Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du mardi 29 octobre 2019 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES), président de l'Agence spatiale européenne (ESA) :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, monsieur le directeur général de l'Agence spatiale européenne, mesdames et messieurs.

Je souhaite tout d'abord vous remercier, monsieur le président, pour l'organisation de cette audition publique. Le secteur de l'espace connaît en effet actuellement de nombreuses mutations au niveau mondial. Nous avons ainsi observé, en quelques années, une explosion du nombre d'acteurs, aussi bien gouvernementaux que privés. Au niveau européen, l'ESA va de succès en succès, tandis que la Commission européenne joue un rôle de plus en plus important. En France, le Président de la République et la ministre des armées ont annoncé récemment des décisions structurantes pour notre politique spatiale militaire. Dans ce contexte, je voudrais vraiment remercier l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour l'ensemble du travail effectué en son sein depuis deux ans. Comme vous l'avez rappelé, nous avons eu dans ce cadre de nombreux échanges. Des notes de synthèse remarquables ont été produites, dont la préparation a donné lieu à des débats tout à fait intéressants. Il m'apparaît ainsi possible d'affirmer que jamais les questions spatiales n'ont été instruites avec autant de profondeur que depuis ces deux années.

La conférence ministérielle « Space19+ » qui aura lieu les 27 et 28 novembre à Séville a pour principal enjeu de décider le financement des programmes de l'Agence spatiale européenne pour les trois années à venir. Le montant évoqué, qui sera certainement explicité par le directeur général de l'ESA, est de 12,5 milliards d'euros. Il s'agit d'un montant considérable sur la scène spatiale européenne. La Commission européenne parle de mettre en place sur 7 ans quelque 16 milliards d'euros, soit une augmentation de près de 50 % par rapport à la période précédente, qui se situait à 11,4 milliards d'euros. Il apparaît néanmoins qu'avec 12,5 milliards d'euros sur 3 ans contre 16 sur 7 ans, l'ESA pèse environ deux fois le poids de la Commission européenne.

Au niveau européen, ce paysage est à compléter par les activités d'Eumetsat et les programmes nationaux, y compris militaires, qui pèsent pour quelque 4 milliards d'euros par an.

La France, vous le savez, est depuis longtemps le premier contributeur de l'ESA. Nous abordons cette conférence ministérielle avec deux objectifs. Nous souhaitons tout d'abord poursuivre une politique spatiale ambitieuse pour l'Europe. Je me trouvais la semaine dernière à Washington, au congrès international d'astronautique, où nous avons assisté à une démonstration de force tout à fait impressionnante de la part des États-Unis, qui a commencé avec le discours du vice-président Mike Pence, lequel a longuement insisté sur la politique spatiale américaine. Je rappelle par ailleurs que la Chine a, en 2018, été de loin le premier État en termes de nombre de lancements, avec 39 lancements dans l'année, tendance qui se poursuit en 2019. S'y ajoutent également les pays émergents. Dans ce contexte, la France continue à souhaiter et défendre une politique ambitieuse pour l'Europe.

En parallèle, nous désirons évidemment conforter le rôle éminent de l'industrie spatiale française, qui est à la pointe de la technologie. Le spatial représente en France quelque 16 000 emplois, très hautement qualifiés, sur les 40 000 que compte le secteur à l'échelle de l'Europe, ainsi que plusieurs leaders mondiaux dans le domaine des lanceurs, des satellites et des services.

Les sujets en discussion à Séville concerneront ce que l'Agence spatiale européenne considère comme les « quatre piliers ».

Le premier est l'accès à l'espace, pour un montant de l'ordre de 2,6 milliards d'euros, avec la fin de l'exploitation d'Ariane 5. Comme vous le savez, le programme Ariane est un extraordinaire succès. Nous allons fêter le mois prochain le quarantième anniversaire du premier lancement, intervenu dans la nuit de Noël 1979. Si tout va bien, nous aurons effectué, le 22 novembre 2019, 250 lancements d'Ariane, ce qui, en 40 ans, est tout à fait remarquable. Nous devons ainsi terminer l'exploitation d'Ariane 5 et le développement d'Ariane 6, financer la transition entre les deux, démarrer l'exploitation d'Ariane 6, procéder de même pour le petit lanceur Vega C et préparer le futur avec notamment les programmes de moteur Prometheus et de lanceur réutilisable Themis. Je crois en effet que la clé du succès d'Ariane au cours de toutes ces années réside dans la capacité qu'a eue le spatial européen de toujours anticiper. Nous devons donc faire de même pour l'accès à l'espace.

Le deuxième pilier discuté à Séville concernera l'exploration, pour un montant d'environ 2 milliards d'euros. Ceci englobe les questions relatives à la station spatiale internationale. Au niveau français, nous souhaitons bien sûr en particulier que notre astronaute Thomas Pesquet vole à nouveau très rapidement. Ce sujet inclut également le démarrage du Lunar Gateway, élément du programme américain de retour sur la lune Artemis, dans lequel l'Europe a toute sa place à jouer. Nous avons aussi au menu l'exploration robotique de Mars, avec le lancement l'année prochaine de la deuxième mission ExoMars et la mission Mars Sample Return (ou mission de retour d'échantillons de Mars), qui constitue une sorte de Graal pour tous les exobiologistes qui souhaitent pouvoir examiner et analyser de façon directe des échantillons martiens.

Le troisième pilier évoqué à Séville est celui de la compétitivité industrielle. Nous disposons en Europe de constructeurs de satellites qui sont leaders mondiaux dans leur domaine. Je pense en particulier à Airbus Defence and Space (ADS) et Thales Alenia Space (TAS). Nous allons ainsi décider des programmes de soutien aux télécommunications. En matière d'observation de la Terre, Copernicus est un programme d'études de l'environnement que le monde entier nous envie ; seule l'Europe dispose d'un programme aussi performant aujourd'hui. Nous allons bien évidemment décider de le poursuivre, ainsi qu'un certain nombre d'applications dans le domaine notamment des sciences de la Terre, avec de nouveaux services et un support technologique.

Le quatrième et dernier pilier, mais non le moindre, est celui des sciences spatiales et des activités de base auxquelles vont contribuer les États membres au prorata de leur PIB, pour un montant total de quelque 3,9 milliards d'euros. Ceci inclura bien sûr le programme Cosmic Vision, avec LISA et Athena qui sont en quelque sorte le son et l'image des origines de l'univers, Euclide pour l'étude de la matière et de l'énergie noires et les programmes PLATO et ARIEL pour la recherche des exoplanètes. Ceci participe aussi au financement des infrastructures de l'ESA.

Le dernier programme, d'ampleur moindre, concerne la sûreté et la sécurité, avec l'apparition de réels enjeux en matière de surveillance de l'espace. À cet égard, je suis très heureux d'indiquer que j'ai signé la semaine dernière à Washington avec le secrétaire d'État au commerce américain un accord sur ces questions de surveillance des satellites en orbite.

Comme vous le constatez, le programme qui sera soumis à l'approbation des États membres lors de la réunion de Séville est extrêmement riche et ambitieux. La France entend bien évidemment y prendre toute sa place. Sur le total annoncé de 12,5 milliards d'euros, le budget français que nous sommes en train de discuter sera ainsi de l'ordre de 2,5 milliards d'euros, ce qui représente, eu égard à la démarche de redressement des finances publiques actuellement entreprise, un effort considérable consenti par la puissance publique. Je profite donc de cette occasion pour remercier nos autorités de tutelle.

Cette conférence a été préparée de façon remarquable, tout d'abord au niveau français dans le cadre du COSPACE, depuis un an. Une séance finale du COSPACE est ainsi prévue le 21 novembre pour s'assurer que tout est au point avant de se rendre à Séville. À l'échelle européenne, je salue le travail remarquable que nous avons mené avec le directeur général de l'ESA pour préparer cet événement. La France jouera un rôle tout à fait important puisque j'ai l'honneur de présider actuellement le conseil de l'ESA et que la réunion de Séville sera coprésidée par les ministres Frédérique Vidal pour la France et son collègue portugais Manuel Heitor.

Je souhaiterais, pour terminer, insister sur le fait que nous allons tout faire d'une part pour que l'Europe continue à occuper une place de choix sur l'échiquier spatial, d'autre part pour que la France occupe dans ce schéma le rang qui lui est dû, eu égard à la compétence tout à fait remarquable de son industrie, au budget que notre Gouvernement envisage de consacrer à ces programmes et, modestement, au rôle particulier que joue le CNES dans l'Europe spatiale.

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