Intervention de Marc Guillaume

Réunion du mardi 29 octobre 2019 à 18h00
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement :

Madame la présidente, vous m'avez adressé un certain nombre de questions en vue de cette audition. Je peux chercher à y répondre pour anticiper les autres questions que cela pourrait entraîner, dans l'ordre des rubriques du questionnaires, relatives, d'une part, à l'application des lois et, d'autre part, à des questions liées au suivi des réformes et aux questions de qualité de droit.

Sur l'application de la loi, comme vous l'avez très bien dit dans votre propos introductif, il faut distinguer deux questions très différentes, celle de la prise des textes d'application – essentiellement les décrets d'application – et celle de l'exécution concrète des mesures une fois que tous ces textes ont été pris. Comme vous l'avez dit, le secrétariat général du Gouvernement est compétent pour le premier de ces deux aspects. Vous avez rencontré par ailleurs la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), qui est davantage centrée sur le deuxième aspect.

Pour débuter notre échange, je souhaite vous donner deux ou trois chiffres relatifs à l'application des lois. Il y a quelques années, on observait une lenteur dans la publication des décrets d'application des lois. Depuis lors, une mobilisation générale a été décidée pour qu'il n'en soit plus ainsi. Grosso modo, dans le délai de six mois qui a été fixé, nous prenons à peu près 90 % des décrets d'application. Je reviendrai à la fois sur ces 90 % et sur les 10 % restants. Pour prendre des chiffres sur le taux d'application des lois actuelles, à la mi-2019, nous avions pris 678 des 767 mesures qui devaient être prises avant cette échéance. Pour citer les travaux de Mme Létard, vice-présidente du Sénat, que vous évoquiez dans le questionnaire que vous m'avez transmis, c'est le taux le plus élevé depuis que le Sénat procède à ce contrôle, en augmentation de plus de 20 % par rapport à 2014. Le délai moyen de publication des textes continue de décroître : il est désormais de 4 mois et 17 jours ; il était de 5 mois et 10 jours pour les lois votées lors de la session 2016-2017.

Pour assurer la publication rapide de ces textes, nous lisons les lois, une fois promulguées, alinéa par alinéa, ligne à ligne, pour repérer les renvois à des décrets que le législateur a prévus, qu'il s'agisse de décrets en Conseil d'État ou de décrets simples, et nous dressons des tableaux, communiqués au Parlement, qui recensent la totalité des mesures à prendre. L'élaboration de ces mesures est attribuée, pas simplement ministère par ministère, mais direction de ministère par direction de ministère. Ces tableaux comprennent la totalité des étapes avant la publication du décret : est-ce qu'il faut saisir pour avis une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), est-ce que le décret est en Conseil d'État ? Nous faisons un calendrier pour que le texte sorte dans les six mois et donc que les objectifs de délai de sortie que nous nous fixons soient atteints. Ce tableau consolidé est aussi mis en ligne sur Internet, sur le site Légifrance et fait l'objet d'une communication en Conseil des ministres. Le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement tient régulièrement des comités interministériels, pour accélérer le processus d'application et repérer les éventuels points de blocage.

Vous m'avez posé une question sur les rapports qui doivent être déposés par le Gouvernement mais qui le sont dans des proportions insuffisantes. Vous évoquiez notamment le rapport dit de l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, que nous devons déposer pour attester de la publication des mesures réglementaires. C'est vrai que, contrairement à la sortie désormais très rapide des décrets d'application, ces rapports ne sont pas systématiquement déposés, essentiellement parce que les tableaux dont je vous parlais tout à l'heure, qui résument la totalité des étapes d'élaboration des décrets et des mesures qui sont prises, sont rendus publics ; les tableaux remplacent en fait les rapports.

Vous vous interrogez sur les 10 % des décrets non publiés dans les six mois. Pourquoi certains décrets ne sortent-ils pas dans ce délai ? Pour des raisons assez variables en fait, spécifiques à chaque mesure. Pour un certain nombre de décrets, ce retard est lié aux notifications à la Commission Européenne, laquelle a trois mois pour nous répondre. À partir du moment où on identifie la nécessité de saisir la Commission, le délai de six mois sera dépassé en raison du temps de réponse de la Commission. Dans d'autres cas, nous devons tout simplement mener des concertations qui prennent plus de temps que prévu, que ce soit avec des partenaires sociaux ou avec d'autres acteurs, si bien que le délai de six mois est légèrement dépassé. Enfin, il y a des cas dans lesquels, en préparant le décret d'application, le Gouvernement s'aperçoit qu'il doit revenir devant le Parlement pour faire modifier la base législative.

Vous m'avez aussi demandé pourquoi nous ne suivions pas les arrêtés avec la même détermination. Tout simplement pour des raisons de nombre. En moyenne, environ 1 600 décrets et 8 000 arrêtés sont pris chaque année. Le suivi centralisé absolu, alinéa par alinéa, de la publication de chacun des décrets d'application voulus par le Parlement ne peut être appliqué aux arrêtés.

Dans l'émission de décrets, il y a environ 40 % de décrets en Conseil d'État et 60 % de décrets simples. Nous les suivons un à un. Ensuite, chaque ministre est responsable des arrêtés. Le Premier ministre est titulaire du pouvoir réglementaire, il est donc naturel que ses services puissent suivre la sortie de ces décrets. Il en va différemment des arrêtés. Comme vous le savez, au titre du programme budgétaire 129 qui est le programme de coordination du travail gouvernemental, un des indicateurs sur lesquels nous sommes évalués est celui du taux d'application des lois dans le délai de six mois.

Vous m'avez aussi posé une question sur la sanction que le juge peut prononcer en l'absence de publication du décret dans un certain délai.

Il y a effectivement une jurisprudence du Conseil d'État qui, dès lors que le requérant a intérêt à agir, peut le conduire à connaître du refus du Gouvernement d'édicter des mesures d'application de la loi. Le Conseil d'État peut alors ordonner, sous astreinte, l'édiction des décrets. Les cas sont très rares, mais nous en avons eu quelques-uns. Nous travaillons par exemple en ce moment sur la question du reste à charge pour les personnes handicapées, pour lequel le décret n'a pas encore été pris. Un texte est aujourd'hui en cours de discussion au Parlement pour essayer de remédier à cette difficulté.

Dans votre questionnaire, vous m'interrogez sur la pertinence de prévoir un intérêt à agir des parlementaires pour saisir le juge administratif, afin qu'il prononce cette astreinte, contrairement à l'état de la jurisprudence du Conseil d'État. Il nous semble que cette jurisprudence est sage, parce que dans les différends qui peuvent – rarement – exister entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ce n'est pas au juge administratif de trancher. Savoir si une mesure législative a été votée et si le Gouvernement peut demander au Parlement de la modifier relève d'une logique politique. Mais en tout cas, ce n'est pas au juge administratif d'intervenir car il n'a pas à être l'arbitre d'éventuels différends entre le Parlement et le Gouvernement. Cette jurisprudence nous paraît d'autant plus raisonnable au regard du contrôle politique que vous exercez de manière plus suivie que par le passé, comme cette audition et les tableaux que nous vous adressons le soulignent.

L'autre aspect de vos questions concerne plutôt l'application sur le terrain : tous les textes ayant été pris, comment les réformes entrent-elles en vigueur ?

Je crois que vous vous êtes tournés vers la DITP, puisque c'est davantage elle qui suit ces questions. Le Gouvernement a mis en place des indicateurs relatifs aux Objets de la Vie Quotidienne (OVQ) et des plans de transformation ministériels, afin d'évaluer la perception des Français sur les résultats des réformes qui ont été votées. Il ne s'agit donc plus de savoir si les textes ont été pris ; par définition, s'ils ne l'ont pas été, ils ne produiront aucun effet. Nous partons toujours, en revanche, de l'hypothèse que nous arriverons à les prendre dans des délais brefs pour la quasi-totalité des cas.

Pour faire le lien entre l'application sur le terrain et les textes eux-mêmes, le Gouvernement a décidé, il y a quelques mois, que figureraient dans les études d'impact des projets de loi des indicateurs de résultats. Ces indicateurs sont suivis indépendamment du calendrier des textes réglementaires. Nous l'avons fait pour la loi relative à l'énergie et au climat, par exemple, avec des indicateurs sur la baisse annuelle des émissions de gaz à effet de serre ou sur la baisse de consommation d'énergie. Nous l'avons fait pour d'autres textes depuis, comme le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ou le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Si des projets de loi, comme celui sur la bioéthique, ne s'y prêtent pas, alors aucun indicateur n'est défini. Tout cela pour dire que notre travail se combine avec celui de la DITP.

S'agissant de vos questions sur les études d'impact et le travail que fait le service de la législation et de la qualité du droit au secrétariat général du Gouvernement, nous essayons d'avoir un échange et un dialogue constructif avec les ministères, pour densifier les études d'impact avant qu'elles ne soient déposées afin que le Parlement dispose d'un maximum d'informations.

Vous m'avez interrogé sur les circulaires, pour lesquelles un effort très important a été fourni depuis deux ans. Alors qu'environ 30 000 circulaires applicables figuraient sur le site internet de diffusion des circulaires rattaché aux services du Premier ministre, nous en avons supprimé 20 000, avec l'aide des administrations compétentes. Le stock est passé de 30 000 à 10 000, réduction drastique qui témoigne du fait qu'il y avait sans doute trop de circulaires. Mais il ne s'agit pas simplement de s'attaquer au stock, il faut également s'attaquer au flux pour éviter que le stock ne se reconstitue. 40 % des circulaires étaient relatives à l'organisation et au fonctionnement des services et ne s'adressaient pas au citoyen lui-même. Le Premier ministre a demandé à ses administrations de se recentrer uniquement sur les circulaires d'application des politiques publiques. Pour le reste, il a demandé de revoir les textes qui s'adressaient à la fois aux citoyens et aux administrations, pour éviter que certains d'entre eux puissent donner lieu à des interprétations divergentes. Depuis que nous avons mis en place ce dispositif, nous avons réduit de deux tiers le nombre de circulaires publiées : ainsi, pour la période comprise entre juin et septembre, ce nombre est passé de 425 pour 2018 à 106 cette année. Cet effort doit se poursuivre.

Voilà pour les questions que vous m'aviez posées, Madame la présidente. En résumé, la mobilisation qui a été engagée dans l'administration vise à ce que nous arrivions, pour la publication des textes d'application des lois, à ce que le temps administratif soit réduit le plus possible. Le délai de six mois est en réalité assez bref, dans la mesure où nous ne pouvons pas, aujourd'hui, anticiper la rédaction des projets de décrets, compte tenu de l'évolution des projets ou propositions de loi au gré de leur examen par le Parlement. Sous les douzième et treizième législatures, 34 000 et 31 000 amendements avaient respectivement été adoptés au Parlement ; sous la quatorzième, 58 000 amendements ont été adoptés au Parlement. La quasi-totalité des articles du projet de loi initial sont modifiés au cours de la navette parlementaire. L'administration n'est donc pas en situation d'anticiper le travail réglementaire avant le vote final de la loi. À partir du moment où la loi a été définitivement adoptée, il faut évidemment rédiger les premières versions des décrets, recueillir les arbitrages interministériels nécessaires et procéder aux consultations, même si nous avons un soutien très important du Conseil d'État pour arriver à tenir le délai de six mois dont je vous parlais.

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