Intervention de émilien Schultz

Réunion du jeudi 28 novembre 2019 à 10h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

émilien Schultz, sociologue :

– Merci M. le vice-président et merci à toutes et à tous pour vos contributions, qui dépassent très largement le cadre de mon propos, mais vont contribuer à l'enrichir.

Je vais vous faire part de mon regard de sociologue, et en particulier de sociologue des sciences, sur l'OPECST et surtout sur ce que l'Office a été historiquement, avant la quinzième législature. Ma rencontre avec l'OPECST est finalement représentative de sa position intermédiaire entre les comités scientifiques et l'institution parlementaire, puisque c'est par le biais d'une réflexion sur le financement de la recherche que j'ai eu l'occasion de m'intéresser à son fonctionnement. J'ai été intrigué par le rôle d'intermédiaire de cette organisation et constaté que la sociologie ne s'était jusqu'alors intéressé ni à l'OPECST en particulier, ni plus généralement au conseil scientifique, avec lequel il n'est pas sans lien. Tout au plus cet Office était-il décrit dans son fonctionnement par trois caractéristiques : il était présenté comme une entité qui réalise de l'évaluation technologique, est intégrée au Parlement et dont le rôle est d'informer les parlementaires sur des sujets technologiques au sens large.

Comme l'a souligné Cédric Villani, j'ai coordonné récemment le numéro d'une revue d'histoire rassemblant les travaux de chercheurs et chercheuses qui ont travaillé ou travaillent actuellement sur l'OPECST en particulier. J'ai moi-même contribué à une observation participante sur l'un des rapports, afin de renseigner un aspect moins visible, concernant le travail très concret, au quotidien, de production d'un rapport, avec toutes les interactions que ceci suppose.

Nous nous sommes rendu compte que cette activité mettait à l'épreuve les catégories habituellement utilisées pour décrire ce genre d'organisation, tant sous un angle parlementaire qu'avec un vocable de l'évaluation technologique ou renvoyant au conseil scientifique, puisque l'OPECST est, historiquement, difficilement réductible à cette dimension.

Je vais tâcher de discuter les trois propositions simples suivantes, permettant de mettre en perspective ce qu'est l'OPECST, ce qu'il a été et la façon dont il évolue : l'Office de l'évaluation technologique, l'Office caractérisé par sa culture parlementaire et enfin l'Office au travers de sa mission d'information du Parlement.

Une tribune récente parue dans la revue Nature s'alertait de la disparition des entités d'évaluation technologique et de conseil scientifique. Dans ce cadre, l'OPECST était présenté, aux côtés de son alter ego britannique le POST (Parliamentary Office of Science and Technology), comme l'un des modèles représentatifs et historiques, bien que ces deux systèmes aient des fonctionnements très différents. Il était rattaché à la notion de technology assessment, vraiment fondatrice dans l'histoire de l'OPECST. La création de l'Office en 1983 s'est faite explicitement en référence à l'OTA (Office of Technology Assessment) des États-Unis, fondé en 1972, qui a initié ce mouvement d'évaluation technologique, lequel a ensuite essaimé dans de nombreux pays. Pourtant, il serait faux de chercher dans la transposition de ce modèle OTA au cas français l'explication du fonctionnement de l'OPECST ou simplement de l'existence de procédures génériques.

Ce terme de technology assessment, utilisé pour la première fois en 1964 et présenté dans l'un des premiers ouvrages français sur le sujet comme « un processus qui prétend évaluer par avance pour mieux les orienter les progrès de la technologie », est déjà très contextualisé. Les auteurs précisent en effet que cette évaluation technologique dépend d'une réalité complexe et spécifique, politique, sociale et culturelle. Le politologue Pierre Delvenne, qui s'intéresse à ces structures d'évaluation technologique, montre dans ses travaux la particularité du cas français, qui s'est progressivement stabilisé au fil de ses plus de trente ans d'existence. Il existe trois grands modèles : le modèle de la commission parlementaire, celui de l'office parlementaire et celui de l'institut indépendant. Or l'OPECST se caractérise par sa très forte intégration au sein du Parlement, de par sa méthode de travail qui implique directement des parlementaires dans la collecte de l'information et la rédaction des rapports, ceci sans beaucoup s'appuyer, tout du moins dans son modèle historique, sur une expertise scientifique intérieure. Notez toutefois que la situation a évolué de ce point de vue depuis 2017. Ce sont donc des parlementaires, a priori profanes, qui mènent une enquête et problématisent progressivement un sujet technologique, dans une perspective législative, à vocation non partisane. L'indépendance éditoriale et le consensus parlementaire sont alors posés comme des valeurs fondatrices. Les rapporteurs sont évidemment amenés à formuler des propositions proprement politiques, votées in fine par les membres de l'Office. L'export de ces propositions dans le cadre du débat parlementaire s'effectue sur la base soit du rapport, soit de l'engagement des parlementaires eux-mêmes dans leur travail quotidien de sénateurs ou députés.

Dans ce contexte, la notion d'évaluation technologique est insuffisante pour décrire l'activité de l'OPECST. Elle est d'autant plus insuffisante qu'il a d'autres rôles que celui de réaliser des rapports. Il intervient en effet directement dans l'évaluation de la loi et occupe aussi une fonction d'interface entre l'institution scientifique, les comités scientifiques et le Parlement. Ceci crée une proximité très forte avec les organismes de recherche, au point que l'Office peut jouer le rôle, à travers ses parlementaires, d'ambassadeur du Parlement dans les différents comités scientifiques ou à l'inverse de porte-parole de ces comités auprès du Parlement.

La deuxième affirmation que je souhaiterais discuter est celle de la culture parlementaire de l'OPECST. L'activité de l'Office est traversée de part en part par son organisation parlementaire, dans la mesure où ce sont des parlementaires qui font son activité quotidienne. L'importance du rapport d'information proprement parlementaire est d'ailleurs illustrative de cette situation. Pour autant, ne correspondant ni à une commission permanente, ni à une mission d'information, l'organisation et les missions de l'OPECST lui impriment une culture spécifique. Sa position bicamérale entre l'Assemblée nationale et le Sénat, son choix de restreindre la place du jeu partisan, la délimitation de ses objets d'intervention à des aspects techniques et son éloignement de la temporalité législative le conduisent dans les faits à un double écart de l'activité politique quotidienne. Le premier est une forme de spécialisation scientifique, tant par les sujets couverts que par le profil de ses membres les plus engagés, le second une neutralisation de la décision partisane, pour proposer un éclairage scientifique des questions abordées en amont du processus législatif.

Ceci trouve une traduction dans la sociologie de l'OPECST. Sur l'ensemble de la période, soit 35 ans d'existence, 79 députés et 80 sénateurs se sont succédé à l'Office, y restant en moyenne chacun six ans. Nous avons représenté sous forme de graphique la répartition de ces parlementaires dans le temps. On compte sur la période près de 80 % d'hommes. Le profil des parlementaires semble par ailleurs surtout se distinguer par une forte proportion d'ingénieurs, d'anciens universitaires ou de médecins. Ainsi, 36 % des sénateurs et 48 % des députés siégeant à l'Office ont exercé une profession en lien avec la technique ou la science, et seul un tiers n'ont au final exercé aucun métier en lien avec la production ou la transmission des savoirs. Tous les parlementaires n'ont pas la même activité au sein de l'Office. Cette disparité devient visible lorsque l'on met en relation les deux caractéristiques que sont l'ancienneté au Parlement et à l'Office, d'une part, et le nombre de rapports produits, d'autre part. Si les parlementaires siégeant à l'Office ont tendance à y passer un temps important de leur mandat, des profils très différents apparaissent et seuls 17 % des députés et 25 % des sénateurs ont passé plus de six ans à l'OPECST en produisant au moins un rapport. Ainsi, l'activité de l'Office repose sur un petit groupe de membres, dont la formation initiale dans les domaines de l'ingénierie, de la médecine ou de la recherche contribue à accréditer historiquement l'impression d'un pôle scientifique du Parlement. Tous les parlementaires, loin s'en faut, n'ont pas ce profil ; mais la tendance est et a été suffisamment importante pour installer une réputation d'expertise et mener au souci de neutraliser le débat partisan, pour favoriser, dans les faits, historiquement, une culture particulière.

Ceci me conduit à aborder la troisième affirmation : celle d'un rôle bien défini pour l'Office. La dualité entre son rôle d'évaluation et sa mission d'interface est redoublée par un changement historique de ses modes d'engagement. Sa mission initiale d'information du Parlement a bien évolué. Pour reprendre les mots d'un ancien président, « ce rôle d'éclairage a été largement dépassé et en ce sens l'Office a joué un rôle plus important que celui qui était voulu par le législateur initial, au cours de son existence ». Cette transformation de l'activité de l'Office est particulièrement visible dans la tendance longue dans l'évolution de certaines thématiques, avec en particulier une montée des sujets liés à la recherche scientifique à proprement parler, à l'organisation des politiques scientifiques, et dans l'augmentation considérable du nombre des auditions publiques, permettant de davantage médiatiser la réflexion et d'être en lien avec l'actualité scientifique et technologique du pays. Cette transformation progressive correspond à un rapprochement du temps de l'action.

Dans ce contexte, force est de constater que la quinzième législature a vu une transformation des pratiques au sein de l'OPECST et l'émergence d'une nouvelle philosophie de son action. Ceci s'est traduit notamment par l'introduction des notes scientifiques, qui correspondent à une forme d'autosaisine affirmée, et par une présence plus forte dans l'espace médiatique et les réseaux sociaux.

Je conclurai par quelques mots visant à faire le lien avec la question du conseil scientifique. L'OPECST constitue un point d'observation privilégié des transformations du rapport entre science et politique. Il a vécu la tension existant entre une dimension générique du travail législatif parlementaire et la spécialisation sur des périmètres revendiqués comme scientifiques ou technologiques. Ceci interroge à la fois la question des savoirs spécialisés, nécessaires pour outiller le débat public, et les conditions de leur usage, et le rapport à l'expertise ainsi que les procédures d'enquête et de synthèse mises en place, révélatrices de l'articulation qui peut exister entre les représentants politiques, les scientifiques et les acteurs de la société civile, lesquels ne sont pas forcément présents dans le modèle historique de l'OPECST. L'Office s'est longtemps identifié comme un acteur de l'évaluation technologique parlementaire, avec toute l'ambiguïté que cette notion peut recouvrir. Actuellement, le modèle du conseil scientifique, détenteur quasiment en propre d'une forme d'expertise, semble se poser comme une alternative, renforçant ce faisant le prolongement de l'institution et des comités scientifiques. Cette transformation témoigne du fait que l'OPECST est un acteur institutionnel important, non seulement pour comprendre la place de la science au Parlement, mais plus généralement le lien entre la production de connaissances scientifiques et son utilisation politique, sachant qu'un baromètre d'opinion publié récemment montre que les Français ont confiance dans les chercheurs, alors qu'ils éprouvent de la défiance vis-à-vis du monde politique. Ceci pose donc toute la question de la mise en relation entre ces deux pôles.

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