Intervention de Général André Lanata

Réunion du mercredi 18 octobre 2017 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air :

Sur la question relative aux gros porteurs Beluga, il en existe cinq actuellement. Ils sont tous utilisés par Airbus Transport International pour un usage très spécifique : le transport de sections d'appareils d'Airbus pour leur assemblage final à Toulouse et Hambourg, voire des satellites ou des éléments de fusée. La charge offerte d'un tel appareil est d'environ 50 tonnes, ce qui n'a rien d'exceptionnel par rapport à d'autres gros porteurs de type An 124 ou An 225 par exemple. Je ne peux pas vous répondre plus précisément à ce stade, mais nous vous apporterons des éléments complémentaires si vous le souhaitez.

S'agissant de l'autonomie technologique de la France, je comprends que la question en filigrane est celle des conséquences opérationnelles qui en découlent. Il s'agit d'un choix compliqué dont nous avons débattu dans le cadre de la revue stratégique qui consacre tout un développement à la question de notre autonomie technologique, alors que nous voyons bien les difficultés que nous avons à entretenir l'ensemble de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), ce qui nous amène à devoir accepter des compromis entre nos capacités opérationnelles et les choix d'investissement que nous faisons. Nous avons tous en tête des exemples concrets qui illustrent les conséquences de ces choix : objectivement j'estime qu'ils pèsent aujourd'hui de façon excessive sur nos capacités opérationnelles. Il revient par ailleurs à la DGA de répondre aux questions ayant trait à la situation de notre BITD.

Je me limiterai, pour ma part, à parler des conséquences opérationnelles d'une dépendance technologique. Je pense qu'il existe des secteurs dans lesquels nous pouvons nous permettre un certain niveau de dépendance mais que, pour d'autres, cela n'est pas possible. Il faut donc faire ce travail fin, consistant à bien cibler les secteurs où nous devons allouer nos ressources budgétaires. Or, parfois, la ligne de partage des eaux ne se situe pas sur un équipement complet. Il peut s'agir d'une partie spécifique plus sensible d'un élément de système d'arme, sur lequel il n'est pas question d'accepter de dépendre de façon excessive d'un partenaire étranger. Comme vous le savez nous avons fait le choix, dans l'urgence, d'acquérir un certain nombre d'équipements militaires à l'étranger. Je pense notamment aux drones Reaper que nous avons achetés aux États-Unis. Naturellement, cela a des conséquences opérationnelles : nous ne pouvons pas exploiter de façon totalement libre cette flotte. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons lancé un programme de drone européen pour rétablir notre autonomie dans ce domaine. Pour résumer : oui, l'autonomie technologique est un sujet, qui est abordé dans la revue stratégique. Il faudra pour chaque technologie, presque ligne à ligne, définir celles que nous voulons absolument conserver en propre – je pense notamment aux technologies liées à la dissuasion qui, dans le domaine aéronautique, structurent la quasi-totalité des domaines technologiques clés dont nous avons besoin –, et celles pour lesquelles nous acceptons de dépendre de certains partenaires.

Sur le sujet de la fidélisation de nos aviateurs et de l'attractivité de l'armée de l'air, les deux questions me paraissant liées. Vous évoquez un sujet de préoccupation centrale, quasiment existentielle même, tant la préservation de notre qualité humaine constitue selon moi la clef de nos capacités au combat et du maintien des savoir-faire inestimables détenus par l'armée de l'air. Aujourd'hui, le contexte sécuritaire mais aussi les valeurs portées par notre institution créent une dynamique favorable aux armées. En théorie nous ne devrions donc pas rencontrer de problèmes d'attractivité. Pourtant il en existe. Cela est dû, selon moi, d'une part, à la concurrence du secteur privé qui, dans le domaine de l'aéronautique et des technologies que nous mettons en oeuvre, est assez dynamique et manque de personnel qualifié. Je ne peux pas lutter en matière de rémunérations et cela vaut autant pour recruter que pour conserver un personnel hautement qualifié.

Cela est dû, d'autre part et surtout, aux tensions internes à notre dispositif. Sur ces deux axes vous voyez que les sujets attractivité et fidélisation se rejoignent.

Il me semble que les difficultés que nous rencontrons en interne sont liées à deux facteurs : l'insuffisance de nos effectifs et les problèmes de condition du personnel. J'ai parlé dans mon intervention de l'insuffisance des effectifs de l'armée de l'air. Je ne reviens pas en détail sur cette question. Il s'agit d'un point central pour moi. Il est évident que ces lacunes génèrent des tensions internes aggravées par l'absentéisme lié aux opérations. Lorsque vous devez armer en permanence quatre bases aériennes projetées au lieu d'une prévue, on comprend aisément que cela a un impact sur les rythmes de travail du personnel resté en métropole, puisque nous ne pouvons pas arrêter l'activité de nos bases métropolitaines qui continuent à assurer les missions de protection ou de dissuasion par exemple. De même que lorsque l'on fait le choix de supprimer 30 % des effectifs de fusiliers commandos qui assurent la protection de nos bases et que le contexte sécuritaire change brutalement sur le territoire national, cela a des conséquences sur les rythmes de travail du personnel… puis sur la fidélisation : comme je l'ai dit 70 % des militaires du rang fusiliers commandos ne dépassent pas le terme de leur premier contrat.

S'agissant de la condition du personnel, je me félicite de la prise de conscience au sein du ministère et des travaux lancés pour traiter ce sujet en particulier à travers le plan famille décidé par notre ministre. Il s'agit bien sûr de questions de rémunération. Le dernier rapport du HCECM le souligne : les militaires décrochent. Il faut aussi au minimum une équité de traitement avec le reste de la fonction publique et une juste compensation des sujétions attachées au statut militaire. Je trouve incompréhensible et même, pour tout vous dire, inadmissible que les mesures prises en faveur de la fonction publique ne soient pas transposées immédiatement aux militaires. Il faut parfois plusieurs années pour y parvenir. Franchement, nos soldats ne comprennent pas un tel traitement.

La perception du moral et les difficultés de fidélisation qui en résultent, relèvent en réalité d'un ensemble de facteurs : la rémunération dont j'ai parlé mais aussi les conditions de vie et de travail sur les bases aériennes, l'organisation et la qualité des soutiens, la qualité des infrastructures, la disponibilité des équipements de mission ou des pièces de rechanges, qui conduisent parfois nos mécaniciens à devoir « cannibaliser » certains appareils pour en faire fonctionner d'autres, augmentant ainsi d'autant la charge de travail, etc. Vous savez ce qui compte pour un militaire est avant tout la cohérence d'ensemble de son outil de combat. C'est pour cela que l'axe « réparer le présent » est très important à mon sens. Bien sûr, le rêve est toujours présent et les métiers aéronautiques restent attractifs. Le problème est qu'une fois entré dans l'institution, la réalité est parfois en décalage avec le rêve…

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