Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du jeudi 12 décembre 2019 à 9h00
Reconnaissance du crime d'écocide — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

L'urgence écologique nous rappelle une chose fondamentale : elle ramène les êtres humains à leur statut d'espèce. La sixième extinction de masse des espèces est en cours. 60 % des vertébrés sauvages ont disparu en cinquante ans. En Europe, 80 % des insectes et 421 millions d'oiseaux ont disparu.

Or notre survie dépend des écosystèmes. Ainsi, un tiers de la production alimentaire dépend des insectes et des oiseaux pollinisateurs. L'urgence se comprend en un chiffre : la France a dépassé six des neuf limites planétaires, seuils limites à ne pas dépasser pour s'assurer de la préservation des écosystèmes, donc de notre survie.

Qui est responsable de cette situation ? Certes, nous sommes entrés dans l'ère de l'anthropocène, âge où les activités de l'être humain modifient la composition physique de la planète, mais ce sont surtout les quatre-vingt-dix plus grandes entreprises productrices de pétrole, gaz et charbon, qui sont responsables à elles seules de 50 % de la hausse des températures et de 30 % de l'élévation du niveau des océans depuis 1880.

L'écologie est une lutte, madame la ministre. Elle redessine tout le champ politique avec, d'un côté, les partisans de la survie de l'espèce, dont l'intérêt objectif est la survie et la vie bonne des êtres humains, et, de l'autre, la très petite minorité intéressée à son seul profit, dont l'intérêt est d'ignorer le problème afin de sauvegarder ses capitaux et son patrimoine à court terme.

L'urgence écologique est un combat que l'on ne peut mener qu'en assumant collectivement d'identifier et de nommer ses ennemis. Ceux-ci s'appellent notamment Total, Monsanto et Vinci. Il faut les nommer et les punir.

Je remercie donc le groupe Socialistes et apparentés de nous permettre d'avoir cette discussion importante pour faire reconnaître le crime d'écocide. Car tout le monde connaît ces écocides, même s'ils demeurent impunis. Ils relèvent de ce que la sociologue Annie Thébaud-Mony a qualifié de « permis de tuer » donné aux transnationales, en citant l'exemple du chlordécone. Tout le monde savait ce qu'il en était depuis au moins 1976, mais cet insecticide a été utilisé dans les Antilles jusqu'en 1993, polluant pour 700 ans les terres et les eaux et empoisonnant les Antillais, qui détiennent le triste record du plus fort taux de cancer de la prostate au monde.

Aujourd'hui, les sanctions sont si dérisoires que les crimes contre l'humanité commis par destruction de l'environnement, en temps de paix comme en temps de guerre, restent largement impunis, d'autant que les transnationales échappent à leur responsabilité en se défaussant sur leurs filiales. C'est ainsi que les pires atteintes à nos écosystèmes peuvent perdurer.

Le combat pour la reconnaissance de l'écocide, mené notamment par des juristes et des associations depuis quarante ans, fait suite à la guerre du Vietnam, durant laquelle l'armée étasunienne a déversé de l'agent orange. Vers qui peuvent aujourd'hui se tourner les nombreuses familles victimes de cancer et les parents de bébés nés avec des malformations ? Personne.

Le trafic de déchets toxiques perdure, lui aussi, sans grande menace. Une des affaires les plus parlantes reste celle du Probo Koala, ce navire pétrolier qui, en 2006, a déchargé en Côte d'Ivoire 581 tonnes de déchets, lesquels, une fois répandus à terre en zone de décharge, ont provoqué des émanations de gaz mortels. Dix-sept personnes sont mortes et 50 000 ont été intoxiquées. Quelle a été la sanction ? Un million de dollars, sur un trafic qui en rapporte 73 milliards ! J'ajoute que cette condamnation a été prononcée seulement pour manquement relatif à la nature des déchets, et non pour l'acte lui-même.

Récemment, l'entreprise Vinci a reconnu avoir déversé de l'eau chargée de résidus de béton directement dans la Seine. Que s'est-il passé ? Rien, au vu des profits colossaux de cette transnationale.

Des millions de personnes souffrent de la détérioration généralisée de l'écosystème Terre, de la pénurie alimentaire et du manque d'eau, de la sécheresse, de la montée des eaux, mais ni la biosphère ni les humains qui en dépendent ne sont reconnus comme victimes d'un préjudice. Aucun délit n'existe en la matière dans le droit international. La France pourrait cependant, aux côtés des pays qui se sont déjà engagés, être motrice et arrêter ces crimes contre l'environnement.

Elle ne peut pas continuer d'être le pays dans lequel on demanderait aux citoyens de faire des efforts, tout en laissant les plus gros pollueurs et meurtriers impunis. Entendez que l'on ne peut plus demander tout au peuple et rien à ceux qui détiennent le pouvoir et qui polluent.

Les citoyens ont conscience des enjeux écologiques. Les marches pour le climat, qui, en France, ont conduit plusieurs centaines de milliers de personnes dans la rue, ont démontré que les jeunes attendaient des changements drastiques et que le système paupérisant dans lequel nous vivons est le même qui détruit la Terre. C'est un système auquel il faut mettre fin.

En refusant la reconnaissance du crime d'écocide, vous continuez à laisser ces transnationales impunies. Madame la ministre, chers collègues, quand allons-nous enfin être à la hauteur de notre planète et des peuples qui l'habitent ? Quand allons-nous enfin arrêter les ennemis de la survie de l'humanité ?

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