Intervention de François de la Guéronnière

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 15h05
Commission des affaires sociales

François de la Guéronnière, conseiller maître à la Cour des comptes :

La Cour des comptes a effectivement reçu une commande de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale il y a un an, et nous avons remis ce rapport au mois de novembre dernier, un petit peu en avance sur le délai imparti.

Nous avons conduit notre enquête au cours de l'année 2019 en visitant trois régions françaises : l'Île-de-France, les Hauts-de-France et La Réunion, où des problèmes particulièrement importants se posent. L'équipe des rapporteures s'est également rendue au Royaume-Uni pour y comparer nos pratiques aux leurs.

Le rapport se présente en quatre chapitres. Nous dressons d'abord un état des lieux de la situation épidémiologique et de son évolution. Puis nous essayons d'analyser les actions conduites par les pouvoirs publics, mais aussi par les entreprises, notamment du secteur agroalimentaire, ainsi que par les associations et les professionnels de santé. Nous étudions ainsi successivement la conception et la mise en oeuvre d'une politique nutritionnelle ; la politique de prévention, l'action et l'offre sur la demande alimentaire, la promotion de la santé ; la prise en charge et l'accès aux soins pour les pathologies associées à l'obésité.

Objet du premier chapitre de notre rapport, le bilan épidémiologique fait apparaître une stabilisation de la prévalence du surpoids en France, ce qui est plutôt rassurant. Notre pays se situe dans une position honorable par rapport aux autres pays, bien que nous soyons loin derrière le Japon ou l'Italie et d'autres pays méditerranéens. Mais cette stabilisation reste à confirmer sur la durée : les recensements sont effectués à de longs intervalles et ne sont peut-être pas assez détaillés. Le niveau du surpoids reste néanmoins très élevé : en 2016, 49 % des adultes et 17 % des enfants de 6 à 17 ans étaient en surpoids.

Cette stabilisation recouvre de fortes inégalités sociales, liées dans une large part au niveau d'éducation : 2,2 % des enfants de cadres sont obèses contre 7,7 % des enfants scolarisés en zones d'éducation prioritaire. Ces différences sont particulièrement fortes chez les femmes, les filles et les jeunes garçons.

Les autres inégalités sont d'ordre géographique. La situation est difficile dans les régions du Nord et de l'Est et dans les départements d'outre-mer, particulièrement dans les Antilles et en Guyane, où les niveaux de surpoids ou d'obésité sont très supérieurs à la moyenne nationale.

Le deuxième chapitre revient sur l'élaboration de la politique de lutte contre cette situation. La France s'y est attaquée relativement tôt, dès 2001, par la mise en place des premiers plans nationaux nutrition santé (PNNS). Quatre programmes se sont ainsi succédé, et le dernier en date prend effet à la fin de cette année. La mobilisation des pouvoirs publics autour de cet objectif est notable, car en plus du ministère de la santé, des plans ont aussi été élaborés par le ministère de l'agriculture, le ministère des sports et le ministère de l'environnement. La coordination de tous ces plans sectoriels pourrait être améliorée, car elle s'est révélée difficile au niveau local et au niveau des régions, et nous avons pu constater son manque d'efficacité dans certains cas.

Le troisième chapitre du rapport est consacré à la politique de promotion de la santé. Dans ce domaine, les instruments sont de plus en plus nombreux et nous constatons des avancées, notamment avec la mise en place du Nutri-Score. Mais les limites sont tellement fortes qu'elles paralysent tout progrès véritablement solide.

Parmi ces instruments, les campagnes nationales d'information et de communication ont acquis une réelle notoriété. Les mots d'ordre ou les slogans tels que « cinq fruits et légumes par jour » ou « manger, bouger » sont connus, mais il est difficile d'atteindre les populations les plus vulnérables.

Deuxième catégorie d'instrument de promotion de la santé : les règles pour encadrer la mise sur le marché des produits alimentaires. Des outils ont été développés, tels les chartes d'engagement volontaire de progrès nutritionnel souscrites par les entreprises ou les accords collectifs dans des sous-secteurs de l'agroalimentaire, par exemple ceux des boissons sucrées ou de la charcuterie. D'après nos mesures, leur impact sur la qualité des aliments industriels est limité. La loi « Lurel » prévoit des dispositions propres aux départements d'outre-mer, mais nous avons constaté, lors du déplacement des rapporteures à La Réunion, qu'elle n'y est presque pas appliquée.

Il n'existe pratiquement aucun encadrement des stratégies de merchandising de la grande distribution. Par exemple, en dehors des établissements scolaires, les distributeurs automatiques de boissons ne sont soumis à aucune régulation. De même, il n'existe pas de règles encadrant la promotion des produits les plus malsains.

Nous avons tenté de dresser le bilan de la taxe sur les boissons sucrées, introduite il y a quelques années. Elle a certes eu un impact sur la consommation, mais s'il fallait la généraliser, elle ne serait pas facilement acceptée, et les exemples étrangers, notamment le Danemark, nous montrent que c'est assez difficile. Peut-être que l'utilisation de l'échelle Nutri-Score pourrait fournir une base objective.

Le troisième instrument de prévention de la santé que nous avons étudié est la régulation de la publicité, notamment à la télévision. De nombreuses études, y compris au niveau international, permettent de documenter les effets de la publicité, notamment sur les enfants. Le Royaume-Uni ou l'Australie ont décidé de mesures d'interdiction de la publicité lors des programmes destinés aux enfants, mais la France s'en est tenue jusqu'en 2017 à des mesures essentiellement volontaires : chartes d'engagement volontaire entre les chaînes de télévision et le CSA, et autorégulation de la profession conformément aux standards de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité. Ces mesures volontaires ont atteint un point de blocage : le processus de renouvellement de la charte, notamment, est à l'arrêt ; la loi dite « Gattolin » a interdit, en 2017, la publicité pendant les programmes destinés aux enfants, mais sur les seules chaînes publiques – son champ d'application est donc partiel.

Le Nutri-Score est le quatrième instrument de prévention. Cette initiative positive a pris plusieurs années pour se développer : le règlement de l'Union européenne permettant la création d'un étiquetage standardisé date de 2011, c'est la loi « santé » de 2016 qui a recommandé le Nutri-Score pour améliorer l'information nutritionnelle, et il a été adopté en octobre 2017. Aujourd'hui, une centaine de marques et de distributeurs y ont recours, et sa notoriété dans le public est déjà bien étendue. Peut-on aller plus loin, notamment en rendant cet étiquetage obligatoire ? Des pays sont allés dans ce sens, mais en l'absence de règles communautaires claires, notamment en cas de franchissement de frontières, des obstacles existent encore certainement.

Le quatrième et dernier chapitre de notre rapport s'attache à la prise en charge des patients souffrant d'obésité. Le bilan est à nouveau contrasté. Pour les enfants, la prise en charge s'est améliorée, notamment grâce à la mise en place de réseaux pédiatriques de prévention et de soins, et de centres spécialisés de l'obésité pour les cas les plus sévères. Néanmoins, le repérage et le diagnostic précoces sont insuffisamment assurés, notamment au niveau de la santé scolaire. Quant aux prises en charge pluridisciplinaires, qui associent par exemple un médecin généraliste, un psychologue et un diététicien, des expérimentations ont été engagées dans le cadre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018, mais la construction du système fait que les résultats tardent à venir. Aucune mesure définitive n'a donc été prise, ni même envisagée. S'agissant de la prise en charge des adultes, les rapporteures ont été frappées par le recours excessif à la chirurgie bariatrique au regard des normes qui régissent ces interventions. De plus, l'absence de prise en charge d'interventions sanitaires pourtant indispensables, comme celles des diététiciens, des psychologues ou de spécialistes de l'activité physique, peut représenter un obstacle à l'accès aux soins.

Nos recommandations reprennent la structure du rapport. S'agissant du bilan épidémiologique, il faudrait mener des enquêtes plus fréquentes et plus régionalisées, et notamment spécifiques à l'outre-mer. En matière de coordination des politiques, la coordination interministérielle au niveau régional devrait être renforcée, sous l'autorité conjointe des préfets de région et des directeurs généraux des agences régionales de santé. Pour la promotion de la santé alimentaire, nous recommandons la fixation de taux maximaux de sel, de sucre et de gras dans la composition nutritionnelle des aliments. Le champ d'application de la loi « Gattolin » devrait être étendu, par référence au Nutri-Score, à tous les programmes de toutes les chaînes audiovisuelles. Enfin, s'agissant de la prise en charge et de l'accès aux soins, le champ de l'exercice infirmier en pratique avancée devrait être étendu à la prise en charge de l'obésité afin d'améliorer l'efficacité de l'intervention des professionnels de santé. Il faudrait également organiser, sans attendre la fin des expérimentations, la prise en charge au parcours des enfants atteints de surpoids et de ceux atteints d'obésité sévère. Enfin, pour les adultes atteints d'obésité sévère, une expérimentation nationale de prise en charge au parcours incluant des consultations de diététicien et de psychologue devrait être lancée.

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