Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 21 novembre 2019 à 8h30
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Christophe Castaner, ministre de l'intérieur :

Je vais tenter de répondre d'abord de façon globale, puis par un propos plus affiné, à l'ensemble de vos questions, tout en veillant à ne pas sortir du champ de compétence de mon ministère. Bon nombre de vos questions relèvent effectivement d'autres ministères, et notamment de celui qui chapeaute les DREAL, pour lesquelles je suis donc formellement incompétent. Et mon opinion personnelle n'a que peu d'intérêt au regard de l'enjeu que représente la gestion de ce dossier et des conclusions que vous souhaiterez en tirer.

Il est en effet essentiel – c'est aussi important que ce qui s'est passé à Rouen dans la nuit du 25 au 26 septembre – de tirer des enseignements et de profiter de ce retour d'expérience pour formuler des propositions : c'est ce que nous faisons, de façon systématique et en lien avec le ministère de la transition écologique et solidaire, afin d'avancer sur ces sujets.

Cet incendie spectaculaire a notamment dégagé un très épais panache de fumée noire et provoqué des inquiétudes légitimes parmi la population. Il faut distinguer le temps de l'intervention, sur lequel vous êtes revenus, et celui de la gestion, et notamment de son volet communication.

Mon propos liminaire vise à vous donner un compte rendu précis et rigoureux des événements et sur la manière dont la crise a été gérée tant par les sapeurs-pompiers – je commencerai par eux – que par les services de l'État.

Trois cents sapeurs-pompiers se sont mobilisés pendant douze heures dans des conditions difficiles. Ils ont réussi à maîtriser les flammes et à empêcher qu'un suraccident ne se produise. Grâce un travail sans relâche de leur part, des faits beaucoup plus graves ont été évités : cela fournit d'ores et déjà une partie de la réponse, car c'est en raison de leur bonne connaissance du site, appuyée sur les dispositifs de sécurité, sur les pompiers privés de la société Lubrizol ainsi que sur ses salariés qui ont collaboré avec eux et effectué eux aussi un travail remarquable au cours de cette nuit afin de préserver l'essentiel, qu'ils ont pu définir un plan d'attaque de l'incendie et de gestion de la crise.

Ils ont ainsi, mais j'y reviendrai, pu préserver l'essentiel. Leur mobilisation exemplaire, que je tiens, après vous, à souligner de nouveau, a permis d'éviter un événement de bien plus grande ampleur.

Il est également important d'insister sur l'engagement des salariés de l'usine Lubrizol qui eux aussi ont eu un comportement héroïque pendant la nuit de l'incendie.

Rappelons, même si chacun l'a bien en tête, qu'il n'y a eu ni mort, ni blessé, ce dont nous ne pouvons, monsieur le député Pierre Cabaré, que nous féliciter. Vous avez évoqué des faits survenus à Toulouse et qui ont marqué notre mémoire ; de nombreux incidents de ce type se sont produits, qui auraient pu entraîner des dommages autrement plus importants si des évolutions législatives n'avaient été apportées au fil des ans,

Il arrive que l'on se livre à des comparaisons hasardeuses : or il me paraît primordial de tirer tous les enseignements de ce qui s'est passé à Rouen cette nuit et ce jour-là et d'avoir en tête que l'essentiel a été préservé. Nous avons eu affaire à un incendie de très grande ampleur et non à une catastrophe ayant provoqué des morts, comme cela fut le cas à Toulouse. Ce sinistre pose naturellement des questions : vous en avez posé certaines, et les habitants de Rouen et de ses environs, mais également de plus loin, jusque dans les Hauts-de-France, en ont posé d'autres, auxquelles il faut évidemment répondre.

Étant donné la nature de la crise, je souhaite vous rappeler comment les services et nous-mêmes intervenons habituellement dans ce type de circonstances.

À deux heures quarante-deux du matin, un incendie s'est déclaré dans l'usine Lubrizol. À trois heures quarante-cinq, un centre opérationnel départemental (COD) a été ouvert : il s'agit, comme vous le savez, d'un outil de gestion de crise à la disposition du préfet en cas d'événement majeur. Et le préfet a évidemment considéré que nous nous trouvions face à un événement majeur.

À cinq heures vingt-cinq, le préfet a décidé – j'y reviendrai – d'activer le plan particulier d'intervention (PPI). Ce dispositif est adapté et permet de définir l'organisation des secours face à un incident sur un site présentant une dangerosité particulière pour l'environnement et les populations, ce qui était précisément le cas.

Ce PPI présente pour le préfet l'intérêt de connaître les risques ainsi que la nature des produits susceptibles d'être présents sur le site : il s'agit d'informations précieuses et indispensables pour organiser l'intervention.

Je reviens en quelques mots sur celle des sapeurs-pompiers, qui s'est déroulée sans discontinuer pendant douze heures. À dix heures cinquante-cinq, le feu était circonscrit ; à treize heures, le feu était maîtrisé ; à quinze heures, il était éteint.

Par ailleurs, au-delà du SDIS de la zone, la réaction de l'ensemble du ministère a été immédiate, sous la responsabilité du directeur général de la Sécurité civile et de la Gestion des crises : le Centre opérationnel de gestion et d'information des crises (COGIC) a coordonné l'envoi de renforts nationaux, notamment deux hélicoptères de la Sécurité civile et les moyens en émulseurs de cinq départements voisins.

Un certain nombre d'informations ont circulé, concernant notamment des ruptures d'eau dont auraient été victimes les sapeurs-pompiers pendant leur intervention. Une rupture a effectivement eu lieu chez l'exploitant ; une enquête administrative est en cours pour en comprendre les raisons. Cependant, grâce au pompage de l'eau de la Seine, aucune rupture n'a été à déplorer dans le traitement de l'incendie. Il est important de le préciser car il a beaucoup été dit et écrit à ce sujet – mais pas dans le cadre des travaux de votre commission ou de celle du Sénat.

J'ajoute qu'il n'y a jamais eu aucun manque de solutions moussantes. En outre, des barrages flottants installés dans le cadre du plan POLMAR ont permis, dès la fin de matinée, d'empêcher une pollution de la Seine – ils ne l'étaient pas au moment où nous sommes arrivés sur place et nous avons expressément demandé qu'il soit remédié à cette situation dans les meilleurs délais, ce qui a été fait.

Au total, 11 000 mètres carrés du site ont été détruits sur un total de 140 000. Les bâtiments administratifs et les outils de production ont été préservés, ce qui mérite d'être salué compte tenu de la gravité du sinistre. La mobilisation des femmes et des hommes a été remarquable. Surtout, un suraccident par l'effet domino lié à la présence d'autres sites industriels à proximité, comme l'a indiqué M. Wulfranc, a été évité. Là encore, je précise que sous l'autorité du directeur des opérations des sapeurs-pompiers, tout a été organisé pour prendre ce risque en compte et éviter tout effet domino.

Tout au long de l'incendie, un épais nuage de fumée noire s'est formé et propagé. Il nous est apparu immédiatement que nous devions connaître la nature des particules qu'il contenait et leur éventuelle dangerosité pour les populations. Un réseau de mesures a donc été immédiatement mis en place par les sapeurs-pompiers sur vingt-six points, dans l'axe de propagation du panache de fumée.

Dès quatre heures deux du matin, le SDIS a indiqué qu'il était nécessaire de veiller au confinement des personnes fragiles et notamment de fermer certains établissements scolaires. Leurs directeurs ont donc été contactés.

Un des premiers enseignements que nous devons tirer est la nécessité d'une définition précise et de l'utilisation du bon mot : un confinement n'est pas une mise à l'abri. Des mots différents ont été utilisés, qui n'ont pas forcément le même sens. Peut-être en tirerez-vous certaines préconisations. Le vocabulaire est en effet essentiel dans la mesure où, au-delà même de l'information, il doit déterminer des comportements.

À cinq heures cinquante-cinq du matin, il a été décidé d'envoyer un laboratoire mobile de la Sécurité civile, basé à Nogent-le-Rotrou. Ensuite, preuve de l'engagement et de la mobilisation complète du ministère, un autre appareil du Laboratoire central de la Préfecture de police a été envoyé sur place. Ces laboratoires mobiles ont procédé à l'analyse des prélèvements réalisés par les sapeurs-pompiers pendant les opérations, et ce jusqu'au vendredi.

Leurs résultats ont mis en évidence la présence dans les fumées d'hydrocarbures aromatiques polycycliques, de composés organiques volatils et soufrés. Les concentrations de ces composés, présents généralement dans les émissions de gaz d'échappement automobiles, ne dépassaient pas les seuils d'un pic de pollution urbain.

Notre vigilance s'est maintenue et le préfet a pu compter sur le soutien permanent de tout le ministère. Le COGIC en particulier a renforcé son organisation dans la nuit.

Compte tenu de la localisation du site et du panache de fumée, les zones de défense et de sécurité nord et ouest ont également été sollicitées afin d'évaluer les impacts possibles de l'incendie sur leurs territoires respectifs dans le souci commun de protection des populations. Enfin, le COGIC a permis d'assurer la bonne circulation de l'information sur le plan interministériel.

Je tiens également à signaler que les sapeurs-pompiers disposaient de moyens de protection adaptés lors de leur intervention et qu'ils bénéficient aujourd'hui encore d'un suivi sanitaire très rigoureux ; j'y reviendrai à la fin de mon intervention. Tel est également le cas des fonctionnaires de police qui sont intervenus dans un rayon de 500 mètres autour du sinistre.

J'en viens maintenant à la question de l'information des habitants et des élus.

Le code de la sécurité intérieure (CSI) n'impose pas de média précis pour la diffusion des informations, ce qui est une bonne chose. Vous aurez certainement l'occasion d'y réfléchir, mais il me semble qu'écrire depuis Paris, depuis l'Assemblée nationale et le Sénat, ce que le préfet doit faire en termes de communication est toujours une gageure, et donc un risque ! Il est nécessaire de laisser à son appréciation, tout en l'accompagnant, le bon médium à utiliser. Le préfet a choisi une information par la radio dès cinq heures quarante-cinq du matin et a décidé de ne pas actionner immédiatement les trente et une sirènes rouennaises.

Cette décision a pu susciter un débat, mais elle se fonde sur un diagnostic pragmatique de la situation. Pendant les heures qui ont suivi le début de l'incendie, il importait que les populations restent confinées au maximum. Étant donné l'heure nocturne, le plus simple était de les maintenir chez elles plutôt que de risquer de créer des mouvements de panique dans toute la ville. Cela répond à l'une de vos questions, monsieur le député Wulfranc : une évacuation n'était pas nécessaire pour protéger les populations directement concernées ; pire, elle aurait pu créer un mouvement de panique qui aurait nui à l'intervention de nos sapeurs-pompiers.

L'appréciation du préfet, sur la base des informations dont il dispose, n'en demeure pas moins toujours délicate : faire un « RETEX » (retour d'expérience) est toujours confortable, mais gérer la situation en temps réel ne l'est pas. Les faits ont montré qu'il a pris la bonne décision. Quoi qu'il en soit, la question de l'information, de la communication et des meilleurs moyens à utiliser doit être posée et je ne doute pas que nous y reviendrons. En l'occurrence, le préfet a fait le bon choix. C'est donc un peu plus tard, un peu avant huit heures, que les deux sirènes les plus proches du site ont été actionnées, afin de mettre en garde les populations voisines et de confirmer les messages radio transmis précédemment.

S'agissant des élus, les maires des douze communes concernées par le panache de fumée de vingt-deux kilomètres – non ceux de l'ensemble du département - ont été prévenus dès trois heures trente du matin. Ce signalement a été fait directement par téléphone aux communes à proximité immédiate, puis à celles de la cuvette rouennaise en fonction de l'orientation du vent – nord-est à ce moment-là.

Un peu plus tard, à quatorze heures vingt-deux, Météo France n'étant pas en mesure d'assurer avec certitude la trajectoire du panache de fumée, le préfet a choisi de prévenir la totalité des maires du département par une seconde alerte, plus large, à travers le dispositif d'envoi de messages GALA, mais peut-être un peu tard, ce qui explique une partie des questionnements légitimes des élus.

En outre, dès la première journée, le préfet a réalisé cinq conférences de presse, assurant ainsi une information complète et continue des populations.

De mon côté, je me suis rendu sur place, entre onze heures quinze et quatorze heures trente. J'ai pu assurer les forces de la Sécurité civile mobilisées et les populations de notre soutien. J'ai fait part des premiers résultats d'analyses dont nous disposions – la première fois vers huit heures, puis en fin de matinée – et ils étaient rassurants. Il importait de communiquer sur ce point afin de ne pas accroître l'inquiétude et que la panique ne gagne pas en laissant croire que l'on taisait un certain nombre de risques.

Je souhaite également souligner combien cet événement a montré l'importance prise par les rumeurs et les fausses informations qui se répandent sur les réseaux sociaux. Une partie conséquente des informations relayées sur cet événement était erronée, voire, inventée et propice à effrayer les populations. Je pense, par exemple, à cette vidéo montrant de l'eau noire sort d'un robinet, qui a été visionnée plus d'un 1,5 million de fois : elle n'avait en réalité aucun lien avec l'événement. Je pense également à cette rumeur selon laquelle le préfet avait mis son fils à l'abri au Havre, alors qu'il n'a pas d'enfant… Ce qui n'a pas empêchée la rumeur de continuer à circuler, laissant entendre que nous avions bien quelque chose à cacher !

Tout cela est extrêmement instructif sur la manière dont nous allons devoir gérer à l'avenir la communication de crise. Et objectivement, cela complique l'exercice. Quand la parole publique d'un préfet, d'une autorité médicale ou autre, est systématiquement mise en cause et qu'elle n'a pas plus de poids que celle du réseau social dans lequel nous baignons - vous savez que les algorithmes vous amènent à n'avoir qu'une seule vision, liée à vos pratiques –, on comprend à quel point il devient difficile de gérer ce genre de situation. Nous devons en tirer des enseignements.

Deux choses expliquent que les dégâts aient été limités et qu'il n'y ait pas eu de victimes.

D'abord, le fait que nous ayons réagi et adapté nos méthodes en fonction des enseignements du passé. Les crises de Sandoz à Bâle en 1987, de Rhône-Poulenc-Roussillon en 1985, de Protex en 1986 et, bien entendu, d'AZF en 2001, ont eu des conséquences majeures, mais nous ont permis d'apprendre et de nous améliorer. C'est sans doute cette capacité à tirer des enseignements du passé qui nous a permis d'éviter le pire. Nous devrons à nouveau procéder ainsi après Lubrizol ; c'est d'ailleurs ce que nous faisons systématiquement en organisant une mission d'analyse avec l'Inspection générale de l'administration du ministère de l'intérieur et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), mais en procédant la plupart du temps à froid, pas tout de suite. Vos travaux nous y aideront.

Ensuite, c'est parce que nous avons agi vite, dans les règles et collectivement, que la situation a pu être maîtrisée. Mais cela ne saurait nous exonérer, comme à chaque fois, comme pour chaque crise, d'un retour d'expérience rigoureux. J'attends de vos travaux et des conclusions de la mission d'inter-inspection un certain nombre d'orientations. En l'état, j'en vois d'ores et déjà deux.

L'usage de GALA, qui permet d'informer les maires, doit être plus encadré, plus systématisé, amélioré. Nous devons également chercher des solutions d'alerte plus efficaces et plus adaptées à la société et aux usages actuels ainsi que des alternatives aux sirènes – c'était votre question, monsieur le président. Celles-ci sont nécessaires en raison de leur impact sur notre conscience collective, mais elles ne suffisent pas. Notre réflexion sur le Cell broadcast s'inscrit dans ce sens.

Voilà en quelques mots, la description de la situation. Je vais maintenant tenter de répondre précisément aux questions que vous m'avez posées.

L'ensemble des sapeurs-pompiers ayant participé aux opérations était pourvu dès le début de l'incendie des équipements réglementaires de protection. Il ne m'a pas été fait cas de quelque carence que ce soit due au nombre d'équipements disponibles : tous étaient donc protégés. L'ensemble des personnels qui se sont relayés sur le site depuis le jeudi 26 avril, des premières interventions à l'heure actuelle, fait l'objet d'un suivi médical individualisé. Un protocole spécifique a été établi par le service de santé du Service départemental d'incendie et de secours. Ce sont ainsi 800 ordonnances de soin qui ont été délivrées.

Un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) s'est tenu en session extraordinaire le 1er octobre et trois réunions avec les sapeurs-pompiers ont été organisées dans le cadre d'un comité consultatif. Les analyses, évidemment, se poursuivent : 357 comptes rendus d'examen interprétés et retournés aux agents montrent qu'il n'y a aucun problème pour 245 d'entre eux, pour 106, des variations minimes à modérées par rapport aux valeurs de référence définies par les laboratoires, ces variations pouvant être d'ailleurs liées à l'état de santé préexistant, même si on ne peut l'établir ; il faudra surveiller les évolutions, d'où les contrôles à un mois et d'autres par la suite. Pour six agents enfin, des variations importantes par rapport à la normale ont été constatées, lesquelles, là encore, peuvent être liées à l'état de santé préexistant. Quoi qu'il en soit, un suivi s'impose.

Les premiers fonctionnaires de la police nationale qui sont intervenus sur site dès deux heures quarante-trois ne portaient pas de masque ; ils ont assuré la sécurité d'un périmètre de 300 mètres élargi ensuite à 500 mètres. Je précise qu'ils n'étaient pas sous le vent ni exposés directement aux fumées, contrairement aux sapeurs-pompiers.

Progressivement, nous avons défini dix-sept points de barrage, dont trois sur la rive droite. Compte tenu des odeurs d'hydrocarbure, les policiers présents ont été équipés dès huit heures trente de masques papier de type FFP2. Ils n'en étaient pas équipés préalablement et – c'est le sens de votre question, madame la députée Vidal – nous devons en tirer les enseignements afin qu'ils le soient désormais plus rapidement. Même s'ils n'ont pas été exposés au risque « fumée », la forte odeur persistante aurait justifié un équipement plus précoce. Cette mesure de prévention aurait été bien venue et nous en tirerons donc les enseignements.

Tous les policiers qui sont intervenus ont pu consulter le médecin de la prévention : 303 fonctionnaires de police sur les 667 présents intervenant à des proximités et des degrés divers ont vu un médecin ; 228 bilans biologiques ont été prescrits ; 150 résultats nous sont parvenus sur lesquels seuls trois montrent des résultats non conformes aux moyennes, sans que l'on sache si cela est lié ou non à l'incendie de Lubrizol.

Néanmoins, à notre connaissance et dans les limites du secret médical, aucun fonctionnaire n'a eu un arrêt maladie en lien direct avec cet événement. À ce jour, on ne compte aucune déclaration de maladie professionnelle qui lui soit liée. Je précise que six fonctionnaires de police ont porté plainte contre X ou contre Lubrizol pour mise en danger ou blessures involontaires, mais dans le cadre d'une autre procédure.

J'en viens à la nature des moyens mobilisés et, en particulier, la complémentarité entre le local, les départements voisins, le national et le privé. Trois sapeurs-pompiers ont été mobilisés, dont 188 du SDIS 76 – ce qui représentait 101 véhicules – et 112 des SDIS voisins. Tous les SDIS n'ont pas un même niveau d'équipement, lequel monte néanmoins en puissance en fonction du risque de leur zone d'intervention. En appui, nous avons disposé de moyens zonaux, interzonaux ou nationaux de la Préfecture de police de Paris ou de la Direction générale de la prévention des risques – j'ai évoqué les deux véhicules d'analyses chimiques. Un véhicule de détection et d'identification de prélèvements des unités militaires de la sécurité civile, en l'occurrence celui de la Direction générale, a également été mobilisé.

Pour conforter les moyens d'analyse, nous avons envoyé assez rapidement dans la matinée le binôme du Laboratoire central de la Préfecture de police, deux hélicoptères de la sécurité civile, des berces à émulseur et trois bateaux remorqueurs incendie dont deux de la société maritime Vicente Boluda.

Cela m'amène à évoquer les moyens privés. Chaque entreprise doit évidemment mettre en place son propre système de défense et d'intervention dans le cadre de son PPI. En l'occurrence, l'ensemble des entreprises à proximité, par solidarité et non en raison du risque d'être touché, s'est mobilisé. Ce fut le cas de Total, Borealis, ExxonMobil, Rubis International, CIM Le Havre, Carré, DRPC – Dépôt Rouen Petite Couronne – du groupe Bolloré, avec cinq engins de lutte contre les incendies.

Au total, près de 900 sapeurs-pompiers ont été mobilisés. Sans oublier l'appui national du COGIC, tant sur le plan des matériels que de la gestion de la crise – vingt-six kilomètres de tuyaux ont été mis à disposition pour gérer les pompages depuis la Seine.

Je n'entrerai pas dans le détail de la planification. Des questions m'ont été posées sur les PPI des entreprises voisines, qui n'entrent pas dans le champ de mes compétences ; mais, dans ses grandes lignes, elle repose sur trois outils complémentaires : d'abord, les plans d'opération interne à la charge des exploitants qui organisent la réponse interne de l'établissement en cas d'accident. Ensuite, les plans particuliers d'intervention qui, sous l'autorité du préfet, organisent quant à eux la mobilisation et la coordination de tous les acteurs indispensables à la gestion de la crise lorsqu'elle est importante et qu'elle risque d'avoir un impact sur les populations ou de présenter un risque de pollution environnante important ; enfin, les plans communaux de sauvegarde (PCS), qui organisent la réponse de proximité.

Les PPI ont vocation à préparer les directeurs des opérations à répondre à toutes ces situations de crise et sont suivis très attentivement par d'autres services que ceux du ministère de l'intérieur. Je ne me prononcerai donc pas.

Les PCS sont globalement bien suivis, mais 23 % des communes n'en ont pas encore élaboré. Je demanderai aux préfets non de mettre la pression, car je ne crois pas que ce soit la bonne façon de faire, mais de veiller à encourager les maires ou les EPCI à les déployer. Cet outil, créé par la loi de modernisation de la Sécurité civile de 2004, a une utilité opérationnelle est manifeste tant en matière d'information que de gestion des populations – lorsqu'elles doivent être déplacées, par exemple.

La question a été posée des conditions d'application de la directive européenne du 11 décembre 2018 relative à la gestion et à l'information des populations dans les zones de danger. Certains pays, je l'ai dit, ont opté pour la diffusion cellulaire de type Cell broadcast sans pour autant abandonner d'autres moyens, comme les sirènes. Nous devons nous inspirer de ce dispositif pour renforcer nos moyens d'information mais, j'y insiste, sans qu'il soit besoin d'en faire une préconisation législative, car les critères sont nombreux. Nous devons promouvoir une gestion d'alerte « multicanal » associant sirènes, diffusion cellulaire téléphonique, médias TV et radios, réseaux sociaux.

Nous savons par ailleurs que, dans la matinée, c'est le décès de l'ancien Président de la République Jacques Chirac qui a très rapidement capté toute l'attention des médias nationaux, ce qui a contribué au sentiment de profond abandon de la population rouennaise qui, d'un coup, a eu l'impression d'être rayée de la carte médiatique, et donc de la carte tout court… Nous devons donc utiliser tous les médias possibles, au sens le plus large du terme.

J'ai répondu à vos questions sur la santé des pompiers, monsieur le président, ainsi que sur les policiers et le matériel.

S'agissant des sites classés « Seveso », les mesures particulières de surveillance ne relèvent pas de mon champ d'intervention.

J'en viens aux instructions que nous avons pu donner au préfet. Mes recommandations ont été assez simples : information et transparence. Il a donc réalisé cinq points presse dans la journée, tant il est vrai que l'emballement est toujours plus fort que la réalité. Je lui ai posé un certain nombre de questions sur place, mais il ne m'avait pas attendu. Ainsi, lorsque je me suis rendu sur la darse, où il y avait un risque que l'eau utilisée pour éteindre l'incendie se déverse dans la Seine et la pollue, je lui ai demandé ce qu'il en était du déploiement du plan POLMAR : il n'était pas encore déclenché mais le matériel était déjà en train d'arriver, de même qu'un premier bateau-pompe, suivi d'un second, au moment précis où je lui demandais ce qu'il se passerait si le premier tombait en panne… Il avait donc déjà la réponse. Cela en dit long de la modestie de la fonction ministérielle, mais surtout de la qualité de ces femmes et de ces hommes tous des opérationnels sur le terrain, qui souvent n'ont pas besoin d'instructions ! En l'occurrence, le préfet avait besoin d'un accompagnement, ce que nous avons essayé de lui apporter.

Nous devons toutefois aider les préfets, qui sont un peu nos officiers généraux, en leur fournissant un cadre méthodologique qui les protège afin qu'ils n'oublient rien. Cela fait partie des éléments de « RETEX » que nous devons mettre en oeuvre.

Nous avons abordé la question des sirènes et de la complémentarité, monsieur le rapporteur Adam. Je lirai bien sûr attentivement vos conclusions en la matière. À l'évidence, les sirènes ne suffisent pas. Nous avons remis en état le Réseau national des sirènes, qui doivent avoir une fonction opérationnelle exceptionnelle, mais reconnaissons que nous sommes assez peu nombreux à savoir correctement interpréter leurs signaux.

Cela signifie que le préfet a raison de ne pas se déresponsabiliser en jugeant que, parce qu'il a appuyé sur un bouton, l'information est passée. Nous connaissons les effets contre-intuitifs que cela peut générer, notamment s'agissant des mesures de confinement ou de la mise à l'abri que j'ai évoquées. Tout cela doit donc être précisé.

Globalement, je vous rejoins sur la culture du risque, peut-être même en ce qui concerne les sites nucléaires. J'ai coprésidé une commission locale d'information (CLI) sur un site nucléaire pendant quelques années. Je crois que, même sur cette question-là, la prise de conscience n'est pas la même. Plus globalement, la culture des risques naturels est inexistante, la mémoire du risque absente. Je pense aux inondations ou aux épisodes cévenols. : nous ne réfléchissons même plus à mémoire d'homme face à ces phénomènes pourtant récurrents, qui risquent d'ailleurs de l'être encore plus. Il est donc essentiel de travailler à cette culture du risque.

Du coup, les DICRIM et les PCS sont des outils qui doivent nous permettre d'avancer. Une sorte de guide méthodologique existe mais, surtout, les sociétés privées qui travaillent pour les communes ou les établissements qui les sollicitent disposent d'un vrai savoir-faire.

L'information des maires, dans la gestion globale, n'a pas été adaptée ni suffisante. En fait, il n'était pas nécessaire d'aller au-delà ; mais sur le plan psychologique, elle aurait été bienvenue. Mais l'ensemble des services était mobilisé, ce qui explique que tout n'ait pas été parfait, puisque nous avons suscité l'inquiétude des maires alors qu'ils auraient dû être les premiers à pouvoir rassurer la population. Vous m'avez posé la question de leur place dans l'élaboration du PPI : nous devons de toute façon les associer, c'est la volonté constante du ministère, y compris dans l'élaboration des plans et le déroulement des exercices de gestion de crises. Je rappellerai aux préfets la nécessité d'en organiser le plus souvent possible et de s'assurer de la réelle mobilisation des maires, de leurs équipes municipales et services techniques.

Je crois avoir répondu à Mme Vidal sur les mesures de protection des policiers et des pompiers ? Vous m'avez également interrogé, madame la députée, au nom de votre collègue, sur la culture de la sécurité. Je crois là aussi à la transparence totale. Vous avez posé une question précise sur la circulaire de septembre 2017 du ministère du ministère de l'intérieur et du ministère de la transition écologique et solidaire visant à gérer le risque terroriste : s'il peut être dangereux d'indiquer à de potentiels terroristes où sont situés les lieux contenant des matières dont ils pourraient se servir pour provoquer d'importants dégâts, nous n'en devons pas moins jouer le jeu de la transparence. En l'occurrence, la circulaire s'appliquait, mais le préfet a choisi de communiquer la totalité des informations dont nous disposions sur le type de matériels présents et c'était nécessaire. Les pompiers, pour faire simple, savent, eux, ce qu'il en est et ne se voient pas opposer quelque secret que ce soit. Le but n'est pas de cacher quoi que ce soit aux citoyens, aux riverains et aux élus, mais de protéger notre pays du risque terroriste.

Monsieur Wulfranc, je vous ai répondu sur l'effet domino. Sur le régime de l'intériorité et les arrêts techniques de contrôle obligatoire, je pourrais émettre un avis, mais cela ne relève pas de mon champ de compétence, pas plus que les procédures de contrôle et du comité de suivi. Vos questions n'en demeurent pas moins légitimes.

Pour ce qui est de l'information et de la formation, nous avons, je l'ai dit, beaucoup appris des sinistres précédents, en particulier de celui d'AZF. Nous avons aussi accru le nombre d'obligations : les entreprises doivent être les premières à investir massivement – cela peut d'ailleurs faire partie de vos préconisations – dès lors qu'elles présentent un risque potentiel.

Nous avons tous en tête AZF, mais, aussi Bhopal, car certaines grandes entreprises, et donc les puissances occidentales, ont fait en sorte d'exporter les risques. Nous devons avoir conscience que si notre société a besoin d'un certain nombre de produits, notamment pétroliers, elle doit aussi assumer leur production et les risques qui y sont liés. Se pose dès lors la question de la localisation : en l'occurrence, Lubrizol existait bien avant l'urbanisation qui s'est développée tout autour. Nous devons donc aussi accepter de vivre avec le risque industriel ; mais il faut le prévenir, et non chercher à le renvoyer ailleurs, en particulier à l'étranger – c'est en tout cas un point de vue personnel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.