Intervention de Bastien Lachaud

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 10h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud, rapporteur :

Malgré la gravité de ce phénomène, nous avons constaté qu'il n'existe pas de mesure objective des « thérapies de conversion » en France, pour plusieurs raisons.

La première est que les statistiques élaborées par le ministère de la Justice reposent sur l'existence de qualifications spéciales. Puisqu'il n'existe pas de délit spécifique concernant les « thérapies de conversion », ni le ministère de la Justice ni le ministère de l'Intérieur ne peuvent établir un suivi statistique de ces pratiques.

La deuxième raison est la difficulté des victimes à déposer plainte. Souvent, elles n'osent pas enclencher le processus judiciaire, car elles craignent d'être isolées de leur milieu social et de leur famille et redoutent des représailles. Beaucoup d'entre elles ont également intégré des préjugés et des convictions religieuses qui les terrifient.

La troisième raison est qu'il est difficile pour les victimes de prouver le préjudice subi, ce qui peut aussi participer à leur découragement.

Face à cette absence de statistiques, nous avons décidé d'interroger systématiquement les personnes auditionnées afin de mieux mesurer le phénomène. L'association Le Refuge a affirmé à la mission avoir reçu 4,2 % d'appels sur sa ligne téléphonique concernant directement les « thérapies de conversion » en 2019, soit neuf à dix appels par mois, en forte hausse par rapport aux années précédentes. Pendant nos auditions, nous avons eu à connaître d'une centaine de cas récents en France. Nous nous alarmons particulièrement de l'augmentation des signalements sur les dernières années, qui indique que les « thérapies de conversion » sont un phénomène qui prend de l'ampleur.

Nous avons également constaté que la situation actuelle fragilise les victimes. Il est vrai que le droit français permet déjà de réprimer certaines pratiques, comme les faits de torture, les violences, le harcèlement, l'abus de faiblesse et l'exercice illégal de la médecine. Mais cette multitude de recours souligne surtout l'illisibilité du droit que les victimes ont déploré. Nous avons également constaté que plusieurs d'entre elles n'ont découvert la notion de « thérapies de conversion » que récemment. Toutes ont estimé que la création d'un délit spécifique permettrait d'adresser un signe clair aux auteurs et aux victimes de ces « thérapies ».

Une difficulté particulière se pose néanmoins au législateur, car il s'agit de pratiques qui sont souvent à la limite de la légalité. Les groupes accusés de pratiquer des « thérapies » nient les faits et maquillent leur communication pour ne pas risquer de condamnation. Les « thérapies » pratiquées par des professionnels de la médecine sont également particulièrement difficiles à détecter et les victimes mineures sont démunies puisqu'il est particulièrement difficile pour elles de se retourner contre leurs propres parents. Tous ces cas de figure nécessitent donc d'agir avec précaution.

Les travaux que nous avons menés permettent d'envisager plusieurs évolutions législatives pertinentes pour mieux protéger les victimes. La première d'entre elles consisterait en l'instauration d'une infraction spécifique condamnant les « thérapies de conversion », qui permettrait aux victimes de mieux s'identifier comme telles et qui adresserait un message fort aux auteurs. Cette infraction pourrait libérer la parole et mieux sensibiliser les associations LGBT, qui sont encore parfois trop peu informées. Elle permettrait également d'améliorer la lisibilité statistique de ce phénomène.

Plusieurs pistes, alternatives ou complémentaires, ont également été suggérées par les personnes que nous avons auditionnées.

Il a été proposé d'instaurer, dans l'article dédié du code pénal, une circonstance aggravante à l'abus de faiblesse afin de sanctionner plus lourdement les auteurs quand l'infraction a été commise en raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre de la victime. Un tel ajout permettrait de préciser l'intention du législateur de réprimer spécifiquement les « thérapies de conversion », en plus de la circonstance aggravante déjà existante.

Une autre proposition serait d'étendre la circonstance aggravante qui existe aujourd'hui pour les faits de violence réalisés sur des mineurs de moins de 15 ans. Nous avons en effet constaté que les adolescents de 16 à 18 ans sont une cible potentielle des auteurs et qu'il est pertinent d'étendre cette circonstance aggravante pour mieux les protéger.

Une réflexion spécifique concernant les mineurs pourrait également être menée au regard des dangers auxquels ils sont soumis en suivant ces « thérapies », en incitant davantage les professionnels à recourir aux mesures d'assistance éducative, dont le retrait total du milieu familial, quand le danger est imminent.

Enfin, une précision pourrait également être apportée s'agissant du délit de harcèlement sexuel afin d'y assimiler, sous certaines conditions, la volonté de transformer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne, ainsi que les discours prônant la chasteté, notamment lorsqu'ils suggèrent que l'orientation sexuelle des jeunes homosexuels est une anomalie.

La lutte contre les « thérapies de conversion » nécessite également de mobiliser la société tout entière. Il est nécessaire de mieux connaître et de mieux documenter ces « thérapies ». Les pouvoirs publics doivent pouvoir mener une étude d'ampleur et mobiliser à cette fin l'ensemble des acteurs pouvant être concernés. Chaque administration doit également se saisir de ce sujet dans son domaine de compétence propre et faire remonter les chiffres dont elle pourrait avoir connaissance. La Miviludes pourrait se voir confier une mission spéciale sur ces « thérapies ».

L'école républicaine doit jouer pleinement son rôle en luttant contre les discriminations dès le plus jeune âge. Les cours d'éducation à la sexualité à l'école et d'éducation morale et civique doivent être renforcés dans leur contenu afin de ne pas traiter uniquement des questions de biologie, mais préciser qu'il existe une diversité d'orientations sexuelles et que les discriminations contre les personnes LGBT sont punies par la loi. Les établissements doivent également veiller à ce que ces cours soient enseignés partout, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Nous nous inquiétons particulièrement de la faiblesse des contrôles d'inspection menés sur ce sujet par les services du ministère de l'Éducation nationale, notamment dans les plus de 7 600 établissements privés sous contrat avec l'État. Il ressort de nos auditions que certains établissements pourraient ne pas être inspectés pendant des années, voire des décennies. Les contrôles semblent également particulièrement peu nombreux pour les établissements privés hors contrat, puisque seules deux inspections sont prévues lors de l'ouverture de l'école et dans les cinq ans après cette ouverture.

Une réflexion doit aussi être menée concernant les interventions en milieu scolaire des associations LGBT. Certaines d'entre elles ont souligné qu'il leur était très difficile d'intervenir dans les écoles privées confessionnelles. Pourtant, les associations suppléent les carences de l'Éducation nationale en matière de prévention et doivent donc pouvoir entrer dans tous les types d'établissements.

Enfin, il est également nécessaire d'intensifier la politique publique de lutte contre les LGBT-phobies en y intégrant les « thérapies de conversion ». Le plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT adopté par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) en 2017 prévoyait de mener une campagne de communication qui n'a pourtant toujours pas été mise en oeuvre, et que nous appelons vivement de nos voeux afin de sensibiliser la population de façon générale contre les LGBT-phobies.

Il est également nécessaire de mieux encadrer les pratiques des professionnels. À ce titre, nous proposons de modifier l'article 7 du code de déontologie médicale concernant la non-discrimination des patients afin d'y introduire explicitement l'interdiction de ces pratiques, ou d'en appeler à l'ordre des médecins pour qu'il actualise le commentaire de cet article. Il nous semble également important de renforcer la formation des professionnels pour mieux les sensibiliser à l'existence et aux différentes formes que revêtent les « thérapies de conversion », notamment dans la perspective d'un renfort de la législation. Une information des magistrats pourrait être envisagée. Nous avons également constaté que les policiers et les gendarmes ne bénéficient pas systématiquement d'un enseignement relatif aux discriminations pendant leur formation continue et nous le regrettons.

Enfin, l'accueil des victimes dans les commissariats et les gendarmeries doit être amélioré. La constitution d'un réseau de référents LGBT doit se poursuivre afin de créer un maillage sur l'ensemble du territoire. Ces référents doivent aussi bénéficier de moyens suffisants pour exercer leur mission. La mise en place d'une ligne téléphonique consacrée aux LGBT-phobies pourrait également être envisagée afin de rassurer les victimes et de faciliter le dépôt de plainte.

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