Intervention de Général Jean-Louis Georgelin

Réunion du mercredi 13 novembre 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Général Jean-Louis Georgelin, préfigurateur de l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris :

Je suis évidemment très heureux de venir ce matin devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Un historien audacieux verrait même une filiation tout à fait directe entre Notre-Dame de Paris et l'Assemblée nationale, puisque ce que l'on retient comme étant le premier parlement à avoir siégé, à savoir la réunion des États généraux par Philippe le Bel, le 10 avril 1302, s'est tenu à Notre-Dame de Paris – trois orateurs l'avaient d'ailleurs rappelé lors des débats parlementaires, et l'on peut aussi admirer un tableau représentant cet événement dans la salle des Conférences du Palais Bourbon.

Mais le motif qui m'appelle devant vous est l'incendie de Notre-Dame. Je ne rappellerai pas ce que vous avez entendu cent fois ou mille fois : l'immense émotion qui s'est emparée de notre pays, de l'Europe et du monde face à cet incendie qui aurait pu être un désastre mais, grâce à nous tous, va pouvoir faire renaître la cathédrale Notre-Dame de Paris.

La loi du 29 juillet 2019 a été débattue de manière approfondie devant les deux assemblées du Parlement. Après avoir fait l'objet de nombreux amendements, elle est désormais adoptée. Elle met en place une souscription nationale et prévoit la création d'un établissement public administratif. L'EPA est maintenant créé. Notre tâche, mesdames et messieurs, à vous comme à moi, c'est de faire en sorte qu'il fonctionne bien.

Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le président, le Président de la République m'a nommé le 17 avril représentant spécial, non pour la reconstruction, mais pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Dès le 17 avril, j'ai eu pour mission de piloter et d'encadrer ce chantier inédit par son ampleur et les défis qu'il représente, ce que j'ai fait en lien étroit avec le ministère de la culture.

À la suite du vote de la loi, il m'est incombé la préparation de la création de l'établissement public, dont j'ai été nommé préfigurateur par décret du 30 septembre. Je précise aussi que je reste le représentant spécial du Président de la République.

Sept mois après l'incendie, beaucoup a été fait. Je m'inscris dans la suite de l'action engagée par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d'Île-de-France, maître d'ouvrage, et par l'architecte en chef des monuments historiques et son équipe, maître d'oeuvre.

Depuis le 15 avril, le chantier a connu plusieurs étapes, après un démarrage sur les chapeaux de roue, afin de sécuriser le bâtiment dont l'état de péril pouvait laisser craindre qu'il ne s'effondre. Ainsi les services de l'État étaient-ils sur place, dès le soir de l'incendie, pour guider les pompiers durant les interventions, identifier et mettre à l'abri les 1 300 oeuvres d'art que renferme l'édifice, procéder aux premières mesures d'urgence pour se mettre en ordre de marche afin de garantir la sauvegarde de l'édifice et de son mobilier, et s'assurer de la protection des populations.

Un premier état des lieux a immédiatement été dressé par la conservation des monuments historiques (CMH). Il a permis d'identifier les interventions à conduire pour réaliser la sécurisation de première urgence et stopper toute évolution des désordres constatés. L'ensemble des travaux a été conduit sous le régime de l'urgence impérieuse. Comme vous le savez, il s'agit d'un dispositif prévu par le code de la commande publique qui permet de recourir à un marché public sans publicité ni mise en concurrence, ce qui a permis de garantir l'efficacité des opérations. Ce rythme a permis de faire en deux mois des travaux dont certains pensaient, sans doute pris par une exaltation hyperbolique, qu'ils auraient pu prendre un an ou deux en temps normal.

D'aucuns ont pu penser que l'urgence l'avait emporté sur le respect scrupuleux des règles du code du travail. Le préfet de région a, par conséquent, pris en juillet la décision de suspendre le chantier pendant trois semaines, afin d'en recadrer l'organisation et de la rendre plus conforme aux exigences légitimes du code du travail.

Le problème du plomb est venu s'installer au premier plan des préoccupations. La menace doit naturellement être prise au sérieux, en gardant cependant à l'esprit qu'elle n'est en aucun cas comparable avec celle de l'amiante. Il faut introduire un peu de rationalité sur le sujet et parvenir à une vision commune entre la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre et les entreprises, ainsi que les organismes d'inspection et de contrôle qui agissent sur la base du code du travail. Je rencontrerai d'ailleurs cet après-midi des spécialistes de ces questions.

La protection des compagnons intervenant sur le chantier, tout comme son étanchéité par rapport à l'espace public, sont bien sûr des préoccupations très sérieusement prises en compte. Une campagne continue de surveillance des niveaux de plomb est menée dans le chantier ainsi que sur l'espace public environnant par des relevés surfaciques et des mesures atmosphériques. À ce jour, la cathédrale ne semble plus être émettrice de plomb vers l'extérieur du chantier. Sur ce point, nous devons faire confiance à l'expertise reconnue de l'Agence régionale de santé (ARS) : il est bon, de temps en temps, de faire confiance aux organismes dont c'est le métier… Et tout comme moi, vous savez que le niveau de plomb dans Paris n'a pas attendu l'incendie de Notre-Dame pour connaître des niveaux surfaciques élevés.

Sur le bilan de ces sept derniers mois, il faut ajouter que l'émotion extrême suscitée par cet incendie et l'intérêt pour ce monument ont entraîné une cacophonie excessive dans la communication et les prises de parole. Cela a pu conduire à une confusion générale sur la perception de la manière dont ce chantier est mené ; j'espère que nous parviendrons à apaiser ce tohu-bohu.

La cathédrale est cependant toujours en état de péril, car la phase de sécurisation de l'édifice n'est pas terminée. Elle ne sera achevée que lorsque l'ancien échafaudage de la flèche aura pu être démonté. C'est le défi immédiat le plus important que nous trouvons devant nous ; or, avec l'arrivée de l'hiver, les conditions météorologiques se dégradent et deviennent moins favorables. Nous ne sommes pas à l'abri d'un fort coup de vent qui pourrait déstabiliser cet échafaudage.

Arrive maintenant le temps de l'établissement public, qui va entrer en action. L'EPA est, en quelque sorte, ce que nous appelons une « task force » – le mot n'a pas toujours plu – dont l'objectif est la restauration de Notre-Dame. Il s'agit de « garantir l'efficacité et la réactivité du chantier, en mettant en synergie tous les acteurs concernés » – pour reprendre la description qu'en a faite l'une d'entre vous au cours du débat en seconde lecture du projet de loi. C'est ce qu'on appelle, dans l'armée, l'unité de commandement ; c'est la raison d'être de l'établissement public, c'est pour cela que je suis devant vous aujourd'hui. Je présiderai son conseil d'administration qui se réunira pour la première fois, vraisemblablement, le 3 décembre.

Le conseil d'administration comprendra treize membres, dont six représentants de l'État, un représentant de la ville de Paris – ce qui est bien normal puisque Notre-Dame de Paris est à Paris, et un représentant de l'archevêché – ce qui est tout aussi normal, puisque la cathédrale est d'abord un lieu de culte ; il comprendra aussi un représentant du personnel et trois personnalités qualifiées.

Le Président de la République a souhaité que le chantier ait une durée de l'ordre de cinq ans. Dans l'important discours qu'il a tenu à l'occasion de la remise du prix Pritzker, il l'a réaffirmé. Il a également souhaité que les abords, c'est-à-dire l'environnement immédiat de la cathédrale soient associés à cette entreprise.

L'établissement public a pour but de mobiliser les énergies autour de cet objectif, sans procrastination. C'est le mot exact qui me paraît convenir en l'occurrence : ces cinq ans sont une « ambition au service d'une mobilisation » – je reprends les termes employés par une sénatrice lors des débats de la Haute assemblée.

La loi définit enfin de façon précise, les missions de l'établissement public. L'article 9 de la loi que vous avez adoptée les résume dans une expression pesée au trébuchet, après des débats intenses dans les réunions interministérielles de l'hôtel Matignon : l'établissement a pour mission d'assurer la conduite, la coordination et la réalisation des études et des opérations concourant à la conservation et à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Il s'agit d'un établissement public administratif classique, soumis au droit commun des établissements publics, comme le sont les quatre-vingts déjà placés sous la tutelle du ministère de la culture. À ce titre, l'opération de restauration que conduira l'établissement public sera soumise au contrôle scientifique et technique du ministère de la culture. La commission nationale de l'architecture et du patrimoine sera régulièrement consultée sur l'avancée des travaux, comme le prévoit l'article 10 de la loi du 29 juillet 2019.

L'établissement public rendra compte de la gestion des fonds à un comité réunissant le premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et de la culture – ou leurs représentants désignés au sein de ces commissions. Un conseil scientifique, que vous avez appelé de vos voeux, sera créé au sein de l'établissement. Enfin, le décret devrait prévoir un comité d'audit et des investissements, placé auprès du conseil d'administration. L'établissement public aura aussi un comité des donateurs et un conseil d'établissement.

Je tiens à souligner la manière très efficace avec laquelle nous travaillons en ce moment avec le cabinet et les services du ministère de la culture pour que la montée en puissance de l'établissement public se passe bien.

Je suis par ailleurs en train de procéder au recrutement de son personnel – une quarantaine de personnes au maximum. Il est intéressant de noter que nous avons reçu de la France entière et, parfois, du monde entier, plus de mille offres de collaboration. C'est dire à quel point l'incendie de Notre-Dame a marqué les esprits. Cela nous oblige aussi tous quant à l'exemplarité du chantier qu'il nous faudra conduire ensemble.

Je vais m'adjoindre les services des meilleures compétences issues du ministère de la culture et de ses établissements. Ces compétences et cette expertise concerneront tout autant la conduite administrative de l'établissement, et notamment sa gestion financière, que la maîtrise d'ouvrage, avec des agents ayant naturellement une expérience significative dans la gestion des grands chantiers des monuments historiques.

Tout devrait être prêt le 1er décembre, à l'entrée en vigueur du décret organisant le fonctionnement de l'établissement public. Ce décret est actuellement dans sa phase terminale d'élaboration par les services du Premier ministre.

Au-delà de la restauration de la cathédrale, l'établissement public a également pour mission la médiation culturelle et la valorisation des métiers d'art : il s'agit de réinsuffler un intérêt pour les formations dans ces domaines très spécifiques. C'est dans cette optique que les ministres de l'éducation nationale, du travail et de la culture ont lancé les chantiers de France. J'ai d'ores et déjà eu l'occasion de rencontrer chacun d'entre eux sur cet aspect.

Enfin, je veillerai personnellement, comme la loi le prévoit, sur la situation des commerçants. C'est un aspect important de la mission de l'établissement public. Le chantier doit se faire en lien avec son environnement économique immédiat, qui a déjà largement souffert des conséquences de l'incendie. Pour ce faire, j'ai déjà noué des contacts avec des élus du 4e arrondissement ainsi qu'avec le président de l'association des commerçants du quartier, que je dois rencontrer dans les tout prochains jours.

Quatre principes devront selon moi présider à l'action de l'établissement public dans les mois à venir : l'expertise, au travers du choix des personnels appelés à le rejoindre ; la conformité au droit commun dans son fonctionnement, sous la tutelle du ministère de la culture qui exercera, avec l'appui du conseil scientifique dont vous avez souhaité la création, un contrôle scientifique et technique ; la rigueur et l'efficacité du chantier, dans le respect des dispositions prévues par la loi – j'ai d'ailleurs suivi personnellement la désignation des nouveaux responsables Ordonnancement, pilotage et coordination du chantier (OPC) et Sécurité et protection de la santé (SPS) qui jouent à mes yeux un rôle majeur dans la tenue d'un chantier, nonobstant le fait qu'ils n'apparaissent pas sur les écrans radar de la « com' » ; enfin, l'exemplarité financière de l'opération et donc la transparence de son suivi.

Je ne saurai bien évidemment terminer cette courte intervention sans évoquer la question qui agite les esprits : celle de la flèche et du choix de sa reconstruction. Car finalement, lorsque l'on parle de Notre-Dame, on ne parle que de cela : quelle flèche va-t-on faire, allons-nous la reconstruire à l'identique, etc. Toutes ces questions trouveront sagement leur réponse, grâce à nos débats déjà amorcés et qui s'annoncent nourris, le moment venu. N'y voyez pas une pirouette : c'est tout simplement la sagesse. Nous envisageons de lancer une consultation en 2020 dans le cadre de l'opération d'aménagement de l'environnement immédiat de la cathédrale – je vous renvoie au discours prononcé par le Président de la République en l'honneur des lauréats du prix Pritzker – afin que le choix puisse se faire d'ici à la mi-2021. Il nous reviendra au préalable de conduire des études programmatiques et d'établir un cahier des charges, au vu naturellement des résultats du diagnostic qui ne pourra en tout état de cause être achevé tant que l'échafaudage dont j'ai parlé est en place.

Il nous faudra procéder en parallèle à l'examen des options en matière de restauration de la charpente ainsi qu'au choix des entreprises, ce qui nous mènera également aux alentours du premier semestre 2021.

Quoi qu'il en soit, ces travaux seront conduits en ayant à l'esprit le second alinéa de l'excellent article 2 de la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet : « Les travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris financés au titre de la souscription nationale mentionnée au premier alinéa du présent article préservent l'intérêt historique, artistique et architectural du monument. » Nous ne pouvons naturellement pas ignorer dans nos réflexions la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite Charte de Venise, le document de Nara sur l'authenticité et l'inscription de « Paris, rives de la Seine » au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Les outils sont par conséquent désormais en place. Nous devons désormais unir nos efforts afin de nous montrer fidèles tant à l'esprit qu'à la lettre de la loi du 29 juillet et du décret d'application qui devrait être signé prochainement.

Je suis particulièrement optimiste sur le fait que nous pourrons, si nous le voulons ensemble, réussir cette mission qui devra à mon sens respecter un certain nombre de valeurs.

La première est l'humilité, car cette tâche dépasse nos humbles personnes : la cathédrale de Paris, c'est quelque chose d'immense. C'est donc avec beaucoup d'humilité, qui que l'on soit, qu'il faut aborder cette question.

La deuxième est le respect de chacun dans la fonction qui est la sienne, celui notamment des compagnons qui y travailleront comme de ceux qui les ont précédés depuis des siècles, qui nous l'ont léguée et dont nous ignorons les noms : belle leçon de modestie. J'y inclus bien entendu tous ceux qui l'ont restaurée au cours des siècles jusqu'à Viollet-le-Duc, artisan de sa dernière restauration.

La troisième est la vérité : il faut nommer les choses, dire les choses et les prendre telles qu'elles sont.

La transparence enfin, pour que ce chantier avance sereinement. À cet égard, je me réjouis, Monsieur le président, de la mission que vous allez mettre en place et avec laquelle j'espère travailler dans le respect de ces quatre valeurs, particulièrement de la dernière.

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