Intervention de Nathalie Elimas

Réunion du mercredi 18 décembre 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNathalie Elimas, rapporteure :

Mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui vise à améliorer l'accès à la compensation des conséquences du handicap. Ce texte devrait vous en rappeler un autre, puisque l'Assemblée nationale a adopté, le 17 mai 2018, une proposition de loi sur ce sujet dans le cadre d'une niche du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés. Cette proposition, qui avait été rapportée par notre collègue Philippe Berta, dont je tiens à saluer le travail, n'a toutefois pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat. La proposition de loi que nous examinons ce matin a été déposée par Alain Milon, membre du groupe Les Républicains du Sénat et président de la commission des affaires sociales de la haute assemblée, ainsi que par plusieurs de ses collègues. Elle est inspirée par la même philosophie que le texte que nous avions adopté l'an dernier, et l'enrichit sur plusieurs points.

Avant d'aborder les quatre articles de la proposition de loi, permettez-moi de revenir brièvement sur les origines de la prestation de compensation du handicap (PCH), qui occupe, dans le paysage des aides sociales en faveur des personnes en situation de handicap, une place singulière. La PCH est le fruit de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a modifié en profondeur la politique en faveur des personnes handicapées. La principale avancée de cette loi réside dans la reconnaissance d'un droit à la compensation des conséquences du handicap par la solidarité nationale, qui se matérialise aujourd'hui par la PCH. Pour mémoire, cette dernière est une prestation individualisée, attribuée quasiment sans condition de ressources, qui assure la prise en charge des surcoûts de toute nature liés au handicap.

Néanmoins, près de quinze ans après la promulgation de la loi de 2005, il semblerait que les objectifs initiaux du texte n'aient pas été complètement atteints. Les personnes en situation de handicap continuent d'affronter trois types de difficultés : premièrement, certaines personnes handicapées âgées demeurent exclues du bénéfice de la PCH, en raison du maintien des barrières d'âge à 60 et 75 ans ; deuxièmement, on déplore la permanence de restes à charge élevés, notamment en matière de transport ou d'équipements ; troisièmement, la prestation de compensation est inadaptée aux besoins des enfants. Les défis à relever sont encore nombreux et les attentes des personnes handicapées, de leurs proches et des associations qui les représentent sont fortes.

La présente proposition de loi vise à corriger certaines insuffisances de la loi de 2005 au travers de quatre articles.

L'article 1er a pour objet de supprimer la barrière d'âge de 75 ans, au-delà de laquelle il n'est aujourd'hui plus possible de solliciter la PCH, alors même que la personne était en situation de handicap avant l'âge de 60 ans. Elle reprend à l'identique l'article 1er de la proposition de loi que nous avions adoptée l'an dernier.

L'article 2 vise à clarifier les dispositions législatives relatives aux fonds départementaux de compensation du handicap, qui permettent de limiter le reste à charge des bénéficiaires de la PCH.

L'article 3 tend à préciser plusieurs aspects de la législation quant aux modalités de contrôle et d'attribution de la PCH.

Enfin, l'article 4 prévoit la création d'un comité stratégique qui serait chargé de proposer des évolutions du droit, afin de mieux prendre en compte les besoins de compensation des enfants en situation de handicap ainsi que la problématique du transport des personnes handicapées.

Cette proposition de loi s'inscrit plus globalement dans le cadre de la politique de la majorité, qui a fait du handicap une de ses priorités, comme l'illustre, entre autres exemples, la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapées (AAH), dont le montant mensuel a été augmenté de près de 100 euros depuis le début de la législature pour atteindre, à compter du 1er novembre dernier, 900 euros. La majorité est également pleinement engagée dans le soutien aux proches aidants, qui sont confrontés quotidiennement aux difficultés engendrées par le handicap ou, d'une manière plus générale, par la dépendance. Sans revenir sur l'ensemble des mesures annoncées par le Gouvernement dans le cadre du plan de mobilisation en faveur des aidants, je rappellerai simplement deux dispositions contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 : l'indemnisation du congé de proche aidant, à hauteur de 52 euros par jour – 43 euros pour une personne en couple – durant trois mois ; la défiscalisation et l'exonération de prélèvements sociaux des sommes versées, à titre de dédommagement, aux aidants familiaux dans le cadre de la PCH.

La proposition de loi soumise à votre examen a pour objet d'apporter une réponse à plusieurs problématiques. Tout d'abord, son article 1er vise à supprimer la limite d'âge, actuellement fixée à 75 ans, au-delà de laquelle il n'est plus possible de demander la PCH. Aujourd'hui, la limite d'âge pour solliciter la PCH est établie à 60 ans. Toutefois, les personnes qui remplissaient les critères d'attribution de cette prestation avant 60 ans peuvent aussi en demander le bénéfice, sous réserve de la solliciter avant l'âge de 75 ans. Cette limite d'âge de 75 ans est injuste. En effet, elle pénalise ceux qui n'ont pas jugé utile d'en solliciter le bénéfice avant cet âge mais qui, passé 75 ans, se trouvent en difficulté en raison d'un changement survenu dans leur environnement, comme la disparition d'un proche aidant. La personne handicapée, après 75 ans, est dans l'impossibilité de demander à bénéficier de cette aide, alors même que son handicap s'est déclaré avant l'âge de 60 ans. Elle a alors seulement la possibilité de solliciter le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), qui, d'une manière générale, ouvre droit à une prise en charge moins complète des besoins de la compensation que la PCH.

La suppression de la barrière d'âge de 75 ans pour solliciter le bénéfice de la PCH répondrait donc à un souci d'équité. Elle permettrait de prendre en considération tant les changements intervenus dans l'environnement des personnes en situation de handicap après 75 ans que l'allongement de leur espérance de vie. Si elle était adoptée, cette mesure améliorerait le droit à la compensation d'environ 8 000 personnes handicapées vieillissantes, pour un coût net évalué à près de 33 millions d'euros par an par la direction générale de la cohésion sociale, déduction faite des économies réalisées sur l'APA – la PCH et l'APA ne pouvant être cumulées.

Évidemment, si nous supprimions la barrière d'âge de 75 ans, nous devrions aussi nous interroger sur la pertinence du seuil de 60 ans. L'article 13 de la loi de 2005 prévoyait d'ailleurs la suppression des deux limites d'âge à un horizon de cinq ans, avant que le Conseil d'État ne juge en 2012 que cette disposition était dépourvue de toute portée normative. À titre personnel, je pense que le débat sur la suppression de la barrière de 60 ans mériterait d'être ouvert, tant en raison de l'augmentation de l'espérance de vie que du recul de l'âge minimum de départ à la retraite de 60 à 62 ans, même s'il serait sans doute prématuré de trancher cette question aujourd'hui, notamment en l'absence d'une évaluation financière précise.

L'article 2 de la proposition de loi, qui a trait aux restes à charge des personnes en situation de handicap, vise à sortir d'une impasse juridique liée aux imprécisions de la loi de 2005 concernant le fonctionnement des fonds départementaux de compensation du handicap. Ceux-ci sont chargés d'attribuer des aides financières extralégales destinées à permettre aux personnes en situation de handicap de faire face aux frais de compensation restant éventuellement à leur charge après attribution de la PCH. Or l'article L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, relatif aux fonds de compensation du handicap, est inspiré par deux logiques contradictoires. D'une part, l'abondement des fonds repose sur les financements facultatifs de plusieurs acteurs : l'État, l'assurance maladie, les caisses d'allocations familiales, les départements et les conseils régionaux – en pratique, seul le conseil régional d'Île-de-France. D'autre part, la loi impose que les frais de compensation restant à la charge du bénéficiaire de la PCH n'excèdent pas 10 % de ses ressources personnelles nettes d'impôts « dans des conditions définies par décret ». Il existe donc une obligation juridique, qui doit être mise en oeuvre grâce à des fonds financés de manière facultative. La contradiction intrinsèque à cet article n'a pas permis la publication du décret d'application, et donc l'entrée en vigueur effective de cette disposition relative au reste à charge. En l'absence de décret, l'institution des fonds de compensation s'est effectuée de manière assez disparate : chaque conseil départemental a pu décider des publics éligibles à l'aide du fonds, des montants et des types d'aides attribués.

Cette situation se traduit par de fortes inégalités entre les départements, qui ne sont évidemment pas acceptables. Ainsi, selon la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), sur un échantillon de soixante et onze fonds, seuls vingt-deux ont permis de réduire le reste à charge à moins de 10 % du coût des projets, tous domaines confondus. Pour quatorze fonds, le reste à charge demeure supérieur à 20 % du coût des projets. Par ailleurs, si la très grande majorité des fonds prennent en charge les aides techniques relevant de la PCH, lesquelles représentent 52 % des dépenses totales, seuls 20 % des fonds couvrent les dépenses relevant de l'aide humaine.

Le Conseil d'État a condamné l'État en février 2016 pour ne pas avoir respecté un délai raisonnable entre la publication de la loi et celle du décret d'application. Il est donc nécessaire de sortir de cette impasse juridique. À cette fin, l'article 2 de la proposition de loi vise à clarifier le cadre législatif, qui permettra au Gouvernement de prendre un décret d'application et d'harmoniser en partie les modalités d'intervention des fonds départementaux.

L'article 3 de la proposition de loi tend à préciser les modalités de contrôle et d'attribution de la PCH. S'agissant du premier volet, le texte consacre au niveau législatif le rôle du président du conseil départemental dans le contrôle de l'utilisation des aides versées au titre de la PCH. Surtout, cet article précise que ce contrôle ne pourra désormais porter que sur une période de six mois au minimum. Cette disposition répond à une revendication des associations représentant les personnes en situation de handicap, qui estiment que les contrôles pratiqués dans certains départements sur les aides humaines sont parfois trop rigides et ne prennent pas suffisamment en considération l'évolution des besoins des bénéficiaires de la PCH au cours d'une année. Par ailleurs, une disposition adoptée par voie d'amendement en commission, au Sénat, prévoit que toute réclamation dirigée contre une décision de récupération d'un indu revêt un caractère suspensif.

S'agissant du second volet de l'article, qui concerne les modalités d'attribution de la PCH, il est proposé d'alléger les démarches administratives des bénéficiaires de la PCH à deux niveaux. D'une part, les durées de versement des aides de la PCH seraient harmonisées. Aujourd'hui, il existe des plafonds pour chaque type d'aide de la PCH selon des périodes de référence distinctes – 3 960 euros d'aides techniques tous les trois ans, 5 000 euros d'aides pour l'aménagement du véhicule et la compensation de surcoûts liés aux transports tous les cinq ans, 10 000 euros pour l'aménagement de son logement tous les dix ans. Cette situation conduit à multiplier les dépôts de dossiers. Il est donc envisagé de fixer par voie réglementaire la durée d'attribution des aides au titre de la PCH à dix ans, soit la durée maximale existant actuellement, afin de ne pénaliser aucun bénéficiaire, et de calculer au prorata les nouveaux plafonds pour chaque type d'aide.

D'autre part, l'article 3 consacre un « droit à vie » à la PCH pour les personnes dont le handicap n'est pas susceptible d'évoluer favorablement. Cette disposition s'inscrit dans la continuité des mesures de simplification en faveur des personnes handicapées qui ont été prises en fin d'année dernière. En effet, depuis le 1er janvier 2019, l'allocation aux adultes handicapées, la carte mobilité inclusion mention « invalidité » et l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) peuvent être attribuées à vie aux bénéficiaires présentant « un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % et dont les limitations d'activité ne sont pas susceptibles d'évolution favorable, compte tenu des données de la science ». Je précise que les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) continueront à accompagner les bénéficiaires ayant « un droit à vie » à la PCH, en particulier lorsque leurs besoins évolueront.

J'en viens au quatrième et dernier article, dont l'objet dépasse le cadre de la PCH, puisqu'il vise à créer un comité stratégique chargé d'élaborer et de proposer des adaptations du droit à la compensation du handicap afin de répondre aux besoins spécifiques des enfants, mais aussi des évolutions des modes de transport des personnes en situation de handicap dans le cadre d'une gestion intégrée. Il vise ainsi à répondre à deux problématiques qui ont été relevées dans le cadre des travaux de la cinquième conférence nationale du handicap (CNH). L'un des cinq chantiers qui ont été engagés par la CNH porte sur l'amélioration de la prise en charge des besoins des enfants handicapés.

Lors de l'examen de la proposition de loi sur la prise en charge des cancers pédiatriques dont j'avais été la rapporteure, les travaux parlementaires avaient mis en lumière l'inadaptation de notre protection sociale aux situations particulières rencontrées par les parents d'enfants gravement malades. La ministre des solidarités et de la santé s'était alors engagée à ce que l'articulation de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP), en particulier, soit étudiée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Dans son rapport remis en juin dernier, l'IGAS recommande de mettre en place « une nouvelle cartographie des prestations proposées aux familles, permettant d'accompagner les parcours des enfants en situation de handicap de la naissance à l'âge adulte », qui conduirait à faire évoluer l'AEEH et l'AJPP.

Par ailleurs, les déplacements des personnes en situation de handicap, qui sont évidemment essentiels pour permettre leur intégration dans la société, sont aujourd'hui entravés par des restes à charge élevés et des dispositifs de prise en charge peu lisibles.

L'IGAS, dans le rapport que j'ai cité, ainsi que le rapporteur du Sénat, Philippe Mouiller, proposent d'étudier la possibilité de créer des plateformes départementales chargées de la gestion financière et logistique des transports des personnes handicapées. Celles-ci auraient un interlocuteur unique, ce qui simplifierait leurs démarches. Le comité stratégique prévu à l'article 4 serait conduit à évaluer les propositions de l'IGAS sur ces deux sujets – les besoins spécifiques des enfants handicapés et la gestion des transports des personnes handicapés – en vue de proposer des adaptations de notre droit.

En conclusion, si cette proposition de loi ne saurait régler à elle seule toutes les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes en situation de handicap, elle apporte néanmoins sa pierre à l'édifice en améliorant l'accès à la compensation.

Je crois qu'il est de notre devoir de simplifier autant que possible les démarches de nos concitoyens confrontés au handicap pour qu'un jour disparaisse peut-être ce que Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA, appelle le « double effet de sidération » : « sidération devant la découverte du handicap, sidération devant la découverte de la complexité administrative du système ».

Je vous invite par conséquent à adopter le texte que je viens de vous présenter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.