Intervention de Alain Lambert

Réunion du mardi 19 novembre 2019 à 18h10
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes :

Pour répondre au rapporteur, ce serait un honneur et il serait très utile pour le CNEN que nous puissions avoir cette coopération, parce que nous voyons les textes à des moments différents. Nous, au CNEN, les voyons avant vous et après vous. Vous ne savez pas ce que nous en pensons au moment où vous intervenez, et vous ne savez pas ce que nous en pensons au moment où nous intervenons, sauf rares exceptions. Nous ne nous croisons pas. L'occasion est vraiment bonne pour essayer de nous habituer à mieux communiquer entre nous.

Monsieur le député, vous allez croire que je suis un spéculateur, puisque je vais encore vous donner un exemple de la manière – cela se passe au Sénat – dont les administrations centrales savent « émasculer » la volonté du Parlement. Nous nous étions amusés à construire un amendement qui visait à expliquer ce qu'est la libre administration des collectivités territoriales, en partant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État. Nous avions confié le travail à des universitaires de qualité pour ne pas commettre d'erreurs. Nous avions écrit le droit existant pour qu'il soit considéré comme incontestable par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État. Nous avions fait déposer un amendement au Sénat, dans lequel nous avions introduit un dispositif issu du droit privé, précisant que ce qui n'est pas interdit est autorisé, sur le fondement de l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Que pensez-vous qu'il est arrivé ? L'amendement n'a pas été adopté, parce que les ministres n'en veulent pas. Ils sont souvent issus de l'exécutif. Ils savent très bien ce qu'ils ont à faire.

Je ne veux pas vivre et je ne voudrais pas que mes enfants vivent dans un pays où la liberté doit être autorisée dans chaque loi. Il n'est pas non plus possible que la liberté ne soit pas naturelle entre administrations publiques. Dans quelle démocratie serions-nous ? La pusillanimité est le fait de celui qui se demande pourquoi il se risquerait à prendre une décision alors qu'elle n'est pas autorisée par la loi. Cela veut-il dire que la libre administration des collectivités territoriales consisterait à lire tous les matins le code général des collectivités territoriales pour gouverner sa collectivité ? Est-ce que, quand vous prenez votre voiture, vous avez le code de la route sur vos genoux ? L'amendement est toujours disponible, pour votre information !

Je vais vous donner le « truc » d'un ancien rapporteur général du budget et président de la commission des Finances que j'ai été : il faut faire parler le Gouvernement sur des sujets comme ceux-là. Croyez-moi, vous n'avez pas obligatoirement besoin d'un amendement. En effet, vous demandez la parole sur un article, puis vous posez votre question au Gouvernement et vous verrez bien la réponse qu'il vous donnera. Dans ce cas, vous le prévenez d'abord, vous dites au Gouvernement : « Voilà la question que je vais poser dans ma prise de parole sur l'article ». Le Gouvernement va se tourner vers l'administration qui va lui préparer une réponse alambiquée, mais qui fera avancer les choses.

Je crois qu'il faut confronter l'étude d'impact qui est associée à chaque texte à son application. Pourquoi, alors que les études d'impact ont été introduites dans la révision constitutionnelle de 2008, n'en a-t-il jamais été fait d'évaluation ex post ?

Je vais encore vous raconter une histoire. Avec Didier Migaud, nous sommes à l'origine de la loi organique relative aux lois de finances. Il y avait tout le sujet de l'évaluation, et notamment des prévisions. Nous avons fait le tour du monde, nous sommes allés dans les pays scandinaves et nous leur avons demandé leur sentiment, notamment, sur la manière de faire des prévisions. Ils nous ont répondu avec beaucoup d'humour qu'ils étaient très surpris que nous posions la question, puisque nous sommes champions du monde en matière de prévision. Nous leur avons demandé pourquoi et ils nous ont répondu que nous avions un appareil statistique en matière de prévision que le monde entier vous enviait. Nous étions heureux du compliment, mais il était tellement beau que nous nous sommes dit que cela allait mal finir. Cela n'a pas manqué, puisque le technocrate en question a ajouté : « Vous avez une précaution qui est excellente : vous ne vérifiez jamais les hypothèses desquelles vous partez, ce qui rend vos prévisions extrêmement bonnes ». Je vous demande de bien vouloir méditer cette phrase. Quand on vous présente une étude d'impact, commencez à prévenir le Gouvernement que dans deux ou trois ans, vous ferez une étude ex post !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.