Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 28 novembre 2019 à 10h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office :

– Je souhaiterais prendre la parole en témoin interrogatif quant à la possibilité du conseil scientifique froid, objectif, donc parfaitement scientifique. J'y suis très favorable et j'en rêve, car j'essaie d'être rationnel. Je constate toutefois que la société fonctionne de façon différente. J'observe par exemple le succès du principe de précaution tel qu'il est porté par les hommes politiques et par le système médiatique. Ceci constitue l'une des premières difficultés que vous, scientifiques, avez à surmonter. L'exemple de Wellington est très éclairant. Si l'information est mal traduite et mal diffusée (ce que la société numérique permet de faire en masse, y compris lorsqu'il s'agit de fausses nouvelles), la tentation de l'homme politique, dans le doute du désordre intellectuel que ces informations apportent, est, vis-à-vis d'un risque qu'il ne sait pas évaluer et que son conseiller scientifique encadrera certainement, mais dans une fourchette assez vaste, de faire valoir le principe de précaution pour choisir la solution la plus apaisante, cette dernière n'étant pas nécessairement la plus pertinente.

Je vois une deuxième difficulté en matière de conseil scientifique. Vous avez évoqué les notions de confiance et d'indépendance. Plus les gens sont compétents, plus ils sont engagés professionnellement, comme universitaires, chercheurs, enseignants, mais aussi, c'est leur droit le plus strict, comme professionnels d'un métier, salariés d'une entreprise ou dirigeants d'un établissement. Or le présupposé d'indépendance voudrait que nous ayons affaire à de purs esprits, à la fois extraordinairement compétents, adossés à une culture inépuisable, et acceptant de vivre dans un monastère, loin des tentations et de l'image du péché, du diable corrupteur, ce dernier pouvant être en l'occurrence une fonction de chercheur ou de conseiller scientifique dans une entreprise, ou encore la tentation d'exister médiatiquement. Je trouve, en résumé, que vous occupez une fonction extraordinairement difficile. C'est la raison pour laquelle je remercie vraiment Cédric Villani d'ouvrir ce débat. Il n'y a jamais eu autant de scientifiques en activité, dans toute l'histoire du monde, qu'aujourd'hui, ni autant de mécanismes de scepticisme dans la société. J'adore l'histoire : pourquoi les rois de France ont-ils créé les académies ? Pour se libérer de la superstition religieuse. L'université alma mater était tenue par des religieux, qui parfois se querellaient entre eux, si bien que ce n'était pas un monde totalement fermé ; elle était néanmoins dépendante. Les académies ont été conçues pour disposer d'une information indépendante. Or cette information se heurte aujourd'hui non pas tant à des obscurantismes religieux, bien que ceci puisse arriver dans certains pays, mais à une société hyperémotive, inquiète et très sur la défensive à l'égard de tout. Ressentez-vous ceci dans l'exercice de votre fonction ?

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