Intervention de Paul-André Colombani

Séance en hémicycle du jeudi 12 décembre 2019 à 9h00
Reconnaissance du crime d'écocide — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul-André Colombani :

Nous sommes à la fin d'un cycle. Il y a deux siècles, le libéralisme a libéré les forces avides de la croissance, inaugurant sur notre terre commune la civilisation thermo-industrielle. « Laissez faire, laissez passer », disaient les premiers promoteurs d'un courant de pensée qui a si bien réussi que l'homme, pour la première fois de son histoire, a mis la nature à genoux devant lui.

C'est l'anthropocène, et nous sommes en plein dedans. Mais la liberté, le droit ont pour contrepartie le devoir, la responsabilité. La liberté individuelle de s'enrichir a pour corollaire le devoir collectif de solidarité. Les droits sociaux de 1946 sont venus rééquilibrer les libertés nécessaires mais égoïstes de 1789.

Si notre responsabilité a été rétablie vis-à-vis de nos semblables, elle ne l'a pas été vis-à-vis de la nature. Or, comme le disait Sénèque, « La véritable sagesse consiste à ne pas s'écarter de la nature, mais à mouler notre conduite sur ses lois et son modèle. » Ces lois et ce modèle sont désignés aujourd'hui par le terme d'écosystème.

Ce sont ces écosystèmes qui sont peu à peu exterminés par la civilisation industrielle. Nous le savons, mais nous continuons, tête baissée, habitués que nous sommes au culte de la croissance et des emplois, alors même que, comme l'a rappelé Philippe Saint-Marc, « Le coût de la protection du milieu naturel est beaucoup plus faible que le coût de sa reconstitution. La défense de la nature est rentable pour les nations. »

Face à cette évidence, je préfère recourir au droit plutôt qu'au fatalisme de l'inaction. De nombreux juristes, tels que Mme Valérie Cabanes, travaillent depuis plusieurs années sur la notion de crime d'écocide.

Ce concept pénal repose sur un postulat juste : la nature n'est pas une chose, ce n'est pas un bien meuble, une matière inerte coupée de l'humanité. Je sais que c'est extrêmement difficile à comprendre en Occident car, dans la pensée judéo-chrétienne, le divin n'habite pas le monde, il est hors du monde. La nature n'y est pas divine, c'est une chose créée au service des hommes, asservie aux hommes.

Il est évident que l'écosystème représente une unité autarcique de vie végétale, animale, mais aussi humaine : c'est l'expression complète de ce que les Anciens appelaient la cité naturelle. Détruire un écosystème, c'est la même chose que raser une ville de la carte, déporter un peuple, exterminer une nation.

Ces abominations de l'Histoire ont fini par être réprimées en droit public, mais cette oeuvre n'est pas encore terminée. Pour y parvenir, la pénalisation et la reconnaissance de l'écocide s'inscrivent dans la lignée de la consolidation du droit naturel, après la pénalisation des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

Cette reconnaissance est l'aboutissement logique d'une évolution non seulement juridique, mais aussi anthropologique, qui nous a conduits à comprendre que le contrat social ne pouvait plus être dirigé contre la nature, mais qu'il devait être conclu avec elle, pour sa protection.

L'anthropocentrisme des esprits fera ricaner les cyniques ; un pragmatisme paresseux achèvera de convaincre les sceptiques. En effet, une proposition de loi sur le sujet avait été examinée au Sénat et rejetée au motif qu'il est impossible de faire de la République française le gendarme de la planète.

Je suis certes favorable à ce que la reconnaissance du crime d'écocide se fasse au niveau du droit international, à travers l'outil conventionnel, mais les députés du tiers état dont nous sommes les successeurs ont-ils attendu des conventions internationales pour proclamer les droits de l'homme et du citoyen ?

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