Intervention de Stéphanie Kerbarh

Séance en hémicycle du lundi 9 décembre 2019 à 16h00
Lutte contre le gaspillage et économie circulaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphanie Kerbarh, rapporteure de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

L'économie circulaire résume une grande partie des questions qui se posent à nos sociétés. D'un côté, nos forces productives n'ont jamais été aussi puissantes qu'aujourd'hui. Nous pouvons fabriquer toutes sortes de produits en très grande quantité, les acheminer de par le monde, depuis leur lieu de production à celui de leur consommation. Les prix des biens matériels ont connu une baisse tendancielle, ce qui les a rendus largement accessibles au plus grand nombre.

De l'autre côté, les déchets s'entassent. Nous n'avons plus deux collections de vêtements par an mais des nouveautés qui arrivent continuellement sur le marché. L'obsolescence programmée nous contraint à remplacer des produits qui pourraient encore fonctionner. Nous avons perdu l'habitude de réparer nos objets, préférant les jeter quand ils ne fonctionnent plus, pour en acheter de nouveaux. Les plastiques à usage unique symbolisent notre mode de vie. Ils se déclinent en autant d'objets dont nous nous débarrassons dès leur utilisation terminée – briquets, gobelets… – sans nous soucier de leur devenir.

« La civilisation industrielle, en supprimant la beauté naturelle, en la couvrant sur de longs espaces par le déchet industriel crée et suscite les besoins artificiels. Elle fait que la pauvreté ne peut plus être vécue et supportée. » On croirait cette phrase pensée pour notre temps. Elle a été écrite par Albert Camus en 1951. C'est qu'il était, comme tous les grands intellectuels, un visionnaire.

J'aime pourtant l'industrie, qui a joué un rôle indéniable dans l'émancipation des femmes. Mais revenons à notre sujet.

Favoriser l'économie circulaire ne se résume pas à une simple gestion des déchets que nous produisons. Il ne s'agit pas seulement d'éliminer ou de recycler les déchets mais de concevoir des modes de production et de consommation économes des ressources disponibles, de refuser de céder à la facilité consistant à extraire des matières fossiles qui ont mis des millions d'années à se former pour fabriquer des objets que nous n'utiliserons qu'une fois, l'espace de quelques secondes, avant de les enfouir pour des centaines d'années sans nous préoccuper des conséquences pour la qualité de nos sols et de nos écosystèmes, et pour la santé de nos enfants.

Dans ce domaine, nous sommes aujourd'hui à un tournant, comme en témoignent les nombreuses contributions de nos concitoyens au grand débat national, relatives au recyclage et à la prévention des déchets. Le sujet dépasse celui des petits gestes du quotidien.

En effet, l'économie circulaire suppose non seulement de réfléchir à l'évolution de nos modes de consommation, mais aussi, nos concitoyens nous le rappellent, à la transformation des modes de production. Tel est l'objet des titres III et IV du projet de loi, pour lesquels j'assume la mission de rapporteure. Ils complètent les titres 1er et II relatifs à l'information des consommateurs et à la lutte contre le gaspillage, que Véronique Riotton vient de présenter.

Le coeur des titres III et IV a trait aux mécanismes de la responsabilité élargie des producteurs, qui illustre le type d'innovations susceptibles de transformer notre façon de produire. Il s'agit de faire peser directement sur les producteurs et les distributeurs la responsabilité de la gestion des déchets issus de leurs produits. En d'autres termes, il revient à celui qui introduit des produits dans le commerce de s'assurer qu'ils seront collectés et valorisés quand ils ne seront plus utilisés. Boucler la boucle de l'économie circulaire implique d'anticiper, lors de la production, la fin de vie des produits.

Ce projet de loi veut concrétiser cette ambition de nombreuses manières. Il est ainsi prévu de créer de nouvelles filières, pour gérer les mégots de cigarette, les lingettes, les jouets, les articles de jardinage et de bricolage ou les articles de sport. Suite à nos débats en commission, les produits et les déchets du bâtiment ont été ajoutés à la liste. Cette nouvelle filière devra garantir la traçabilité des matériaux et un maillage renforcé des points de collecte.

Par ailleurs, le projet de loi accentue le mécanisme des éco-modulations. Les producteurs bénéficieront d'un bonus s'ils prennent en compte la fin de vie de leurs produits dès leur conception et auront un malus dans le cas contraire.

Il prévoit également de rénover la gouvernance des éco-organismes. Nous y avons beaucoup travaillé en commission et nous avons pris des mesures pour que chaque éco-organisme soit doté d'un comité des parties prenantes qui intègre des représentants des collectivités territoriales, des associations et des opérateurs de déchets. Ce comité rendra des avis publics dans nombre de domaines et pourra se faire communiquer des informations. Il sera ainsi en mesure de faire intégrer par les producteurs la nécessité d'anticiper la collecte et le traitement des déchets qu'ils engendrent.

Par ailleurs, les éco-organismes seront obligatoirement dotés de deux fonds, quand cela est pertinent pour la filière : l'un finançant la réparation des produits, l'autre subventionnant les structures de l'économie sociale et solidaire qui oeuvrent à la réutilisation et au réemploi des objets. Ce mécanisme particulièrement vertueux permettra de financer des emplois d'insertion et de prévenir la production de déchets.

Les travaux en commission ont permis d'enrichir le projet de loi issu des travaux du Sénat. En témoignent les 355 amendements que nous avons adoptés. Vous comprendrez que je n'expose que les principales de ces évolutions.

Tout d'abord, nos travaux ont été marqués par le souci de la transparence et de la traçabilité. Nous avons adopté de nombreux amendements qui renforcent l'information du public et qui permettent de suivre le devenir des déchets tout au long de leur vie. Ce sera le cas notamment pour les éco-organismes. Toutes les informations concernant les mises en marché et les taux de recyclage, de réemploi, de réutilisation ou d'incorporation de matière recyclée seront mises en ligne en open data. Il en ira de même pour la liste de tous les points de collecte et pour les coordonnées des réparateurs et des centres de réemploi.

Un deuxième axe m'importe particulièrement à titre personnel : la préservation de la santé publique et de l'environnement. La commission a ainsi renforcé le contrôle de l'épandage des boues afin que soient réévaluées très rapidement les normes sanitaires en vigueur. Elle a également prévu des contrôles par un tiers pour la sortie du statut de déchet. Ce contrôle sera obligatoire pour les déchets dangereux, les terres excavées et les sédiments.

Elle a enfin fortement limité les possibilités d'utiliser des encres minérales sur les emballages car elles perturbent le tri et mettent en danger la santé des consommateurs. Je ne m'étendrai pas sur la limitation du tri mécano-biologique, qui va dans le même sens.

Troisièmement, nous avons renforcé les obligations de tri des déchets. S'agissant du tri par les entreprises et les collectivités, nous avons aggravé les sanctions applicables en cas de non-respect du tri « cinq flux ». Par ailleurs, les particuliers comme les professionnels, qui produisent plus de cinq tonnes de biodéchets par an, devront les trier à la source. La date de mise en oeuvre de cette obligation a été avancée au 31 décembre 2023.

La consigne est également une manière de mieux trier nos déchets, en isolant les bouteilles en plastique et les canettes de boisson, ce qui favorise leur recyclage. La commission a jugé, en l'espèce, qu'un travail complémentaire devait être conduit. Ce travail a été mené, en collaboration avec les collectivités territoriales, par le Gouvernement, qui devrait nous proposer en séance publique un nouveau dispositif.

Enfin, nous avons souhaité réduire la production de déchets à la source par des interdictions ciblées, lorsque des substituts à certains produits existent ou que leur utilisation n'est pas indispensable. Je citerai ici l'interdiction de servir des repas à consommer sur place dans des contenants à usage unique, l'interdiction d'emballer les fruits et légumes dans du plastique ou encore la prohibition des confettis en plastique, chère à notre présidente Barbara Pompili.

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