Intervention de Mireille Clapot

Séance en hémicycle du jeudi 21 novembre 2019 à 9h00
Accession de la macédoine du nord à l'organisation du traité de l'atlantique nord — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMireille Clapot, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Le projet de loi que nous examinons vise à autoriser, à la suite du Sénat, la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la Macédoine du Nord. Après la fin de notre procédure parlementaire, le texte n'aura plus à être ratifié que par les Pays-Bas et l'Espagne pour que la Macédoine du Nord devienne le trentième membre de l'Alliance atlantique.

Qu'est-ce que la Macédoine du Nord ? C'est un pays qui est bordé au sud et à l'est par l'Union européenne – Grèce et Bulgarie – , au nord par le Kosovo, comme lui ancienne république fédérée au sein de la Yougoslavie, et à l'ouest par l'Albanie. Un pays de 2 millions d'habitants, dont trois quarts de Slaves orthodoxes et un quart d'Albanais. Un pays qui n'existe que depuis 1991 et qui a dû changer de nom, la mort dans l'âme, malgré l'ampleur du sacrifice. Un pays qui a été le théâtre de trois conflits : guerres balkaniques, Première et Deuxième Guerre mondiale. Un pays dont la capitale s'appelle aujourd'hui Skopje, mais dont le nom était en 1918 Uskub et qui fut alors le théâtre de la bataille éponyme – permettez-moi, à cette occasion, d'adresser un salut amical au premier régiment de spahis de Valence, dans la Drôme, pour qui la bataille d'Uskub fut fondatrice. Un pays, enfin, qui a observé avec lucidité son isolement et a courageusement pris les décisions qui s'imposaient pour rejoindre le concert des nations.

Parler de la Macédoine du Nord, c'est appeler l'attention sur cette région européenne qu'on nomme les Balkans, et je me réjouis que notre assemblée considère aujourd'hui cette zone avec un regard attentif. Ces pays sont aux confins des mondes slave, latin et albanais ; s'y côtoient le catholicisme, l'orthodoxie et l'islam. Ils se situent sur la route des migrations provenant du Proche et Moyen-Orient, mais aussi d'Afghanistan, et se dirigeant vers l'Europe du Nord et de l'Ouest.

Les ambitions russes et turques continuent de s'y exprimer, mais s'y confrontent à la volonté d'une grande part de la population d'intégrer l'espace euro-atlantique. Nous avons tous en tête les terribles conflits nés de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie. Nous savons les appétits des grandes puissances pour ces zones fragilisées. La Russie argue d'une proximité avec les orthodoxes, mais est fortement soupçonnée de manipuler l'opinion et les votes en utilisant ses méthodes habituelles. La Turquie se voit comme la marraine des pays de l'ancienne Roumélie ottomane, mais dispose d'un pouvoir d'attraction moins fort que l'Europe et est tentée de manier l'intimidation. Les conflits asymétriques liés au terrorisme et les trafics en tous genres y sont plus probables qu'ailleurs en Europe, alors même que les conflits entre États n'y sont pas totalement impossibles. Les enjeux de sécurité y sont donc considérables.

Or, depuis les indépendances des pays issus de l'ex-Yougoslavie, l'intégration de l'ensemble de la sous-région à notre zone de défense euro-atlantique n'est toujours pas complète. Mais la géopolitique, comme la nature, a horreur du vide. Si la porte demeure fermée trop longtemps à l'ouest, les peuples de la région et leurs gouvernements finiront par répondre aux appels de l'est – la Russie – et du sud-est – la Turquie.

Alors qu'ils mettent tout en oeuvre pour nous rejoindre, est-ce notre intérêt de rapprocher ces pays de puissances plus ou moins hostiles ? Évidemment non. C'est pour cela que je suis convaincue qu'il faut rapidement permettre aux pays balkaniques en général, et à la Macédoine du Nord en particulier, de nous rejoindre. Nous les intégrerions dans un premier temps à notre système de défense commune, même si celui-ci est probablement à refonder pour permettre une plus grande autonomie européenne à même de défendre nos intérêts stratégiques, qui ne sont pas toujours ceux des États-Unis.

L'OTAN, puisque c'est d'elle que nous parlons, traverse une triple crise. Toutefois, ce n'est pas en nommant la crise que nous la faisons advenir : en utilisant la formule forte de « mort cérébrale », le Président de la République n'a fait que prendre acte de trois transformations majeures. Premièrement, le désengagement croissant des États-Unis, depuis le refus de s'engager en Syrie en 2013, en dépit du franchissement de la ligne rouge fixée par Barack Obama, jusqu'au retrait de Syrie sans concertation par Donald Trump, nous lance évidemment un défi stratégique. Les récents développements dans le Nord-Est syrien, où la Turquie a fait pénétrer son armée sans concertation préalable avec ses alliés, questionnent également la clause d'assistance mutuelle. Enfin, troisième aspect de la crise : la responsabilité même des Européens pour assurer leur sécurité est en jeu.

En prévision du sommet de Londres, les 3 et 4 décembre prochains, une analyse va s'engager sur les grands enjeux de sécurité collective ; Mme la secrétaire d'État l'a rappelé. Quoi qu'il en soit, l'OTAN est aujourd'hui le seul outil de sécurité probant à notre disposition. Il doit bénéficier aux pays des Balkans occidentaux comme cela a été le cas pour les autres pays d'Europe centrale et orientale.

Certes, tel l'éléphant dans la pièce, comme disent les Anglais, une autre question s'impose : celle de l'intégration des pays des Balkans à l'Union européenne, en particulier de la Macédoine du Nord et de l'Albanie, qui font l'actualité depuis que l'ouverture des négociations d'adhésion a été reportée lors du Conseil européen d'octobre. Même s'il ne s'agit pas du sujet du jour, je tiens à préciser, comme l'a fait Mme la secrétaire d'État, que le processus d'intégration sera réformé et que cela nécessitera du temps, mais que la porte ne s'est pas refermée. Du point de vue géographique et culturelle comme stratégique, la place de l'Albanie et de la Macédoine du Nord est au sein de la famille européenne.

Où en sommes-nous ? La France a présenté ces derniers jours un projet de réforme du processus d'accession à l'Union européenne. Celui-ci y apparaît plus lisible, car organisé en sept blocs de politiques publiques ; rigoureux et vérifiable ; plus incitatif, en ce qu'il permettra de réelles avancées pour les populations ; et réversible, afin de parer à toute éventualité. Quelques pays ont déjà fait connaître leur intérêt pour ces propositions ; je m'en réjouis évidemment. C'est une affaire à suivre de très près.

Après ce panorama d'ensemble, je souhaite développer les raisons pour lesquelles je soutiens pleinement le protocole d'adhésion : parce que nous nous y sommes engagés lors du sommet de Bucarest, en 2008, en posant pour seule condition suspensive que la Macédoine entretienne des relations de bon voisinage ; et parce que nous y avons intérêt.

La Macédoine du Nord a accompli de grands efforts afin de lever les obstacles à sa pleine intégration au sein de l'ensemble euro-atlantique. Elle a, dans un premier temps, réglé la question de la minorité albanaise par les accords d'Ohrid, dès 2001, ce qui a permis à l'ensemble de la population – slave comme albanaise – de participer aux mêmes manifestations ayant contribué à mettre fin au pouvoir autoritaire de Nikola Gruevski. Les relations albano-nord-macédoniennes sont aujourd'hui plutôt bonnes et peuvent servir d'exemple à d'autres pays des Balkans où les questions liées aux minorités se posent encore.

La Macédoine du Nord a ensuite réglé son contentieux historique avec la Grèce sur le nom du pays par les accords de Prespa, entrés en vigueur en février 2019. Cet accord a constitué un déchirement, nécessitant l'engagement de toutes les forces progressistes du pays, mais celui-ci a pu aboutir.

Si vous ajoutez à cela l'application stricte des règles européennes lors de la crise migratoire de 2015, la participation de la modeste armée du pays aux coalitions au Levant et en Afghanistan, l'élaboration du plan national d'intégration et la participation à des exercices d'interopérabilité, vous aurez compris que la Macédoine du Nord attend aujourd'hui un geste de la part des Européens et de leurs alliés.

Le protocole d'adhésion de la Macédoine du Nord est un protocole classique qui permettra principalement au pays de bénéficier de la clause d'assistance mutuelle en cas de conflit : le fameux article 5 de la charte de l'Alliance. Il n'est toutefois pas prévu le stationnement de quelque armée étrangère que ce soit dans le pays.

Voilà en quoi nos engagements ont été tenus. Quant à l'intérêt que nous avons à voir l'adhésion aboutir, la sécurité dans la région, la stabilité de cette zone, la prospérité qui peut en résulter, sont autant de bénéfices pour nous. Enfin, l'adhésion de la Macédoine du Nord peut représenter une opportunité pour la France en matière de coopération militaire. Un comité d'armement bilatéral a été constitué, dont la dernière réunion en date a eu lieu à Skopje le 25 juin 2018. Il devrait prendre un nouvel élan après l'adhésion du pays à l'OTAN.

Mon dernier mot concernera la Russie. Lorsque l'on parle d'élargissement de l'OTAN, nous reviennent immédiatement en mémoire les exemples géorgien et ukrainien. Les Balkans et la Macédoine du Nord n'ont toutefois jamais été des républiques soviétiques ; ils n'ont même jamais fait partie de l'« étranger proche ». Par conséquent, l'adhésion de ce pays ne peut être considérée comme une provocation à l'égard de Moscou – qui n'a d'ailleurs manifesté qu'une opposition de principe – , seulement comme une sécurisation de la partie sud-est de notre continent à l'heure où tous les facteurs d'insécurité profitent de ces zones grises pour se développer.

En conclusion, parce que nous nous y sommes engagés et parce que nous y avons intérêt, je vous invite à adopter le projet de loi permettant l'accession à l'OTAN de la Macédoine du Nord.

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