Intervention de Philippe Berta

Réunion du mercredi 6 novembre 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Berta, rapporteur :

J'ai eu l'opportunité de co-animer le deuxième groupe, portant sur le renforcement de l'attractivité des métiers de la recherche, aux côtés de M. Philippe Mauguin, président de l'INRA, et du professeur M. Manuel Tunon de Lara, président actuel de l'université de Bordeaux, avec la participation d'acteurs représentatifs de différents secteurs du monde de la recherche.

Dans un premier temps, notre travail a consisté à dresser un constat de la situation de la recherche et de ses métiers. Je dois avouer que ce constat est plutôt affligeant, mais nous le savions. Nous avons noté un décrochage des rémunérations, une érosion de l'emploi scientifique, de mauvaises conditions d'entrée dans les carrières scientifiques, ainsi que la qualité inégale de la gestion des ressources humaines (GRH), selon les établissements.

Par exemple, il faut savoir que dans les métiers de la recherche et de l'enseignement supérieur, la moyenne d'âge oscille aujourd'hui entre 34 et 35 ans, soit des niveaux « bac+17 » – les doctorats et des post-doctorats constituant des formes d'études – pour une rémunération de 1 800 euros nets par mois au premier échelon. Aujourd'hui, telle est la réalité de l'attractivité de nos métiers. Il faut tomber sur des passionnés, qui heureusement existent encore.

Je vais vous présenter les propositions que nous avons formulées, dont l'exécutif sera libre de s'emparer ou non – sachant que ces propositions vont coûter probablement plus cher que celles que Cédric Villani vient de mentionner.

Notre première proposition est de revaloriser, par le régime indemnitaire, les rémunérations de l'ensemble des personnels de la recherche, en les alignant sur les rémunérations moyennes des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la fonction publique française. Nous parlons de réforme indemnitaire, et non indiciaire, car dans ce dernier cas nous mettrions en difficulté les finances de l'État.

Nous sommes partis du constat suivant : les salaires des chercheurs et enseignants-chercheurs français sont en décrochage par rapport aux standards internationaux. Ce différentiel est très marqué, en particulier en début de carrière. Le salaire moyen annuel brut d'entrée des chercheurs en France représente, en parité de pouvoir d'achat, un peu moins de 63 % du salaire moyen d'entrée perçu par les chercheurs en Europe et dans les pays de l'OCDE. La comparaison avec la rémunération des cadres de la fonction publique française montre le même phénomène de décrochage, principalement sur le volet indemnitaire. La réforme annoncée des retraites renforce l'urgence d'un rattrapage.

Pour remédier à cette situation, nous avons tout d'abord proposé de revaloriser les rémunérations des personnels de la recherche au niveau de la moyenne de l'OCDE – une ambition limitée, mais c'est déjà une première ambition – par des indemnités, en respectant, d'une part, un équilibre entre une revalorisation pour tous et revalorisation ciblée au mérite – qui tiendra compte des différentes missions des chercheurs et enseignants-chercheurs– et, d'autre part, un équilibre entre reconnaissance individuelle et reconnaissance collective. Nous proposons d'étudier la possibilité de déplafonner les compléments indemnitaires tirés des ressources propres et de mener une réflexion complémentaire pour prendre en compte la spécificité des enseignants-chercheurs dans la construction du régime indemnitaire.

La deuxième proposition est de relancer l'emploi scientifique permanent en se rapprochant des meilleures procédures de recrutement à l'échelle internationale. En effet, les évolutions récentes de l'emploi scientifique nuisent à l'attractivité de la recherche française, dans un contexte de massification de l'enseignement supérieur et de renforcement de la concurrence internationale. D'une part, l'érosion de l'emploi scientifique permanent réduit les potentiels de recrutement et de promotion, et décourage les jeunes générations de chercheurs et enseignants-chercheurs ; d'autre part, la répartition de l'emploi scientifique est aujourd'hui peu adaptée aux besoins de la recherche, avec une progression de l'emploi contractuel précaire et un déficit de personnels de support et de soutien.

Dans ce contexte, nous avons proposé de doter les établissements de budgets sincères, avec une subvention pour charge de service public leur permettant de stabiliser leurs emplois scientifiques permanents et d'améliorer les conditions d'emploi des contractuels sur ressources propres par la création d'un contrat à durée indéterminée (CDI) de missions scientifiques aligné sur la durée des projets de recherche, afin de contribuer à la lutte contre la précarisation des agents concernés. Actuellement, ces emplois prennent la forme de contrats à durée déterminée (CDD), qui finissent par arriver à leur terme et par ne plus pouvoir être renouvelés, alors que la mission sur laquelle ils travaillent se poursuit. Fréquentant beaucoup les laboratoires, j'ai pu percevoir la désespérance de gens bien formés, au coeurs d'un projet, qui sont obligés de rejoindre Pôle emploi, alors que des financements existent pour continuer à les rémunérer au sein des laboratoires.

Nous proposons aussi l'établissement d'un contrat de post-doctorat pour les jeunes chercheurs, à durée déterminée, pour améliorer les débuts de carrière dans la recherche publique. Nous en avons besoin, car nous avons un énorme déficit dans notre pays. Aujourd'hui, malheureusement pour nous, l'essentiel des post-doctorat se font à l'étranger.

Ensuite, nous proposons de rapprocher les procédures de recrutement des enseignants-chercheurs et des chercheurs des meilleures pratiques internationales, par la création de chaires d'excellence junior pour attirer les jeunes talents et par un nouveau dispositif de recrutement que les Anglo-saxons appellent le tenure track, organisé par les établissements. Aujourd'hui, ce type d'emplois existe en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis.

L'institut universitaire de France (IUF), finalement peu utilisé, pourrait être remarquablement mieux doté et se voit confier la mission d'aller chercher les meilleurs chercheurs et de les attirer chez nous, plutôt que de voir systématiquement nos meilleurs éléments partir à l'étranger.

Nous préconisons l'intégration d'une épreuve de mise en situation professionnelle aux procédures de recrutement, ainsi que l'augmentation des recrutements externes de directeurs de recherche et de professeurs des universités.

Nous proposons également une extension des dispenses de qualification pour les établissements qui le souhaitent et dont les processus de recrutement auraient été certifiés, en particulier en termes de qualité sur la base des normes européennes.

Notre troisième proposition est de revaloriser le doctorat. En France, la valorisation du doctorat n'est pas à la hauteur de celle constatée dans les autres pays, qu'il s'agisse des conditions de préparation de la thèse ou de sa reconnaissance, notamment en dehors du monde académique et de la recherche publique, et ce malgré les progrès réalisés incontestablement par les écoles doctorales au cours de ces dernières années.

Nous proposons d'adapter la durée du contrat doctoral à la diversité des disciplines. À titre d'exemple, la biologie a besoin de temps et, en ce domaine, une durée limitée à trois ans est souvent trop brève.

Nous proposons des projets professionnels prévoyant des périodes d'immersion sur le terrain pendant les thèses, comme cela peut se faire dans des écoles d'ingénieurs. Pourquoi ne pas imaginer une immersion pendant sa thèse pour une durée de trois mois, avec une mini mission en milieu industriel ou dans la fonction publique ?

Nous préconisons de généraliser un financement dédié pour les doctorants en formation initiale, sachant que beaucoup trop de thèses, dans ce pays, sont effectuées sans aucun financement.

Nous souhaiterions également augmenter la rémunération minimale des contrats doctoraux. Il faut savoir rémunérer des personnels de niveau « bac+5 » à la hauteur de leurs qualifications.

Enfin, nous proposons de créer un cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral et d'augmenter le nombre de conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE). Ces thèses, qui sont placées sous une co-direction publique et privée, remportent un réel succès !

Notre quatrième proposition est d'améliorer l'entrée dans la carrière d'enseignant-chercheur et son déroulement. Alors que les premières années sont parmi les plus productives en recherche, les conditions d'entrée dans les carrières scientifiques ne sont absolument pas satisfaisantes en France. Au-delà de l'environnement de travail des jeunes chercheurs et des procédures de recrutement assez éloignées des standards internationaux, le corps des maîtres de conférences est très peu attractif. Par exemple, nous proposons d'alléger les obligations de service d'enseignement en début de carrière, pour que le jeune recruté ait du temps pour ses recherches, ainsi que d'analyser l'opportunité d'une fusion des corps d'enseignants-chercheurs – il s'agit d'un serpent de mer, mais nous rouvrons ce débat. Le titre de maître de conférences n'évoque rien à nos interlocuteurs à l'étranger, alors que la notion de « professeur associé » parle à tous.

Notre cinquième proposition vise à moderniser la gestion des ressources humaines, pour améliorer l'attractivité et l'efficacité de l'emploi scientifique. Actuellement, la gestion des personnels scientifiques est très hétérogène en fonction des établissements. J'ai travaillé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), j'ai été professeur à l'université de Montpellier, je suis professeur à l'université de Nîmes, je n'ai jamais vu de service de ressources humaines en plusieurs décennies de carrière...

Par ailleurs, les procédures d'évaluation sont inégales selon les différents secteurs et les dispositifs en place ne favorisent pas la mobilité des chercheurs et enseignants-chercheurs.

Enfin, les obligations de service des enseignants-chercheurs et la logique comptable qui en résulte ne correspondent plus à la réalité des missions qui leur sont demandées. Ces enseignants chercheurs sont redevables de 192 heures en équivalent de travaux dirigés d'enseignement sur l'année, de façon uniforme pour tous ; cela revient à leur demander de faire 192 heures de recherche par ailleurs. Une réflexion doit être menée sur la notion de service dans ces métiers.

Nous avons donc formulé cinq préconisations pour moderniser la gestion des ressources humaines, dont la première est de mettre en place une vraie gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique.

La seconde consiste à amplifier les dispositifs favorisant la mobilité, par une amélioration des conditions de reclassement, avec des mobilités mieux prises en compte dans l'avancement d'échelon et de grade ; un nouveau régime de congé pour recherches, plus favorables aux activités de recherche ; des mobilités facilitées entre organismes de recherche et universités ; le développement et la création d'emplois fonctionnels dans les universités et les organismes de recherche ; la création d'un statut de chercheur associé pour les organismes de recherche.

La troisième proposition est d'adapter les obligations de service des enseignants-chercheurs à la réalité de leur métier, en proposant un système de régulation collective des charges d'enseignement au niveau de leur département ou de leur faculté – ce que l'on appelle l'unité de formation et de recherche (UFR) – en intégrant les laboratoires dans ce système de régulation et en menant une expérimentation sur la base d'un service évalué, non plus en volume horaire, mais en crédits européens.

Nous proposons ensuite de professionnaliser les procédures d'évaluation et d'en faire un des éléments clés de la gestion des ressources humaines, par le rétablissement d'évaluations périodiques des enseignants-chercheurs. En tant que chercheur, j'ai été évalué tous les deux ans. Je suis enseignant-chercheur depuis 2008, mais je n'ai jamais fait un rapport d'activité depuis 2008. Est-ce que cela est normal ? C'est sujet à discussion.

Nous proposons également de consolider le positionnement du Hcéres pour nous assurer de la qualité du processus d'évaluation, et d'encourager, à travers la composition des instances d'évaluation, la reconnaissance d'activités autres que celle de la recherche.

Enfin, nous proposons de professionnaliser la gestion des ressources humaines par la reconnaissance de la qualité de la GRH, comme un axe important de la relation contractuelle entre l'organisme ou l'établissement et le ministère, ainsi que la mutualisation de certaines formations, notamment celles des cadres pour la gestion de projets des infrastructures.

Notre sixième et dernière proposition est d'instaurer des contrats d'objectifs et de moyens pluriannuels pour suivre la réalisation des grands objectifs de cette future loi. Contraints par l'annualité de la loi de finances, les établissements d'enseignement supérieur pilotent leur masse salariale et leur stratégie de recrutement sur une base annuelle. Cela ne favorise pas le développement de programmations, ni les recrutements concertés entre universités et établissements de recherche. Cela ne favorise pas non plus une concertation au niveau des politiques de site et cela ne permet pas de donner des perspectives aux jeunes qui souhaitent s'engager dans la recherche. Les contrats d'objectifs et de performance signés avec les tutelles intègrent des orientations générales en matière de GRH mais ne contiennent pas de volet sur les moyens attribués. Nous proposons donc d'établir des contrats d'objectifs et de moyens de performance (COMOP) quinquennaux entre universités, organismes de recherche et ministères.

L'attractivité des emplois et des carrières scientifiques est dans un état critique et appelle à une action des plus fortes. À ce stade, l'annonce de cette loi est accueillie très favorablement par notre communauté. Notre rapport s'efforce de refléter au mieux les évolutions souhaitables dont nous évaluons le coût à environ 5 à 6 milliards d'euros sur le prochain quinquennat afin d'espérer une remise à niveau de la recherche à la hauteur de nos engagements à l'échelle européenne.

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