Intervention de Laurence Vanceunebrock

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 10h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Vanceunebrock, rapporteure :

« J'étais en totale déconstruction intellectuelle, j'étais complètement vulnérable. Et c'est terrible parce que la culpabilisation s'insinue en nous. Il faut que ça s'arrête, il faut empêcher des jeunes de souffrir. Parce que j'y ai pensé à un moment, je me suis dit : “mieux vaut mourir que rester seule” ».

Ce témoignage est celui d'une jeune femme homosexuelle que la mission a auditionnée. Comme des millions de personnes homosexuelles ou transgenres à travers le monde, elle a vécu des pratiques communément appelées « thérapies de conversion ». Selon une étude récente, ces personnes seraient près de 700 000 rien qu'aux États-Unis, dont la moitié soumise à ces pratiques pendant l'adolescence.

L'expression « thérapie de conversion » est née aux États-Unis dans les années 1950. Dans l'imaginaire collectif, elle renvoie surtout à des faits de torture et de séquestration, mais en France, ces « thérapies » constituent aujourd'hui un spectre beaucoup plus large de pratiques souvent insidieuses.

Les pouvoirs publics prennent peu à peu conscience de l'ampleur du phénomène. Dès 2015, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme appelait à l'interdiction des « thérapies de conversion ». L'an dernier, le Parlement européen a largement voté une motion appelant les membres de l'Union européenne à les interdire. Plusieurs pays et régions ont d'ores et déjà légiféré dans ce sens. En Europe, c'est le cas de Malte qui a été le premier pays à les interdire en 2016. En Allemagne, une loi est en cours d'élaboration et d'autres pays comme la Belgique et les Pays-Bas débattent actuellement sur le sujet. Pourtant, en France, il n'existe pas de délit spécifique visant les « thérapies de conversion ». Le législateur français ne peut pas se tenir à l'écart de ces démarches ni rester sourd à l'attention des citoyennes, des citoyens et des médias sur le sujet. Cette mission d'information doit donc constituer une première étape en vue de la rédaction, dans les mois qui viennent, d'une proposition de loi afin de mieux protéger les victimes, conformément à la demande du Parlement européen et de l'Organisation des Nations unies.

Ces « thérapies de conversion » reposent sur une conception archaïque de l'homosexualité. Les auteurs considèrent encore le plus souvent l'homosexualité comme une maladie. L'un des médecins d'une victime auditionnée par la mission a ainsi estimé que son homosexualité était liée à un problème relationnel avec sa mère. On a également affirmé à une jeune femme homosexuelle, suivie régulièrement par un pasteur à Paris, que l'homosexualité était le fait d'esprits qui l'empêchaient de « suivre le plan de Dieu ».

Il existe différents types de « thérapies de conversion », religieuses, médicales ou sociétales.

Les « thérapies religieuses » les plus documentées sont surtout le fait de deux organisations : une structure évoluant au sein de l'Église catholique, Courage, et une structure évangéliste, Torrents de vie. Les deux sont les ramifications de mouvements nés aux États-Unis, où ils bénéficient d'une influence grandissante qui s'étend aujourd'hui à l'Europe et au reste du monde.

Nos travaux ont également permis de mettre en lumière des pratiques moins médiatisées, notamment au sein des communautés de l'Emmanuel et des Béatitudes. Ces dérives existent également dans des communautés protestantes, notamment parmi le courant des Attestants, et touchent aussi des personnes de confession juive ou musulmane. Elles reposent généralement sur une interprétation littéraliste et obsolète de plusieurs textes sacrés des trois monothéismes condamnant l'homosexualité.

Ces « thérapies religieuses » recouvrent des pratiques d'une grande diversité. Certaines des victimes auditionnées ont participé à des retraites organisées pendant les vacances scolaires. Pendant ces retraites, des temps de prière et d'adoration succèdent à des moments d'échanges particuliers avec un « père spirituel », qui mêle souvent des éléments de psychologie et de spiritualité, et qui invite les participants à se dévoiler et à avouer leurs péchés publiquement, avec beaucoup de détails. Ces groupes peuvent également proposer un accompagnement récurrent avec pour objectif de mener une vie chaste, qui s'assimile grandement, pour les personnes homosexuelles, à une vie continente, c'est-à-dire sans sexualité.

La mission a également été informée de l'organisation d'exorcismes, censés chasser le « démon » ou « l'esprit » de l'homosexualité. Il a été fait état de pratiques telles que l'imposition des mains, la lecture intensive de prières par les personnes présentes et le « parler en langues » c'est-à-dire l'expression d'un langage inconnu et incompréhensible qui peut survenir durant les temps de prière intenses.

Ces pratiques ne concernent pas les seules obédiences chrétiennes. Nous avons également entendu un témoin qui nous a fait part de témoignages de victimes ayant subi des ruqiyas, c'est-à-dire des exorcismes propres à l'Islam. Ces exorcismes se pratiquent notamment par la lecture intensive de versets coraniques en rapport avec la maladie, ainsi que par le toucher de certaines parties du corps – souvent les extrémités des membres – pour aider le « démon » à le quitter. Ce témoin a rassemblé plusieurs dizaines de témoignages, dont certains font état de sévices sexuels commis pendant ces exorcismes et d'excisions de femmes lesbiennes. De jeunes hommes homosexuels ont également été invités à quitter la France pour faire le djihad auprès de groupes salafistes dans le but de « se laver de leurs péchés ».

Le représentant de Beit Haverim, une association LGBT auprès de personnes de confession juive en France, nous a également raconté avoir été invité à déménager quelques années à Jérusalem afin d'y étudier dans un yeshiva, c'est-à-dire un centre d'étude de la Torah et du Talmud, avec la promesse que d'autres hommes homosexuels avant lui s'étaient mariés avec une femme et avaient eu des enfants après avoir suivi ces enseignements.

La mission a également auditionné des personnes ayant souffert de « thérapies médicales ». Un sexologue a préconisé à une victime des séances de semi-hypnose pendant plusieurs mois. Pendant ces séances, des messages à caractère sexuel lui étaient répétés de nombreuses fois afin d'« habituer [son] corps à la pénétration masculine ». Une autre a été internée dans une clinique privée du sud de la France pour une dépression imputée par le psychiatre à ses relations familiales. Pendant deux mois, la victime y a notamment subi un traitement par électrochocs.

Nous avons également découvert l'existence de « thérapies sociétales », c'est-à-dire, par exemple, l'obligation faite à un homme homosexuel, sous la menace, parfois de mort, d'épouser une femme et d'avoir des enfants.

Ces pratiques ont lieu sur le territoire national, mais la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a également indiqué que certains jeunes sont envoyés à l'étranger pour y subir des « thérapies ». Le droit français protège les victimes françaises, même quand les faits ont lieu à l'étranger, mais la plus grande vigilance s'impose pour les victimes étrangères résidant en France.

Toutes les victimes que nous avons auditionnées reconnaissent que ces « thérapies » ne permettent pas de modifier l'orientation sexuelle des participants, mais contribuent par contre à accentuer leurs souffrances. Les victimes peuvent souffrir durablement de dépression et de troubles de la personnalité et peuvent également nourrir des idées suicidaires. Elles sont souvent sous emprise et s'enferment dans un engrenage qui les conduit à prendre leurs distances vis-à-vis de leur famille et de leurs amis.

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