Intervention de Jean-Yves le Déaut

Réunion du jeudi 28 novembre 2019 à 11h00
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Jean-Yves le Déaut, député honoraire, ancien président de l'OPECST :

La loi dite « Bachelot », comme certaines autres lois, a commencé sous une législature et s'est terminée sous une autre, ce qui montre le consensus pour traiter de la question. À l'époque, l'Office faisait la remarque récurrente que faire la loi sans contrôler son application ne correspondait pas à un bon travail législatif. J'avais d'ailleurs fait un rapport pour la commission du développement économique sur la loi « après-mine » de 1998, où je disais que l'esprit de la loi n'avait pas été respecté. Il faut contrôler que le réglementaire corresponde à ce qui est écrit dans la loi.

Est-ce que la loi dite « Bachelot » a rempli globalement ses objectifs ? Je pense plutôt que oui, à la fois par les décrets, non évalués à cette époque, mais aussi par la dernière directive Seveso, en 2012. Il a fallu du temps, ce qui est une constante. On ne peut pas dire que la loi dite « Bachelot » n'ait pas permis de progresser, d'autant plus qu'il ne faut pas, à mon sens, faire trop de lois. Trop de lois conduisent à ce que la totalité des choses à faire soit indiquée. C'est le paradoxe entre une note qui dit tout ce qu'il faut faire et la réalité.

Que le nombre de contrôles ait été suffisant à Lubrizol, certes, mais il n'empêche que le répertoire des produits chimiques a été demandé après-coup.

Un incendie peut venir d'un site voisin. J'ai cru comprendre que la directrice de l'usine ne s'exprimait pas, à un moment donné, parce que les responsabilités pouvaient être croisées. Il reviendra à la justice de revenir sur ce sujet et non pas à la commission d'enquête.

L'évaluation des lois doit être un exercice majeur. Elle est difficile lorsque l'application des décrets se fait six à huit ans plus tard. J'ai l'exemple du décret sur le diagnostic préimplantatoire qui a été pris cinq ou six ans après la loi de bioéthique. La législature n'est plus la même. Il faut réfléchir, dans l'organisation du Parlement, à un portefeuille de contrôle, dans une commission, afin qu'un député prenne la suite d'un autre qui n'est plus là et soit nommé directement. Il y a sûrement des progrès à faire.

Par ailleurs, nous avons voté un projet de résolution, en février 2017, qui s'appelle « Science et progrès dans la République » et qui a été voté à l'unanimité. Il dit que lorsqu'une loi a un caractère scientifique et technologique, il faut que l'étude d'impact soit réalisée soit par l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, soit par une commission. Il faut prendre le temps de réfléchir aux impacts avant de voter la loi et s'appuyer sur une étude préalable. Le rapporteur n'a souvent pas le temps de le faire. Il est souvent pris dans la pression de son rapport. Il faut peut-être donner à une autre personne, en lien avec le rapporteur, la possibilité de le faire.

J'ai bien sûr été informé de la crise de 2013 sur le mercaptan, mais je n'ai pas été saisi. Je reviens ici sur le Parlement. Lorsqu'on dispose, dans un Parlement, d'un office d'évaluation, il faut le saisir en amont sur de nombreux sujets. Personnellement, je ne pense pas avoir été saisi de cette question. À partir d'un incident ou d'un quasi-accident, il aurait été intéressant de faire un rapport plutôt à froid. Vous pointez une bonne question sur l'organisation du travail du Parlement. À côté du travail législatif, qui est souvent réalisé sous la pression et avec célérité, il faut que le parlementaire réserve une partie de son temps à des études amont. C'est vraiment un dispositif auquel je crois. En trouvant cette organisation, nous ferons, à mon avis, de meilleures lois.

L'analyse prédictive me semble majeure. La question n'est pas de savoir si elle existe déjà. Chaque proposition conduit untel ou untel à dire qu'elle existe déjà. Pourtant, celui qui fait la proposition n'a pas la perception que ce qu'il propose existe. Soit la chose n'existe donc pas, soit nous ne sommes pas arrivés au niveau de maturité suffisant. Je pense qu'il faut avancer dans ce domaine. Les investissements d'avenir travaillent sur des sujets de prospective. L'un des moyens d'avancer est de créer un centre IA dédié aux problèmes industriels et d'étudier comment le prédictif peut améliorer la situation de l'industrie, sa productivité, mais aussi la sûreté. Je suis persuadé qu'il existe des marges dans ce domaine.

Dans le nucléaire, nous avons une culture du risque qui est forte, et heureusement. Nous ne sommes jamais à l'abri d'un accident. C'est une industrie dangereuse, mais tout comme le spatial, l'aéronautique ou le rail. Je vous invite d'ailleurs à relire un tableau sur les risques que j'avais inséré dans le rapport. Le Professeur Amalberti classait les risques en fonction de l'activité. Il classait des systèmes amateurs, des systèmes réglés et des systèmes ultra réglés, en fonction du nombre de catastrophes par nombre de mises en oeuvre. L'alpinisme par exemple est un système amateur, avec des morts perlés, certains ne respectant pas toujours les règles de sûreté. Les systèmes réglés concernaient la médecine, les accidents de la route, l'artisanat, les industries de transformation, avec une catastrophe pour 10 000 à 100 000 mises en oeuvre. Enfin, dans les systèmes ultra-réglés, comme le nucléaire, la catastrophe n'est pas permise. Malheureusement, il y en a eu, Tchernobyl, Fukushima.

Il est évident qu'il faut réussir à organiser la sûreté des systèmes d'industrie de transformation, selon les meilleures conditions de sûreté possible.

Est-ce que les PPRT qui ont été mis en place sont suffisants ? Ils sont suffisants dans l'esprit sans doute, mais il conviendrait d'associer beaucoup mieux les témoins de l'activité industrielle, ceux qui y travaillent, ainsi que les riverains, qui perçoivent un risque, et de mieux appréhender la globalité du site et la globalité des incidents sur un lieu voisin du site. C'était d'ailleurs le cas d'AZF où se trouvait à proximité l'usine des poudres. Quand deux unités industrielles sont voisines, il est évident qu'il faut travailler sur les incidences possibles d'une activité sur l'autre.

Le PPRT ne doit pas être élaboré uniquement par l'industriel avec un bureau d'études et contrôlé par l'administration. L'élaboration doit être davantage pluridisciplinaire et mieux intégrer tous ceux qui souhaitent s'exprimer. Cela ne signifie pas que la position de celui qui souhaite s'exprimer doit être retenue, mais au moins, il l'aura dit. L'élaboration d'un texte aura ainsi été réfléchie de manière publique, collective, contradictoire. Je crois au public collectif contradictoire. Une expertise collective est mieux réalisée qu'une expertise individuelle. L'INSERM le fait d'ailleurs en matière de santé.

L'information de la population est majeure. Par rapport aux préconisations de la commission, en 2003, nous n'avons pas suffisamment progressé dans ce domaine, bien que des progrès aient été faits. La maille n'est peut-être pas encore suffisante. Il reste des points sur lesquels il convient de progresser.

Concernant le crédit d'impôt sûreté, il existe le crédit impôt recherche. La recherche est majeure, mais la sûreté aussi. Pourquoi ne pas avoir un avantage à faire plus d'efforts en matière de sûreté ? Le vote du budget comprend de très nombreux avantages fiscaux. La sûreté pourrait le mériter. C'est une piste à creuser et je la mets à la discussion.

S'agissant des 38 contrôles sur Lubrizol, je crois avoir répondu, mais en moyenne, sur les 21 contrôles qui devraient être faits sur les unités Seveso, 14 ont été réalisés. Votre collègue, dans son avis précité sur le programme 181, dit la même chose que moi. J'ai repris sa phrase et nous sommes arrivés à la même conclusion. Elle demande une augmentation de 50 % du nombre d'inspecteurs des installations classées qui sont 1 300. Je demandais quant à moi de doubler le nombre de 1 020, ce qui représentait 2 040. Les chiffres sont quasiment identiques. Alors que des notes, avant l'accident, faisaient état qu'il leur était difficile de remplir de nouvelles tâches, je ne crois pas à l'atteinte de l'objectif grâce notamment à l'informatisation. L'informatisation va peut-être améliorer la sûreté, mais ne va pas régler tous les problèmes de contrôle.

Est-ce que le contrôle est effectif dans les gares ? Je ne sais pas si ce sujet est dans le champ de votre mission. Il n'était pas dans le champ de notre mission, mais nous l'avions inscrit parce que plusieurs personnes nous l'avaient dit. Au moins, si jamais un accident survenait dans une gare un jour, nous l'aurions dit.

Il faut revoir la législation. Certains wagons sont des « unités mobiles Seveso » et personne ne le sait. La transparence est inexistante. L'attentat de Madrid, il y a quelques années, dans une gare, avait fait 200 morts. Un accident dans une gare, à Toulouse, à Marseille ou à Lyon, pourrait être une catastrophe. Il faudrait aborder le contrôle du transport routier de la même manière. Je n'ai pas étudié cette question, mais il est évident qu'il faut le faire.

D'ailleurs, nous sommes soumis à un dilemme. L'incendie de produits chimiques était une préoccupation qui apparaissait peu. On parlait beaucoup d'explosion ; on parlait moins d'incendie de produits chimiques.

Nous disions qu'il fallait scinder les stocks. C'est une bonne idée. Nous disions également qu'il fallait faire une défense en profondeur, afin qu'en cas d'incendie, ces produits ne soient pas touchés. Ce sont des pistes.

Une autre piste est d'essayer d'avoir des process industriels qui utilisent moins de produits chimiques et d'avoir moins de stocks dans l'usine. Si les stocks sont moins importants dans l'usine, il faut veiller à ce qu'ils ne soient pas plus importants sur les camions. Dans l'industrie, nous arrivons au stock zéro parce que le stock est sur le camion qui arrive vers l'outil industriel. Avec des produits dangereux, je ne suis pas sûr que ce soit un progrès. Il faut sans doute scinder les stocks, comme dans les explosifs. Dans la mission que j'avais faite, j'avais vu une législation légèrement différente sur les explosifs. Les stocks sont davantage scindés. Il faut peut-être les scinder pour certains produits chimiques.

En chimie, dans l'analyse déterministe des dangers, il faut essayer de déterminer les conséquences d'un incendie et d'une explosion. Tous les produits chimiques ne sont pas dangereux, mais l'isocyanate de méthyle par exemple est un produit qui se fixe, de manière covalente, à nos systèmes, qui, dans nos synapses, permettent les transmissions de l'influx nerveux. Sans influx et sans capacité de faire des transmissions au cerveau, on meurt d'asphyxie, les muscles ne répondent plus. Que je sache, il n'y a pas de l'isocyanate de méthyle dans nos sites industriels, mais il y a des composés très dangereux. Il faut donc disposer de cet inventaire. Surtout, l'inventaire ne suffit pas, il faut des spécialistes de l'aide à la crise. Une mission d'information ou une commission d'enquête a un rôle majeur. Elle est capable de faire la synthèse et de faire des propositions.

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