécuritaire. Cela dit, il y a encore des marges de progrès.

Permettez-moi de vous retracer quelques points marquants de ce budget. Le plan de recrutement 2018-2022 décidé par le Président de la République continue de se déployer, avec la création de 490 emplois en 2020, notamment pour accompagner la croissance des activités de renseignement. En net, le schéma d'emploi s'établit à 270 équivalents temps plein supplémentaires par rapport à l'an dernier, après mesures de transfert.

Par ailleurs, la gendarmerie poursuit son plan de performance numérique avec NEOGEND, bureau mobile permettant aux gendarmes d'être au plus près du terrain. Elle continue également le déploiement de sa « brigade numérique », créée en 2018, dont nous avons beaucoup parlé ; 72 millions seront engagés sur trois ans pour le renforcement et le fonctionnement de ce dispositif.

La gendarmerie s'est également engagée dans une vaste refonte de sa gestion des ressources humaines, au travers par exemple de la digitalisation croissante de la formation, de l'individualisation des parcours ou encore d'un plan d'amélioration de l'attractivité professionnelle de certaines régions. De manière générale, les gendarmes sont de plus en plus acteurs du déroulement de leur carrière. J'y reviendrai si vous le souhaitez.

Toutefois, plusieurs points méritent que l'on s'y attarde. Premièrement, je pense aux aléas de l'exécution budgétaire. En raison du poids des dépenses contraintes, comme le paiement des loyers ou les factures de fluides, la réserve de précaution de 3 % au niveau global équivaut, en fait, à un taux de mise en réserve d'environ 8 % sur le budget effectivement manoeuvrable. En conséquence, les responsables nationaux et zonaux ne peuvent répercuter cette réserve que sur deux postes : l'entretien des véhicules et celui des casernes. Dès lors, pourquoi s'étonner de leur vétusté ?

Deuxièmement, le PLF pour 2020 est marqué par le transfert sortant de 66,3 millions et 220 équivalents temps plein, essentiellement à destination du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », dans le cadre de la création du service de l'achat, de l'innovation et de la logistique du ministère de l'intérieur et de la direction du numérique. La montée en puissance des fonctions de support transversales au sein du ministère de l'intérieur s'inscrit dans une dynamique de mutualisation et de recherche d'économies. À rebours de l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), son corollaire est que les responsables de programmes, chargés de conduire les politiques publiques, perdent progressivement la maîtrise des moyens censés leur permettre d'atteindre leurs objectifs. Il nous appartiendra donc de veiller tout particulièrement à l'action de ces fonctions de support et au juste équilibre entre contraintes budgétaires et impératifs opérationnels.

Troisièmement, l'évolution de la dotation de la réserve opérationnelle est en nette diminution : près de 29 millions – encore ; hélas ! De manière globale, une réflexion approfondie me semble devoir être conduite sur l'avenir de cette réserve, s'agissant tant de son financement que de son emploi. Pourquoi ne pas imaginer que des réservistes effectuent, en lieu et place de sous-traitants privés, les contrôles de vitesse à bord de véhicules banalisés équipés de radars embarqués ?

Quatrièmement, le renouvellement des véhicules marque sérieusement le pas : la dotation inscrite au PLF pour 2020 ne permet d'acquérir que 1 600 véhicules, un nombre bien inférieur tant aux besoins qu'aux engagements pris par le ministre de l'intérieur lui-même. J'ai cru comprendre que quelques corrections pourraient être apportées très rapidement sur ce point ; j'y serai attentive.

Cinquièmement, une réflexion de fond doit être conduite sur l'adéquation entre les moyens de fonctionnement de la gendarmerie nationale et l'évolution de ses effectifs. Plus d'agents, cela signifie plus de missions, plus de voitures, plus de déplacements, plus de matériel, plus de logements. Je n'ignore pas les contraintes financières qui s'imposent lors de la préparation de la loi de finances. Toutefois, il me paraît absolument nécessaire d'avoir cette vision globale. C'est la raison pour laquelle je me félicite du lancement par le ministre de l'intérieur, le 14 octobre, des travaux d'élaboration d'un Livre blanc de la sécurité intérieure, préalable à une loi de programmation que je demande sans discontinuer depuis plus d'un an.

Au-delà des points que j'ai déjà mentionnés, le Livre blanc devra aborder la question de la politique immobilière de la gendarmerie nationale, en premier lieu les enjeux liés aux conditions de logement. C'est à cette thématique que j'ai décidé de consacrer une large part de mes travaux ; permettez-moi à présent d'en dire quelques mots.

La gendarmerie dispose de 3 766 casernes, dont 663 appartiennent au domaine de l'État. Autant le dire sans ambages : elles sont, pour un trop grand nombre d'entre elles, dans un état déplorable. Nous le voyons tous dans nos circonscriptions, et mes travaux m'ont confortée dans cette certitude : beaucoup de logements et de bureaux doivent être réhabilités car ils ne respectent pas les normes minimales d'habitabilité et d'usage. Cette situation est le résultat non pas d'une fatalité, mais d'un manque d'entretien et d'un sous-investissement devenu chronique depuis 2008. Les chiffres sont parlants : entre 2007 et 2019, les crédits d'investissement dans l'immobilier sont passés de 618 millions à 105 millions. Pire : ils doivent encore baisser, pour atteindre 98 millions en 2020. Je le déplore vivement. L'immobilier a toujours été la variable d'ajustement du budget de la gendarmerie, ce qui est très critiquable.

Certes, un plan d'urgence a été lancé en 2015, sans crédits supplémentaires, et un peu plus de 20 000 logements auront bénéficié de travaux à la fin de l'année 2019. Je suis allée voir, dans les casernes, en quoi consistent vraiment ces travaux. Quitte à forcer ici le trait, j'ai eu l'impression, dans certains cas, que les quelques améliorations consenties ont l'effet d'un cautère sur une jambe de bois. On rénove les huisseries, mais pas les peintures ; les pièces d'eau, mais pas les autres pièces ; la voirie, mais pas les façades. Non que je conteste ces opérations, mais, justement, je tire de mes travaux l'impression que, du fait d'un sous-investissement chronique dans ses logements, la gendarmerie se trouve prise dans une situation paradoxale : elle est contrainte de dépenser le peu de crédits qu'elle a en opérations palliatives d'urgence, et peut d'autant moins conduire un plan stratégique concernant son patrimoine et son implantation, bref avoir une véritable stratégie immobilière.

En somme, en matière de logement, on est manifestement arrivé à la fin d'un modèle. Dès lors, selon moi, l'État n'a plus que deux options. La première consiste à investir massivement dans les plus brefs délais ; mais, ne serait-ce que pour enrayer l'inexorable dégradation du parc, il faudrait tripler les crédits d'investissement immobilier. En a-t-on les moyens ? La seconde option suppose de changer de modèle et, à défaut d'avoir les moyens d'être propriétaire, de se résoudre à être locataire, par exemple en confiant la gestion de son parc à une foncière publique de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), sous la surveillance du Parlement. En collaboration avec Jacques Savatier et François Jolivet, nous réfléchissons à de nouveaux usages des fonds de l'épargne réglementée. La CDC, qui dispose non seulement de ses ressources financières, mais aussi de compétences avérées en matière immobilière et pour les placements de très long terme, pourrait reprendre les actifs immobiliers de la gendarmerie et des compagnies républicaines de sécurité – car celles-ci connaissent les mêmes difficultés. Une foncière sous le contrôle du Parlement, portant des actifs de long terme, cela aurait de l'allure.

Tels sont, mes chers collègues, les résultats de mes travaux. Sous les réserves que je viens d'exposer, et à propos desquelles je ne manquerai pas d'interpeller, avec votre soutien, M. le ministre de l'intérieur, je recommande l'adoption des crédits du programme 152, concernant la gendarmerie nationale.

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