Intervention de Brune Poirson

Séance en hémicycle du lundi 9 décembre 2019 à 16h00
Lutte contre le gaspillage et économie circulaire — Présentation

Brune Poirson, secrétaire d'état auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire :

Merci, bien sûr, à la ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, pour sa totale confiance et son soutien sans limite. J'ai également une pensée pour Nicolas Hulot, qui a engagé ce chantier en me missionnant sur le sujet, ainsi que pour François de Rugy, qui a accompagné ce travail au long cours.

Pour l'heure, le projet de loi comprend 106 articles. Cent six ! Voilà qui témoigne de l'investissement des deux chambres du Parlement s'agissant d'un sujet qui touche tous les Français dans leur vie quotidienne, à travers leurs poubelles, les objets dont ils s'entourent, leur cadre de vie, la qualité de ce qu'ils mangent, la manière dont ils achètent, consomment, réparent, réutilisent, enfin, se séparent de tous ces produits !

Quelle est l'ambition de ce texte ? Il s'agit de réaliser la transition entre deux mondes, en passant de celui du tout-jetable, qui caractérise encore notre société, à celui du tout-réutilisable. C'est pourquoi le projet de loi allie écologie du quotidien et écologie de demain. Il englobe des mesures très concrètes, qui auront des répercussions immédiates sur la vie quotidienne de chacun des Français, tout comme des objectifs, assortis de moyens et d'outils de suivi, pour les cinq, dix, quinze, voire vingt prochaines années, en vue de changer durablement nos modes de production et de consommation. C'est un texte au ras du bitume et en même temps au coeur du moteur.

Le constat, nul besoin de s'y attarder tant il est devenu une évidence : l'urgence climatique est avérée et l'inquiétude citoyenne croissante. La question concrète à laquelle nous devons répondre est celle de la méthode : comment la transition vers une société du tout-réutilisable doit-elle s'effectuer ?

Je ne crois pas en une révolution violente, imposée d'en haut, ni aux fausses solutions qui consisteraient à regarder vers l'arrière en prétendant que c'était mieux avant. Je crois à quatre idées-forces, qui constituent les piliers du projet de loi : la responsabilité, le développement de la capacité des acteurs, la redevabilité et la collaboration. La responsabilité, c'est créer de la valeur économique d'une manière qui réponde aussi aux défis actuels et aux besoins de la société. Le développement de la capacité des acteurs, c'est créer une société dans laquelle chacun a le pouvoir de faire. La redevabilité, c'est rendre compte, assurer le suivi des engagements pris, insuffler de la confiance dans le système ; pour cela, les informations doivent être disponibles en toute transparence pour les citoyens comme pour la puissance publique. La collaboration, c'est travailler et transformer ensemble, par-delà les clans, les chapelles, les partis et les postures.

Je crois à la construction d'un projet collectif. Ce projet de loi est aussi un projet de société, qu'il nous faut mener à bien ensemble, et non les uns contre les autres – notre travail en commission l'a démontré, puisque des amendements provenant de tous les groupes politiques ont été adoptés.

Pour ce faire, prenons un peu de recul. Regardons du côté des anthropologues, dont la mission est d'étudier les groupes humains. J'ai l'habitude de citer Marcel Mauss – rassurez-vous, je ne vais pas faire un cours magistral mais selon lui, c'est en s'intéressant aux ordures d'une société qu'on apprend à la connaître. Je citerai aussi Mary Douglas : pour elle, un individu ou un groupe humain affirme son identité propre autant par ce qu'il intègre que par ce qu'il rejette. Quelle est donc notre identité propre ? Ne serait-elle pas liée au gaspillage ? Pour ma part, je le crois.

Examinons les chiffres. En Europe, en 2016, les municipalités ont pris en charge 392 millions de tonnes de déchets. Si nous continuons sur la même trajectoire, elles devraient avoir à en gérer 440 millions de tonnes en 2030 et 490 millions en 2050. En France, en 2015, les collectivités territoriales ont collecté 568 kilogrammes de déchets par habitant, dont 437 kilogrammes produits par les seuls ménages.

Si l'on prend l'exemple du plastique, en 1950, la production mondiale était de 1,5 million de tonnes, en 2015, de 322 millions. En France, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – ADEME – estime que la production de déchets en plastique s'élève à 4,5 millions de tonnes par an.

Vous en conviendrez, ces chiffres donnent le tournis. Quelle conclusion générale en tirer ? Près de trente ans après la dernière grande loi sur les déchets, on continue à les jeter massivement dans des décharges saturées ou à les déverser dans la nature sous la forme de dépôts sauvages. Pire, on les envoie parfois au loin, dans d'autres parties du monde, dans des pays en voie de développement, comme si ceux-ci pouvaient tolérer longtemps de servir d'exutoire à nos propres excès. À ce propos, je veux souligner que la France a été très ferme en infligeant le mois dernier une amende de 192 000 euros à une société qui avait envoyé en Malaisie, de manière illicite, des déchets en plastique. Et ce n'est qu'un début.

Les Français et la nature nous demandent de changer de siècle : faisons-le ! Découplons la croissance économique et l'exploitation des ressources naturelles ! Concrètement, pour être à la hauteur du XXIe siècle, nous devons rompre avec le système capitaliste vorace et injuste qui est le nôtre. Le programme est clair : si le XXe siècle a été celui de la croissance de la productivité du travail, le XXIe siècle devra être celui de la productivité des ressources.

Tel est l'objet de l'économie dite circulaire. Ce n'est pas un nouveau mot à la mode. Ce n'est pas, non plus, une tentative de déguiser l'économie du XXe siècle en économie du XXIe siècle. C'est un projet de société dont le but est de redonner du sens à l'économie. Nous n'avons pas à choisir entre les deux termes d'une alternative mortifère, croissance ou décroissance. Nous avons à construire ensemble une troisième voie, qui vise à l'amélioration continue du bien-être des populations dans le respect des limites physiques de la planète.

Dans cette optique, nos objectifs sont clairs : nous devons nous attaquer à toutes les formes de gaspillage, à tous les niveaux – au sein des familles, dans les entreprises, dans les administrations. C'est pourquoi nous avons conçu ce projet de loi à la manière d'un plan d'action. Les 106 articles du texte donneront des outils concrets pour produire et consommer autrement, pour enclencher le changement de siècle.

Quelles sont donc les grandes avancées contenues dans le projet de loi ?

La première est la lutte contre le gaspillage. Les chiffres sont éloquents – je ne veux pas vous noyer dessous, mais il importe d'en citer quelques-uns. Dans notre pays, chaque année, l'équivalent de 630 millions d'euros de produits sont détruits, dont 180 millions d'euros de produits d'hygiène et de beauté, 49 millions de produits textiles et de chaussures et 10 millions de produits électroménagers. En France, aujourd'hui, on détruit cinq fois plus qu'on ne donne.

Je vous en donne un exemple précis : 1,7 million de femmes françaises n'ont pas les moyens de s'acheter des protections hygiéniques tous les mois, alors que le secteur de l'hygiène et de la beauté a l'un des plus mauvais ratios entre la destruction ou le recyclage et le don : 91 % des produits y sont détruits ou recyclés, 9 % seulement donnés.

Autre exemple, à l'approche des fêtes de fin d'année : peut-on accepter que, dans notre pays, 40 millions de jouets soient jetés chaque année ?

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