Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h35
Commission des affaires européennes

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes :

Merci pour cette invitation. C'est un moment un peu émouvant. Non seulement je quitterai la Commission dimanche, et j'espère que la nouvelle Commission sera approuvée dans de très bonnes conditions, ce matin, par le Parlement européen, mais c'est aussi la fin de ma vie politique entamée il y a trente et un an. Prononcer ici ma dernière intervention devant vous, mesdames et messieurs les députés, alors que, élu pour la première fois dans cette assemblée il y a vingt-deux ans, j'ai été votre collègue, est très particulier pour moi. Je remercie le Parlement européen d'avoir donné un mois supplémentaire à la Commission – n'y voyez aucune préférence sur le fond –, ce qui me permet de venir parler devant vous du semestre européen, alors que je n'aurais pas pu le faire autrement.

Être ici devant vous illustre aussi ma volonté, ces cinq dernières années, d'entretenir un dialogue étroit avec les représentations nationales des États membres, notamment avec celle de mon pays, la France. Je considère qu'il est indispensable pour un commissaire d'agir ainsi. La Commission européenne, ce n'est pas une bulle à Bruxelles, ce doit être une institution ouverte aux autres et soucieuse du dialogue avec les États-nations. Je n'ai jamais pensé qu'on pouvait construire l'Europe sans ces nations et qu'on pouvait imposer quoi que ce soit d'en haut sans le contrôle de la représentation démocratique.

Ce dernier échange est aussi pour moi l'occasion d'apprécier les efforts réalisés par la Commission Junker pour redresser et stimuler l'économie européenne. Afin de l'illustrer, je vous présenterai les dernières prévisions économiques de la Commission, que j'ai présentées le 7 novembre, ainsi que les principales conclusions de notre paquet budgétaire d'automne, présentées le 20 novembre, et j'identifierai les défis qui attendent selon moi mon successeur et la prochaine Commission, dont vous aurez forcément non seulement à connaître, mais à traiter.

Tout d'abord, nos prévisions économiques d'automne prouvent que l'économie européenne se porte beaucoup mieux qu'en 2014. Quand on jette un regard sur un tel mandat, on doit toujours se demander dans quelle situation on a trouvé l'Europe et dans quel état on la laisse. Plusieurs points méritent d'être soulignés. Je commencerai par les nouvelles les plus positives, sans pour autant me voiler la face devant les risques.

L'Union européenne connaît en 2019 sa septième année de croissance consécutive. Pour ceux qui sont attachés à la théorie des cycles, c'est tout de même un cycle très long. Ce n'est pas la croissance que nous avons connue dans les années 1950 ou 1960, mais 2017 et 2018 ont tout de même été deux années de croissance exceptionnelle. Cette croissance devrait rester modérée mais positive dans tous les États membres, en 2019, 2020 et 2021. Dans la zone euro, elle devrait atteindre 1,1 % cette année, 1,2 % en 2020 et en 2021. Dans l'Union européenne tout entière, la croissance s'élèverait à 1,4 % pour chacune des années de la prévision. Ce n'est pas exactement de la continuité, car ces prévisions comportent un élément qui n'est pas des plus rassurants. Alors que nous prévoyions pour 2019 une croissance assez plate et anticipions un rebond en 2020, celui-ci ne devrait pas se produire. Nous entrons peut-être dans un régime de croissance longue et faible, ce qui aurait des conséquences sur la capacité de l'Union européenne à réduire le chômage. Nos prévisions aboutissent maintenant à une forme de palier à quelque 7,5 % ou 7,6 % du taux de chômage, sur lequel je reviendrai.

Ce ralentissement de la croissance européenne est principalement le résultat des tensions commerciales. C'est un phénomène mondial qui freine les économies les plus ouvertes, en particulier l'économie allemande et l'économie italienne, qui sont les deux plus ouvertes, les deux plus puissantes sur le plan industriel.

La deuxième bonne nouvelle, c'est que le taux de chômage atteint son niveau le plus bas depuis les années 2000. Il s'établit à 7,6 % dans la zone euro, contre tout de même 11,5 % en 2014. Je ne prétends pas que seuls de bons emplois ont été créés. On ne peut pas non plus se satisfaire de tels taux de chômage, nous sommes très loin du plein-emploi, mais une très nette amélioration du marché du travail s'est produite au cours de cette dernière mandature, qui devrait se poursuivre en 2019, 2020 et 2021, même si la diminution du chômage devrait décélérer. On continuera à créer des emplois, mais pas en nombre suffisant pour réduire fortement le chômage.

La troisième bonne nouvelle, c'est que la situation budgétaire des États membres s'améliore nettement. J'y reviendrai plus longuement, mais je veux d'ores et déjà souligner que le déficit public moyen dans la zone euro restera sous la barre de 1 % du PIB. Actuellement à 0,8 %, il devrait se situer à 0,9 % ou 1 % les deux années suivantes, alors qu'il avait atteint au plus fort de la crise 6,6 % – Éric Woerth s'en souvient, dans d'autres fonctions. L'effort d'assainissement des finances publiques et de réduction de la dette réalisé presque partout mérite d'être signalé.

Je ne veux pas me cacher devant les nombreux risques qui continuent de peser sur la croissance européenne. Il y a des risques mondiaux, qui sont les tensions commerciales, la situation entre la Chine et les États-Unis et des risques géopolitiques que nous pouvons identifier, notamment dans les zones pétrolières de la Méditerranée et du Moyen-Orient. Il y a aussi des facteurs de risque externes. Je pense notamment à un ralentissement plus marqué que prévu de l'économie chinoise : même si son taux de croissance restera supérieur à 5 %, beaucoup de choses se produisent dans ce pays qui peuvent avoir un impact sur notre propre croissance.

Mais ne faisons pas comme si les risques étaient uniquement extérieurs. Pour répondre à l'une de vos questions, madame la Présidente, il y a aussi des risques intérieurs. Le premier d'entre eux, celui d'un Brexit désordonné, n'est pas encore totalement exclu. Il ne devrait pas se produire dans les mois qui viennent, quel que soit le résultat des élections britanniques, mais l'issue des négociations reste à surveiller de très près. Vous aurez l'occasion d'en reparler. Un no deal n'est pas un souvenir et reste une menace qu'il convient de conjurer. Nous ne l'avons jamais souhaité et ce serait tout à fait préjudiciable à l'économie britannique et à l'économie européenne.

Le dernier risque que je veux mentionner est la contraction de l'économie européenne, d'abord dans le secteur manufacturier et dans l'industrie. Pour l'instant, les services et la consommation sont préservés, mais on ne peut pas tout à fait exclure une contamination ou une contagion du secteur des services. En ce cas, le ralentissement de l'économie serait plus marqué que celui exprimé par les chiffres que je viens d'indiquer.

Dans ce contexte de ralentissement, l'économie française apparaît particulièrement résiliente, ce dont je me réjouis évidemment. Elle est un peu moins exposée que celle de ses partenaires à l'environnement international. Dès lors, la croissance a maintenu le cap au troisième trimestre, notamment soutenue par l'investissement toujours assez dynamique des entreprises, ce qui est une bonne nouvelle.

Selon nos prévisions d'automne, la croissance s'établirait ainsi à 1,3 % en 2019, 1,2 % en 2020 et 1,3 % en 2021. L'activité française serait principalement portée par la demande intérieure. Plus précisément, la consommation privée augmenterait légèrement, compensant ainsi le ralentissement progressif de l'investissement. À cela s'ajoute le soutien à la croissance que représentent les mesures budgétaires prises à la suite de la crise des gilets jaunes. Elles peuvent avoir un impact sur les finances publiques, elles ont aussi un impact sur la croissance.

J'en viens à la situation des finances publiques des États membres de la zone euro. C'est le paquet d'automne que vous évoquiez, Monsieur le Président, et que j'ai présenté la semaine dernière, pour la sixième fois – il aurait dû y en avoir cinq – et la dernière depuis 2014.

De ces cinq années de dialogue budgétaire avec les États membres, je retiens, et j'en suis fier, que le choix politique fait par la Commission Junker a payé. Ce choix est un triptyque. Nous avons souhaité, d'abord, respecter les critères de finances publiques. Cette Commission a eu à coeur que le pacte de stabilité et de croissance soit respecté, ce qui se traduit par la très nette baisse des déficits. Ensuite, nous avons introduit dans le pacte de stabilité et de croissance un élément qui ne figurait pas dans la doctrine de la précédente Commission, à savoir une dose de flexibilité dans l'interprétation des règles qui nous a permis d'éviter qu'un pays quelconque soit sanctionné pendant ces cinq années. J'ai toujours pensé qu'une sanction budgétaire, je ne sais quelle amende ou je ne sais quelle stigmatisation, serait une faillite, un défaut, un problème à la fois pour le pays sanctionné et pour les règles elles-mêmes, qui n'auraient pas convaincu. Je suis très heureux que toutes les situations, parfois délicates, que nous avons rencontrées, concernant l'Espagne, le Portugal, l'Italie à deux reprises, aient été traitées de manière à la fois économique et politique. Cela nous a permis de garder le chemin de la croissance en même temps que de respecter le sérieux budgétaire. Le troisième élément du triptyque est une politique d'investissement dynamique. Vous le savez, dans vos régions, la contribution du plan Junker de 500 milliards d'euros à la croissance a été un très bon encouragement à l'investissement et a contribué au climat plus favorable que j'évoquais.

Dans nos premières prévisions, en 2015, seuls cinq pays avaient présenté des projets de budget conformes. Ils sont aujourd'hui neuf pays dans cette situation. Pour la première fois depuis 2002, pas seulement depuis la crise mais depuis la création de l'euro, plus aucun État membre n'est en situation de déficit excessif. L'Espagne est le dernier pays à en être sorti. Comme je le disais, le déficit de la zone euro devrait rester sous la barre de 1 % en 2020. La dette publique reste trop élevée, mais elle a baissé de dix points depuis 2014 pour s'établir à 85 % du PIB en moyenne en 2020.

Cette évolution témoigne de l'ampleur des efforts engagés par les États membres pour assainir leurs finances publiques dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance ; elle démontre aussi – c'est un message que je veux laisser pour la prochaine Commission et pour vous aussi, mesdames et Messieurs les députés – qu'il est tout à fait possible de réduire un déficit public tout en soutenant la croissance par une lecture flexible et intelligente des règles, afin qu'il n'y ait surtout pas de retour en arrière. Cela a marqué un virage majeur, que je considère comme positif, dans la politique économique de la zone euro.

Quelles sont les principales conclusions de notre analyse ? Il convient de retenir, en effet, que huit États membres présentent toujours un risque de déviation significative. C'est le cas de l'Espagne, du Portugal, de la Belgique, pour lesquels nous nous sommes prononcés « à politiques inchangées », en raison de la situation politique de ces pays. Le Portugal en est maintenant sorti mais il ne l'était pas à l'époque où nous avons arrêté nos compteurs. En Espagne, il n'y a pas encore de gouvernement sorti des urnes et, en Belgique, le gouvernement gère les affaires courantes. C'est aussi le cas en Slovénie, en Slovaquie, en Finlande. C'est enfin le cas de la France et de l'Italie, sur lesquels j'aimerais me concentrer, parce que ce sont deux très grandes économies de la zone euro.

Selon nos prévisions, le déficit public français atteindrait 3,1 % du PIB en 2019, puis 2,2 % en 2020 et 2021. Sur la base de ces prévisions, conformes à ce que nous attendions et marquant que la France passerait nettement sous les 3 %, résultat de la comptabilisation de la mesure dite de one off sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la Commission prévoit un effort structurel nul en 2019 et très légèrement positif, de 0,1 point de PIB, en 2020. Dans ces conditions – c'est la lettre du pacte –, la Commission a conclu que le projet de budget français pour 2020 est en risque de non-conformité avec le pacte de stabilité et de croissance par rapport à l'objectif de réduction annuelle de déficit structurel requis par nos règles, fixé à 0,6 %. L'absence d'effort structurel se traduit d'ailleurs par une absence d'amélioration de la trajectoire de la dette publique française dans nos prévisions.

À titre personnel, j'accorde beaucoup moins d'importance au déficit structurel qu'à la réduction de la dette. Si on doit un jour réfléchir à nos règles, il faudra peut-être déplacer le curseur. En tout cas, le problème majeur sur le plan économique et financier c'est le niveau de la dette. J'ai toujours pensé que la dette était l'ennemie de l'économie, car tout euro consacré au remboursement de la dette est un euro perdu pour l'économie et pour la société. C'est la plus stupide et la plus inefficace des dépenses publiques. Contrôler sa dette, c'est aussi se redonner les moyens de produire des biens communs et des biens publics dont nos sociétés ont besoin. Je me permets donc d'insister sur l'importance de réaliser des efforts structurels crédibles et soutenus pour inscrire la dette sur une trajectoire descendante. Il vous reviendra, avec le Gouvernement, de le définir.

La situation de l'Italie est bien différente de celle que je vous présentais l'an passé. Pour mémoire, la Commission avait dû confirmer l'existence d'une non-conformité particulièrement sérieuse aux règles du pacte de stabilité et de croissance, autrement dit rejeter le budget italien, pour la seule fois en cinq ans. La situation est différente, d'abord, parce que la déviation par rapport à l'effort structurel demandé est largement inférieure à celle que nous estimions à la même époque l'année dernière. Elle l'est, ensuite, parce que les plans de réforme du gouvernement italien tiennent globalement compte des recommandations du Conseil. Je ne veux pas porter de jugement politique, car j'ai bien travaillé avec tous les gouvernements italiens, même avec le gouvernement où figurait M. Salvini qui, finalement, dans un dialogue avec la Commission européenne, a corrigé les excès de son avant-projet de budget. Cette fois, le gouvernement est pro-européen : cela se voit à la qualité du travail avec ses partenaires et avec la Commission. Nous avons eu un dialogue très constructif.

Toutefois, la Commission a jugé que le projet de budget pour 2020 présentait aussi un risque de non-conformité avec les obligations du pacte. La principale faiblesse de l'économie italienne, c'est le niveau de sa dette publique. Très supérieure à la dette publique française, elle s'élève à 134,8 % du PIB et risque de monter jusqu'à 137 %. C'est naturellement un obstacle très important à la croissance économique qui stagne en Italie entre 0 % et 0,5 % selon les années. La Commission continuera donc d'accompagner l'Italie pour s'assurer qu'elle réalise les réformes structurelles nécessaires, non seulement pour réduire durablement sa dette publique, mais surtout pour améliorer sa productivité. On ne peut pas tolérer qu'un grand pays comme l'Italie ait durablement une croissance en moyenne d'un point inférieur à celle de la zone euro. Ce n'est bon ni pour l'Italie ni pour la zone euro, et cela creuse les inégalités dans ce pays. C'est le message que j'ai adressé aux autorités italiennes, la semaine dernière lors de mon dernier déplacement, qui était aussi un peu symbolique, à Rome, où j'ai rencontré le Président de la République, le Premier ministre et le ministre des finances.

Le paquet d'automne comprenait également l'adoption du quatrième rapport de surveillance renforcée de la Grèce. Nous avons deux très bonnes nouvelles pour la Grèce. La première, c'est que la Grèce fait partie des pays conformes aux règles. Voilà un pays qui a connu une crise absolument incroyable, qui a été placé sous assistance financière pendant près de dix ans et qui termine cette période avec un surplus primaire budgétaire de plus de 3,5 % par an, ce dont je me réjouis. J'ajoute que le rapport de surveillance renforcée de la Grèce est positif, ce qui ouvre la voie à un nouveau déboursement d'un montant de 2,5 milliards d'euros qui doit être décidé au prochain Eurogroupe, d'ici quelques jours. C'est un très bon signal du redressement progressif de l'économie grecque.

Plus généralement, je suis très fier du parcours de la Grèce. Depuis les moments les plus difficiles de la crise économique, que vous avez aussi connus, Monsieur le Président, elle a conclu avec succès son troisième programme d'assistance financière. Elle a retrouvé sa juste place au sein de la zone euro. Elle poursuit désormais avec sérieux ses efforts pour moderniser son économie. Ce n'est pas fini, beaucoup reste encore à faire pour renouer définitivement avec la croissance, mais je suis aujourd'hui confiant en l'avenir de la Grèce. Sur le plan politique, c'est une des grandes victoires de la Commission et de la France. À toutes les étapes, dans un environnement parfois hostile, la Grèce a pu compter sur le soutien de la France et de la Commission. J'ajoute qu'elle a pu compter sur le soutien de la Banque centrale européenne (BCE) et que les phrases prononcées par Mario Draghi et ses actes, à l'été 2012, ont également joué un très grand rôle.

Le ralentissement de la conjoncture doit pousser la prochaine Commission à accentuer ses efforts pour renforcer l'économie européenne et soutenir la croissance. Je veux laisser trois messages ou identifier trois chantiers prioritaires.

Le premier, c'est qu'on ne peut pas, aujourd'hui, se contenter de la flexibilité. Il faut aller plus loin, et il est temps de réformer nos règles budgétaires pour les rendre plus lisibles, plus simples, moins procycliques, afin de garantir qu'elles soutiennent la croissance tout en favorisant la réduction de la dette. Je plaide pour une réforme systémique qui impliquerait la création d'un véritable budget de la zone euro et celle d'un actif sans risque européen, la révision des règles, tout cela encadré par plus de démocratie, c'est-à-dire une formation en zone euro du Parlement européen et un ministre européen des finances qui serait responsable devant lui. Le temps de faire ce saut est venu. Cela ne signifie pas l'abandon du pacte de stabilité et de croissance, cela signifie l'amender puissamment. Je souhaite que cela figure à l'ordre du jour de la prochaine Commission et des prochains Eurogroupes.

Le deuxième chantier est l'achèvement de l'union économique et monétaire (UEM) pour se préparer sereinement à un retournement de la conjoncture. Nous avons fait quelques progrès, à mes yeux trop limités, au cours de cette mandature. Nous avons progressé concernant l'union bancaire, nous avons renforcé le rôle du mécanisme européen de stabilité, mais, je le répète, nous n'avons toujours pas de vrai budget de la zone euro ni de ministre des finances de la zone euro. On ne peut se contenter de la situation dans laquelle nous sommes. Il faudra aller jusqu'au bout de l'union bancaire. Je pense à la garantie des dépôts. J'ai noté avec satisfaction que le ministre allemand des finances avait ouvert une porte, qu'on pouvait enfin parler avec l'Allemagne de ce qu'on appelle l'EDIS (European Deposit Insurance Scheme), mais c'est encore une porte peu entrouverte et il faudra sans doute aller plus loin. L'union bancaire est bien un projet à trois piliers : la supervision – elle existe –, la résolution – nous progressons – et la garantie des dépôts, exigence très forte pour nos citoyens.

Troisième chantier et troisième message : il faut mieux coordonner les politiques économiques pour qu'elles stimulent la croissance. Mario Draghi a quitté, lui aussi, son mandat, il y a presque un mois, mandat impressionnant pour une personnalité impressionnante. Son dernier message était le suivant : la politique monétaire a beaucoup fait, elle ne peut pas tout faire, elle ne peut plus tout faire. On ne va pas vivre pendant une éternité avec des taux d'intérêt non seulement bas mais négatifs. Il faut donc aussi avoir un levier budgétaire et un levier de réforme. La position de la Commission, que je vous soumets, c'est qu'il faut actionner avec prudence le levier budgétaire. Nous ne plaidons pas pour une relance généralisée – nous ne pensons pas que tous les États soient en situation de le faire –, mais nous plaidons pour une relance coordonnée.

Autrement dit, des pays doivent continuer à réduire leur dette – c'est le cas de l'Italie, surtout, et dans une moindre mesure, de la France –, tandis que des pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas disposent de marges de manoeuvre considérables, à la fois en termes de finances publiques et de commerce extérieur, de nature à leur permettre de relancer l'investissement. Ces deux nations ont commencé à le faire, mais c'est encore très insuffisant. Je suis persuadé que s'il advenait un ralentissement supérieur, nous verrions ce changement en Allemagne. Je note, et vous le connaissez, madame la Présidente, qu'un document conjoint de la fédération de l'industrie allemande (BDI) et de la confédération allemande des syndicats (DGB) – on n'imagine pas cela en France – a plaidé pour que le gouvernement lâche la bride sur l'investissement. Au-delà du consensus extérieur à l'Allemagne, il commence à en apparaître un à l'intérieur, de la part des acteurs économiques et sociaux.

Je dirai enfin quelques mots de l'agenda fiscal, sur lequel vous m'interrogiez, Madame la Présidente. Je suis particulièrement fier du travail accompli dans ce domaine. Ce n'était pas acquis. Quand on m'a confié le portefeuille fiscal, j'étais on ne peut plus sceptique, tant c'était une matière aride où l'Europe avait montré son impuissance du fait de la règle de l'unanimité. Mais il s'est produit une révolution de la transparence, dont je parlais hier à l'OCDE. Le G20 s'est mêlé de l'affaire, dès 2009, à Londres. On a créé le forum global sur la transparence, dont on célébrait hier le dixième anniversaire à l'OCDE. Il y a eu les mesures BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l'OCDE. Il y a eu des scandales, le rôle majeur joué par des journalistes, et l'opinion européenne a pesé sur les États. La Commission – c'est le rôle que je veux me reconnaître et nous reconnaître –, a su habilement en jouer et prendre à chaque fois des initiatives. Pour moi, c'est simple : un scandale, une directive. Je savais qu'à ce moment-là, il serait très difficile à un État membre ciblé ou concerné de s'abriter derrière l'unanimité dans le secret pour bloquer les choses. Au total, j'ai fait adopter vingt propositions fiscales en cinq ans, dont la moitié contre la fraude et l'évasion fiscale, soit plus que ces vingt dernières années, non seulement en quantité mais surtout en qualité et en substance.

Mais tout n'est pas fait, loin de là. Je ne voudrais surtout pas que la Commission et le monde relâchent les efforts en la matière, que ces cinq années restent comme une parenthèse enchantée, qu'on retombe dans ce qu'on appelle à Bruxelles le business as usual, qu'on devienne plan-plan et qu'on s'arrête. Pour continuer, madame la Présidente, il faudra bien lever le verrou de l'unanimité.

Fier de ce que j'ai fait, je suis aussi lucide sur ce qui n'a pas été fait. Je n'ai pas pu faire adopter une réforme ambitieuse de la TVA. La fraude à la TVA représente 150 milliards d'euros, dont 50 milliards pour la seule fraude transfrontalière. Je n'ai pas pu faire adopter l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés. Je n'ai pas pu faire adopter, de peu, les deux directives sur le numérique que nous proposions. Pourquoi ? Unanimité ! Tant qu'on maintiendra ce système où le veto d'un seul paralyse la volonté générale de tous les autres, on n'avancera pas sur les réformes structurelles. Si la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale est devenue un sujet de consensus sur lequel nous pouvons avancer avec l'unanimité, pour le reste, on ne peut pas et il faudra y remédier.

J'évoquerai maintenant deux dossiers que je considère comme prioritaires pour le prochain mandat.

En premier lieu, le G20 a chargé l'OCDE de mener des discussions entre 130 pays afin de moderniser les règles fiscales internationales en vue d'atteindre deux objectifs : l'imposition des activités du numérique et l'introduction d'un taux d'imposition minimal des entreprises. Les travaux progressent à un rythme soutenu. Le G7 et le G20 ont réaffirmé leur plein soutien à cette solution à deux piliers. Je note des avancées. L'OCDE a présenté hier un projet dont le ministre Bruno Le Maire, qui participait à la même table ronde que moi et qui l'introduisait, a pu dire qu'il avait l'assentiment de la France. Cela va aussi dans la bonne direction pour la Commission, qui va continuer à travailler avec les États.

Madame la Présidente, il n'est pas plus facile d'agir à 130 qu'à 28. Ce que font les 28 a été utile aux 130. Je suis persuadé que sans nos propositions de directives, il n'y aurait pas eu d'accélération de la discussion internationale. L'Europe a su jouer un rôle leader. J'irai plus loin : je sais qu'il y a ici des discussions sur la taxe nationale qui, du point de vue économique, n'était pas forcément la meilleure réponse, mais cela a contribué à faire avancer la discussion internationale. De ce point de vue, je me garderai de la critiquer, d'autant qu'elle était conforme au projet de la Commission. Mais ce que nous ferons à 130 sera plus modeste que ce que nous aurions pu faire à 28. Le moment venu, nous aurons une base d'accord sur une plateforme de l'OCDE, validée par le G7, le G20 et la communauté internationale, mais chacun devra ensuite légiférer avec ses propres règles et ses propres ambitions. C'est pourquoi les propositions de directives que j'ai présentées ne sont pas retirées. Elles sont tout à fait compatibles avec les deux piliers de l'OCDE.

En second lieu, il faudra rester unis pour relever le défi du dérèglement climatique. On ne peut pas répondre à l'urgence climatique sans fiscalité verte. La révision de la directive sur la fiscalité de l'énergie doit être une priorité. Des règles datant de 2003 sont totalement incompatibles avec l'ambition de la Présidente, Mme von der Leyen, de faire de l'Europe le premier continent neutre en carbone d'ici à 2050. Je n'ai pas pu faire avancer ce dossier. Il y avait des blocages à la fois à la Commission – je le dis – et à l'extérieur de la Commission. Il est temps de faire autre chose. Pour cela aussi, le passage à la majorité qualifiée serait très utile.

Mesdames et Messieurs les députés, j'ai voulu m'exprimer, peut-être un peu longuement, sur l'état actuel et transmettre quelques messages pour l'avenir. Le prochain mandat de la Commission qui débutera le 1er décembre apportera son lot de défis en matière économique et fiscale, mais aussi commerciale, démocratique et climatique. Cette Commission a le devoir d'être ambitieuse. Je suis convaincu que nous pourrons relever les défis, à condition que les pro-européens présents à la Commission, au Parlement européen, dans les parlements nationaux, sur le terrain sachent trouver un terrain d'entente. D'évidence, ce que je vois au Parlement européen montre qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire. Cette espèce, non pas de coalition, mais simplement d'accord de volonté ou de principe n'existe pas. Il n'y a pas encore de programme sur la table, même si Mme von der Leyen a présenté un discours ambitieux. On ne pourra pas traiter les différents chantiers que j'ai évoqués à défaut de davantage d'unité politique autour du thème européen.

Je souhaite enfin vous remercier pour votre collaboration. Ces dernières années, vous m'avez régulièrement invité. J'ai aussi insisté pour venir ici, parce que je pense qu'il est bon que la représentation nationale connaisse la situation et l'analyse de la Commission au début du semestre européen, maintenant, et à sa fin, donc au moins deux fois par an, plus si nécessaire. Vous avez joué le jeu. Je me suis efforcé de le jouer aussi. Ces échanges ont toujours été pour moi un plaisir et un honneur. Je vous invite à entretenir des liens étroits avec mon successeur – un peu moins français, il reste assez latin, puisque c'est Paolo Gentiloni, l'ancien Premier ministre italien, tout à fait francophone, donc tout à fait susceptible de venir répondre à vos questions aussi – et avec l'ensemble de la Commission, car c'est toujours une structure compliquée.

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