Intervention de Huguette Tiegna

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Tiegna, députée, vice-présidente de l'Office, rapporteure :

La note que je vais vous présenter maintenant est, vous l'avez compris, en lien avec la première qui a été examinée ce matin, et qui a présenté les bases du fonctionnement du cerveau. Celle que nous abordons maintenant sur les enjeux sanitaires du cannabis se place dans le contexte d'une actualité est assez prégnante, qui justifie pleinement que l'OPECST se soit saisie du sujet.

Le statut du cannabis a récemment évolué dans de nombreux pays, et en France, son usage pourrait être autorisé à des fins médicales pour deux ans, à titre expérimental. C'est dans ce contexte que l'Office s'est saisi du sujet, jugeant utile d'examiner l'ensemble des enjeux sanitaires du cannabis : à la fois effets bénéfiques dans le soulagement de symptômes et effets négatifs, plutôt associés à une consommation dite « récréative ».

Nous avons auditionné des médecins, des chercheurs, des représentants des Académies de médecine et de pharmacie, l'Observatoire français des drogues et toxicomanies, l'Agence nationale de sécurité du médicament, la Direction générale de la santé, des représentants des patients et des acteurs industriels.

Ces auditions et les recherches que nous avons faites en parallèle ont montré qu'il existe un niveau de preuve suffisant pour légitimer l'utilisation de cannabis ou de dérivés du cannabis en médecine, pour traiter certains symptômes réfractaires aux thérapies disponibles. Il s'agit de la douleur, de la spasticité dans la sclérose en plaques, de certaines épilepsies rares et des symptômes associés à la chimiothérapie, comme les douleurs et les nausées.

Compte tenu des potentialités du cannabis en médecine, la législation avait déjà évolué en France en 2013, afin de permettre la commercialisation de médicaments à base de dérivés du cannabis. Depuis, le Sativex® n'a pourtant pas été commercialisé et des patients en impasse thérapeutique pratiquent l'automédication, en achetant du cannabis dans la rue ou en pratiquant l'auto-culture. Ces pratiques sont dangereuses car sans contrôle de la qualité des produits et sans contrôle médical de l'adéquation de cette consommation avec leurs symptômes.

Face à cette situation, l'Agence nationale de la sécurité du médicament a étudié la pertinence et la faisabilité de la mise en place d'un accès au cannabis à usage médical en France, à titre expérimental, et a rendu un avis favorable. La mise en oeuvre de cet essai est à l'étude et un amendement au PLFSS 2020 devrait permettre l'expérimentation, sous réserve de la discussion qui aura lieu en séance publique au Sénat la semaine prochaine. Si la disposition est maintenue, l'expérimentation devrait commencer en début d'année prochaine.

Cette expérimentation est assez semblable à l'usage médical du cannabis qui est fait en Allemagne. Elle prévoit cependant un encadrement plus avancé, notamment en ce qui concerne les indications médicales retenues et la formation des médecins. Les indications médicales retenues sont en adéquation avec les connaissances scientifiques, l'expérimentation concernera donc les symptômes précités.

Différents types de cannabis seront utilisés. Ils seront indiqués dans le traitement de tel ou tel symptôme, selon leur composition. Les variétés présenteront des taux variables de THC – tétrahydrocannabinnol – et de cannabidiol – le CBD, qui sont les molécules d'intérêt médical de la plante. Le CBD est notamment utile pour les cas d'épilepsies rares, alors que l'atténuation des douleurs en soins palliatifs requiert un haut taux de THC. Notons que le THC est considéré comme la molécule psychotrope parmi les constituants du cannabis.

Seuls les médecins ayant reçu une formation spécifique pourront prescrire du cannabis. Et la première prescription ne pourra être faite que par un praticien exerçant dans une structure hospitalière. De plus, l'efficacité et la tolérance du traitement sera évaluée par l'intermédiaire d'un registre. C'est le financement du registre et de la formation des médecins qui sont au coeur de l'amendement adopté au PLFSS 2020.

Le seul bémol que nous relevons est le fait que le cannabis à usage médical n'a pas démontré son efficacité et son innocuité par les procédures habituelles, qui conditionnent l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché, contrairement aux médicaments à base de cannabis (Sativex®, Epidyolex®).

En conclusion de la note, nous recommandons que la recherche poursuive l'étude des mécanismes biologiques à l'origine des effets thérapeutiques du cannabis et souhaitons que l'accès des chercheurs à des molécules provenant du cannabis soit simplifié : aujourd'hui, il faut 6 à 9 mois à un chercheur pour en obtenir.

Dans le cas où l'expérimentation de cannabis médical serait pérennisée, nous recommandons de développer une filière bénéficiant de l'excellence de la recherche française en agronomie. En effet, cette culture est très différente de la culture du chanvre industriel, qui est la seule variété de chanvre autorisée en France. Le contrôle continu de multiples paramètres, qui vise à obtenir des plants comprenant des concentrations très homogènes de cannabinoïdes, est un prérequis pour une utilisation médicale du cannabis. De plus, une sélection variétale est nécessaire pour obtenir des ratios de cannabinoïdes correspondant au mieux aux symptômes à soulager.

Nos auditions ont permis de mettre en évidence la prévalence de la consommation de cannabis en France, malgré son interdiction, pour un usage souvent qualifié de « récréatif » : la France est le pays où les jeunes consomment le plus de cannabis, en Europe. La raison principale en est que l'accès y est très facile en France, et son coût relativement peu élevé.

Malgré une légère baisse de la consommation ces dernières années, la normalisation de son usage, par rapport à une dé-normalisation de l'usage du tabac, suscite l'inquiétude. En effet, le cannabis a des effets délétères sur le cerveau en développement. La note scientifique du sénateur Michel Amiel sur les neurosciences et la responsabilité des mineurs rappelle que le cerveau est en développement jusqu'à 25 ans. Ce point est mentionné dans ma note, mais cela fait peut-être doublon avec la note précitée, centrée sur ce sujet.

En l'espèce, les constituants du cannabis, principalement le THC, interagissent avec le système endocannabinoïde dans le cerveau, et l'empêchent d'assurer ses fonctions. Ce système, découvert relativement récemment, est impliqué dans de nombreux processus. Cette perturbation pourrait être à l'origine des effets du cannabis, sans que les mécanismes en soient parfaitement compris à ce jour. Sont observés, sur le plan cognitif, des problèmes de mémoire et d'attention, pouvant mener au décrochage scolaire, et sur le plan psychiatrique, une possible anxiété, et un risque de développer des symptômes psychotiques, voire d'accélérer l'apparition d'une schizophrénie.

Ces risques concernant les individus dont le cerveau est en développement, c'est-à-dire jusqu'à 25 ans, il nous paraît très important de renforcer la prévention à destination des jeunes et des femmes enceintes. Cette prévention devrait être axée sur les effets du cannabis sur la santé et non sur le caractère illégal de sa consommation, puisque cela n'a manifestement montré que peu d'effets.

L'appellation « usage récréatif » cache d'autres usages, moins connus, notamment son utilisation en quelque sorte auto-thérapeutique, pour soulager une anxiété, un mal-être, un stress, ou faciliter l'endormissement. Typiquement, cela peut être le cas d'un jeune qui a commencé à consommer du cannabis dans un usage récréatif, en groupe, et qui a continué sa consommation, solitaire, pour les raisons précitées. L'usage de cannabis est cependant une mauvaise réponse à ces problèmes : en effet, le risque de développer une addiction et des symptômes cognitifs ou psychiatriques est réel. Nous recommandons donc une meilleure information de la jeunesse quant aux problèmes psychiatriques en général.

Je souligne, pour conclure, que nous avons joint un tableau à la note, en pages 5 et 6, qui récapitule l'état de la connaissance en 2017 sur les effets positifs du cannabis en usage médical, et sur les effets négatifs du cannabis, en usage non-médical. Cela nous a paru intéressant de montrer les résultats de cette méta-analyse réalisée par les Académies américaines des sciences, d'ingénierie et de médecine car sur ce sujet vivement débattu, il existe beaucoup de travaux scientifiques, mais pas toujours de très bonne qualité. À ce propos, nous avons tenu à rappeler dans la note qu'il n'existe pas, en l'état actuel de la science, de vertu curative du cannabis : s'il soulage par exemple les douleurs associées à la sclérose en plaques, il ne guérit pas la maladie.

Je remercie le secrétariat de l'Office de son aide pour la préparation de cette note.

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