Intervention de Amélie de Montchalin

Séance en hémicycle du jeudi 21 novembre 2019 à 9h00
Accession de la macédoine du nord à l'organisation du traité de l'atlantique nord — Présentation

Amélie de Montchalin, secrétaire d'état chargée des affaires européennes :

Je viens vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la Macédoine du Nord, signé à Bruxelles le 7 février 2019. Le texte a déjà été approuvé par le Sénat le 17 octobre et j'espère qu'avec votre soutien aujourd'hui, notre pays pourra rejoindre le nombre des alliés ayant déjà ratifié cet instrument. Avec l'entrée en vigueur du protocole, la Macédoine du Nord deviendrait le trentième membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, l'OTAN.

Je souhaiterais revenir devant vous en détail sur l'approche de la France durant les négociations d'accession de la Macédoine du Nord au traité de l'Atlantique nord, ainsi que sur le double objectif poursuivi : contribuer à la sécurité de l'espace euro-atlantique et consolider nos efforts de stabilisation des Balkans occidentaux.

L'adhésion de Skopje à l'OTAN est, pour ce pays, l'aboutissement d'un processus lié à son identité même, puisqu'elle est la conséquence du règlement du contentieux sur la dénomination de la désormais République de Macédoine du Nord avec un autre allié, la Grèce. C'est également une illustration du rôle que l'Alliance peut jouer pour contribuer à la stabilisation de la région.

S'agissant de la candidature et des mérites propres de la Macédoine du Nord – précédemment reconnue, à titre provisoire, sous l'appellation d'ancienne République yougoslave de Macédoine – , il s'agit, vous le savez, de l'un des États successeurs de la Yougoslavie, dont elle s'est déclarée indépendante en 1991. La France a reconnu en 1993 ce nouvel État, devenu membre des Nations unies la même année. Dès 1995, l'OTAN noue un partenariat avec Skopje, qui se voit octroyer en 1999 un plan d'action pour l'adhésion à l'Alliance atlantique – MAP selon l'acronyme anglais – , qui lui donne le statut officiel de candidat.

Depuis vingt ans, la Macédoine du Nord a accompli des progrès constants dans la mise en oeuvre du MAP, dans le cadre d'un dialogue étroit avec l'OTAN : réforme du secteur de la défense et de la sécurité, accroissement de l'interopérabilité dans le domaine militaire, renouvellement du personnel civil et militaire, mais aussi renforcement de l'autonomie et de l'indépendance du système judiciaire, et lutte contre la criminalité organisée et la corruption.

Les différents rapports de progrès de l'OTAN ont souligné les efforts réels consentis par la Macédoine du Nord en matière de modernisation des forces armées et de réforme du secteur de la sécurité et du renseignement. Pour ce qui est des dépenses de défense, l'effort de la Macédoine du Nord se situe cette année à 1,2 % du PIB. C'est encore loin de l'objectif de 2 % du PIB fixé lors du sommet de l'Alliance au pays de Galles en 2014, mais l'indicateur est en progression rapide puisqu'il est prévu qu'il double pour atteindre les 2 % d'ici à 2024, ce qui correspond à une augmentation du budget de la défense de 300 millions d'euros.

L'aboutissement de cette candidature dépendait toutefois du règlement du différend bilatéral avec la Grèce sur la dénomination du pays. En effet, lors du sommet de Bucarest en 2008, l'adhésion à l'OTAN de l'ancienne République yougoslave de Macédoine avait été subordonnée à « une solution mutuellement acceptable [avec la Grèce] à la question du nom », Athènes refusant la dénomination de Macédoine au motif qu'il s'agit également d'une région située au nord de la Grèce. Cette condition a été rappelée lors du sommet de l'OTAN à Bruxelles qui s'est tenu en juillet 2018, peu de temps après la signature de l'accord historique de Prespa par les ministres des affaires étrangères des deux pays, le 17 juin 2018. L'accord de Prespa prévoit que le nouveau nom du pays, à usage international mais aussi interne, est « République de Macédoine du Nord », ou « Macédoine du Nord » en abrégé.

Skopje s'est d'abord acquittée de ses obligations pour l'entrée en vigueur de l'accord, en le ratifiant puis en modifiant la constitution du pays. Le parlement grec a ensuite ratifié l'accord à son tour, le 25 janvier dernier. Il faut se rendre compte que ce fut là un moment historique pour les deux pays, pour la région, pour les Balkans et pour l'Europe.

Quelques jours plus tard, le 6 février 2019, les vingt-neuf pays alliés et le ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord, Nikola Dimitrov, avec qui nous avons beaucoup échangé sur le sujet depuis quelques mois, ont pu procéder à la signature du protocole d'adhésion de la Macédoine du Nord à l'OTAN. Le 8 février, le parlement grec s'est, le premier – geste symbolique – , prononcé en faveur de la ratification du protocole, ce qui a permis l'entrée en vigueur de l'accord de Prespa, le 12 février. Si le Sénat et l'Assemblée nationale en sont d'accord pour la France, et au terme des procédures de ratification par tous les pays de l'Alliance, la Macédoine du Nord deviendra le trentième membre de l'OTAN, ce qui lui conférera les mêmes droits et obligations qu'aux autres alliés.

Quelles sont la nature et la situation de la Macédoine du Nord ? Pays de 2 millions d'habitants, la Macédoine du Nord se trouve au carrefour des Balkans. Elle s'est séparée pacifiquement de la Yougoslavie en 1991 et, depuis 2018, elle n'a plus aucun contentieux avec ses voisins. C'est un pays composé de plusieurs communautés qui a connu des crises internes sérieuses, mais qui a su les surmonter grâce au dialogue, à la négociation et au soutien de la communauté internationale, en particulier de la France.

Ainsi, au début des années 2000, l'accord-cadre d'Ohrid a mis fin à des affrontements intercommunautaires qui auraient pu dégénérer en guerre civile. L'Union européenne et ses représentants spéciaux, François Léotard et Alain Le Roy, ont contribué à ce résultat ; je tenais à rappeler aujourd'hui leur effort. Plus récemment, la Macédoine du Nord a traversé une période d'instabilité entre 2014 et 2017, qui a été surmontée grâce à une alternance politique et à la formation d'un nouveau gouvernement réformateur avec lequel la France travaille étroitement. Au demeurant, Skopje a toujours fait preuve de constance dans sa politique étrangère, orientée vers l'Europe, l'Union européenne et l'OTAN.

S'agissant du rapprochement européen, que l'actualité m'amène à évoquer, la perspective européenne de la Macédoine du Nord, comme celle de l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, est reconnue depuis les sommets de Zagreb en 2000 et de Thessalonique en 2003. Le pays a été reconnu candidat à l'adhésion à l'Union européenne dès 2005. Je tiens à dire solennellement que sa marche vers l'adhésion n'est évidemment pas remise en cause, au contraire. Le Conseil européen des 17 et 18 octobre n'a pas permis, faute de consensus, de trouver un accord sur l'ouverture formelle des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie. La question sera examinée à nouveau avant le sommet de l'Union européenne et des Balkans qui se tiendra à Zagreb en 2020 – vingt ans après le sommet du même nom.

D'ici là, la France et ses partenaires souhaitent trouver des solutions pour avancer concernant deux chantiers que nous avons identifiés comme préalables à l'ouverture des négociations d'adhésion avec ces deux pays.

D'une part, il est important pour la crédibilité du processus que les réformes demandées par le Conseil de l'Union européenne en juin 2018 soient effectivement et concrètement appliquées par les pays concernés.

D'autre part, nous ne pouvons pas ouvrir des négociations d'adhésion dans le cadre du processus d'adhésion actuel ; nous avons fait des propositions à nos partenaires européens pour réformer celui-ci, pour l'améliorer en profondeur et pour en changer l'orientation. J'ai présenté moi-même ces propositions mardi à Bruxelles, lors du Conseil des affaires générales ; il nous faut désormais gagner le soutien de nos partenaires. Les ministres ont, à l'unanimité, encouragé la Commission européenne à travailler sur un processus de négociation plus rigoureux, plus graduel et plus concret qui intègre une forme de réversibilité – non pour fermer la perspective européenne, mais pour nous assurer que c'est bien au bénéfice des citoyens que nous travaillons. C'est une étape importante qui doit permettre, au cas par cas, d'améliorer les choses et de reconstituer une adhésion plus profonde à un processus dont on a vu les tensions qu'il pouvait créer lorsque les attentes des populations étaient déçues. C'est en ce sens que nous allons travailler.

Dans ce contexte, quel est l'intérêt pour notre pays d'une adhésion à l'OTAN de la Macédoine du Nord ? La contribution de Skopje à la sécurité de l'Alliance sera mesurée, étant donné la taille modeste du pays, mais elle ne sera pas négligeable. Entre l'Albanie et la Bulgarie, le Kosovo et la Grèce, ce pays assure un continuum géographique entre les mondes balkanique, méditerranéen et de la mer Noire. Cela a son importance au regard des équilibres stratégiques en Europe. La Macédoine du Nord continuera de participer aux opérations et missions de l'Alliance. D'ores et déjà, en tant que partenaire, le pays avait été engagé dans l'opération Resolute Support en Afghanistan. Aujourd'hui encore, précisément grâce à sa situation géographique, la Macédoine du Nord continue d'offrir un appui à la force de l'OTAN au Kosovo, la KFOR.

Pour finir, quel impact aura l'adhésion de la Macédoine du Nord sur la politique d'élargissement de l'OTAN ? Cette question est évidemment indissociable de notre vision de l'avenir de l'Alliance. Vous l'aurez compris aux propos du Président de la République, la priorité française est de faire un effort de réflexion sur les valeurs et les objectifs de l'OTAN, ainsi que sur la stratégie et les moyens que l'Alliance se donne pour les atteindre. Ces sujets ont été abordés par Jean-Yves Le Drian et ses homologues lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l'OTAN qui s'est tenue hier à Bruxelles, et le seront également lors de la réunion des chefs d'État et de gouvernement à Londres, début décembre.

S'agissant plus spécifiquement de Skopje, il faut se souvenir que la politique d'élargissement de l'OTAN a été, au lendemain de la guerre froide, un facteur de renforcement de la sécurité du continent européen. Répondant comme l'Union européenne à la demande forte de stabilité et de sécurité émanant des ex-pays membres du pacte de Varsovie, l'Alliance avait défini des modalités d'accession souples. L'objectif était alors de contribuer à une vaste architecture de sécurité européenne où les processus d'élargissement de l'OTAN et de l'Union européenne étaient perçus comme complémentaires. Un accord entre alliés sur le traitement des questions d'élargissement de l'OTAN est intervenu à l'occasion du sommet de Varsovie en 2016. La France s'est assurée, dans le cadre de cet accord, que l'invitation faite à la Macédoine du Nord ne serait pas entendue comme le signal d'un élargissement non maîtrisé.

Pour la France, l'élargissement de l'OTAN n'est aujourd'hui ni une priorité, ni une fin en soi. Il ne peut s'envisager que dans la mesure où il renforce effectivement la sécurité de l'espace euro-atlantique et la crédibilité de la défense collective. C'est le cas pour Skopje. Si la Macédoine du Nord s'est vu proposer l'adhésion sur le fondement de ses mérites propres, il n'existe pas aujourd'hui de consensus s'agissant de l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine, dernier candidat dans la région, et plus à l'est, de l'Ukraine et de la Géorgie. Il n'y aura pas de nouvel élargissement sans consensus sur la contribution des nouvelles adhésions à la sécurité de l'espace euro-atlantique. L'accession de la Macédoine du Nord à l'OTAN ne préjuge par ailleurs en rien des décisions que l'Union européenne pourra prendre quant à l'adhésion de ce pays. Les processus sont distincts et la France a souhaité qu'un débat s'engage sur ce point.

Voilà, en résumé, les enjeux essentiels que je voulais vous exposer à propos de ce protocole d'accession, objet du texte proposé à votre approbation. Je vous invite à juger le projet de loi pour ce qu'il est : le moyen d'un développement circonscrit au cas de la Macédoine du Nord, justifié au vu des efforts consentis par Skopje et de l'accord historique de Prespa, et d'une adhésion qui constitue un signe positif pour la stabilité des Balkans occidentaux.

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