Intervention de Alexandre Wahl

Réunion du jeudi 12 décembre 2019 à 9h30
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Alexandre Wahl, directeur général de l'Agence de développement pour la Normandie :

Je vais intervenir en dernier et je vais forcément avoir un peu de redondance par rapport aux différents propos qui ont été tenus.

Je voudrais tout d'abord insister sur l'importance de la vocation industrielle de la Normandie. Je pense que c'est l'un des points essentiels. Au-delà de Rouen, qui a évidemment été touché à travers ce cas Lubrizol, l'industrie en Normandie, c'est 20 % de la valeur ajoutée, cinq points au-dessus de la moyenne nationale. C'est à peu près la même chose du point de vue de l'emploi, soit 16 % de l'emploi en Normandie et cinq points au-dessus de la moyenne nationale.

C'est vraiment un fait important, avec en Normandie, 80 sites Seveso dont 49 « seuil haut ». Dans ces seuils hauts ou sites Seveso, vous en avez un certain nombre qui sont effectivement dans la région rouennaise.

Quand nous nous recentrons sur Rouen, les quelques personnes rouennaises que nous avons pu rencontrer suite à cet incendie Lubrizol se sont découvert être des habitants dans un environnement industriel. Je me souviens d'une personne avec qui j'échangeais qui m'a dit : « j'habite à 500 mètres de Lubrizol et j'avais oublié qu'il y avait un « seuil haut » Seveso ici, et finalement on vit très bien avec un « seuil haut » Seveso, jusqu'à l'arrivée d'un incendie ». La plupart des Rouennais sont finalement dans ce cas-là puisque l'histoire de la Métropole de Rouen en matière industrielle est une histoire qui date du milieu du XIXè siècle. Il y a toujours eu de l'industrie à Rouen, avec évidemment une industrie qui est en transition et au-delà de Rouen, c'est toute la Vallée de Seine.

Je reviendrai après sur les détails des indemnisations mais les décisions qui ont été prises encore récemment, notamment avec la tenue du CODERST (conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques) hier et les préconisations de la DREAL (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement), sont plutôt positives dans le sens où une non-réouverture aurait été un signal catastrophique pour l'ensemble de l'économie de la Vallée de Seine. Cela aurait signifié tout simplement que lorsqu'il y a un problème de nature industrielle, un incendie, il n'y a pas de soutien de cette activité industrielle à Rouen, bien sûr, mais sur toute la Vallée de Seine. Le signal qui aurait été envoyé à l'ensemble des industries lourdes qui sont sur la vallée de Seine aurait été le suivant : « Si jamais vous avez un ennui un jour, ne comptez pas sur nous pour vous soutenir ». Cela signifie aussi que tout investissement, toute extension ou tout investissement et création auraient été problématiques, parce que vu de Paris et de partout ailleurs dans le monde, cette chose-là est presque perçue comme un test.

Nous avons rencontré des têtes de réseau, comme nous les appelons : le patron du groupe Normandie logistique et Eric Schnur, le patron « mondial » de Lubrizol. Au-delà de ses propres intérêts business de la reprise d'activité qui était liée à un écoulement des stocks de l'ensemble de ses clients au bout de six semaines, d'où l'importance de cette reprise, même partielle, qui est pour lui un signal à donner à ses clients. Cette reprise de Lubrizol est un signal plutôt positif pour l'ensemble de ces activités en Vallée de Seine.

Concernant les soutiens qui peuvent être apportés aux différentes entités impactées par cette catastrophe, vous avez deux types d'impacts : un impact court terme et un impact long terme. L'impact court terme, c'est ce dont on vient de parler : les commerçants, le fonds d'indemnisation qui a été mis en place par Lubrizol, les agriculteurs qui ont été impactés. La Région a pratiquement sans justificatif octroyé une avance sur indemnisation de 10 000 euros. Nous avons inscrit un chiffre de l'ordre de cinq millions d'euros sur nos budgets pour cette avance.

L'autre élément, Vincent Laudat en a parlé, c'est la dimension garantie. Cette dimension garantie se retrouve à travers la SIAGI (Société interprofessionnelle artisanale de garantie d'investissements) et à travers le fonds régional de garantie que nous avons mis en place avec la BPI (Banque publique d'investissement).

Le dernier élément, c'est notre dispositif ARME (Anticipation, Redressement, Mutations Économiques) mis en place l'année dernière, suite aux évènements des Gilets jaunes. Vous disiez effectivement que nous payons les fournisseurs deux mois après et que c'est à ce moment-là que nous nous apercevons qu'il y a des problèmes de trésorerie. C'est également à ce moment-là que nous avons besoin d'un soutien important, tant en matière de garanties si nous voulons faire un bridge de trésorerie auprès des banques qui ne sont pas toujours prêtes à financer. La trésorerie est toujours très compliquée à financer. ARME permet de faire une avance sous forme de prêt à taux 0, avec un décalage de remboursement de quelques années.

C'est un point important et nous avons bien vu un pic au plus fort des gilets jaunes, en décembre.

Voilà pour les impacts à court terme.

Les impacts à long terme auraient été un mauvais signal à l'ensemble de l'activité industrielle, si jamais il y avait eu des difficultés concernant une reprise d'activité de Lubrizol. Ce signal disant que l'industrie n'est peut-être pas la bienvenue sur la Vallée de Seine, sachant que c'est quand même le coeur de l'activité industrielle, ce sont 2 200 emplois uniquement sur Lubrizol, Nous oublions aussi de dire que Lubrizol est le premier exportateur de Normandie, et qu'à ce titre, il y a toute une activité autour de son activité d'exportation, au-delà de son activité de production.

L'autre impact important est évidemment au niveau de l'attractivité. Ce que nous avons pu voir à la télévision ou sur les réseaux sociaux, c'est que tout le storytelling pendant ou post Lubrizol avait été complètement confisqué par les chaînes d'info en continu. Ce storytelling, c'étaient des Rouennais qui osaient à peine sortir de chez eux pour emmener leurs enfants à l'école, des Rouennais qui étaient calfeutrés chez eux en mettant du mastic autour des fenêtres pour être sûrs de ne pas être asphyxiés. On donnait finalement l'image d'un Rouen sous les bombes. Nous n'avons pas pu nous réapproprier notre propre storytelling.

Différentes propositions consistent à essayer de réenchanter Rouen, c'est bien dommage, juste l'année d'après l'Armada. Personne n'a cité l'Armada mais c'est quand même un point essentiel. L'Armada a été un énorme succès, Rouen progressait dans son image de très forte attractivité au niveau international, au-delà de cette dimension industrielle et la catastrophe Lubrizol se produit !

Comment pouvons-nous donc retrouver cette image de dynamisme et d'attractivité au-delà d'une attractivité touristique ?

Nous y avions réfléchi, je ne sais pas si la Région vous avait contacté sur ces sujets-là. Vous avez évoqué la Fête du Ventre, nous avions réfléchi sur différents éléments. Un des premiers éléments était de faire une énorme fête des voisins, à l'échelle rouennaise, pour montrer que les Rouennais sont dehors et vivent bien ensemble et que tout ce qui peut être confisqué comme storytelling à l'extérieur n'existe pas. Nous voulions montrer que les Rouennais sortent et surtout faire un lien avec la gastronomie puisque nous avons vu de quelle façon les choses ont été impactées au niveau de la gastronomie. La saison ne s'y prête pas tellement, en décembre et c'était peut-être un petit peu tôt puisqu'il y avait une peur qui existait. Quelqu'un pour qui je travaille a dit : « La parole publique et politique n'est plus crédible ».

Nous avons pourtant vu que les services de l'État ont tout fait, peut-être avec quelques maladresses par moments, en matière de transparence, mais cela ne suffit pas, parce que la parole publique est devenue maintenant non crédible.

Il faut essayer de voir de quelle façon, en attendant que la psychose liée à la pollution et justifiée par moments puisse être évacuée, nous pouvons faire en sorte que les Rouennais se réapproprient leur propre ville. Il s'agit du « vivre ensemble ». Il faut aussi que les Rouennais puissent réfléchir sur la part de l'industrie et la place de l'industrie dans leur propre ville pour la resituer sur un axe plutôt Vallée de Seine. Certaines des initiatives citées par Vincent sont plutôt bonnes car elles essaient de faire de cette catastrophe une opportunité.

Comment cet endroit, avec autant de sites Seveso, y compris « seuil haut », pourrait-il devenir le signe tant national, voire international dans le domaine du risque industriel ? Au Havre, ils ont fait quelque chose comme cela avec une association qui s'appelle Synerzip-LH et qui se focalise sur tout ce qui est risques industriels. Il faudrait en faire quelque chose d'un peu académique, avec une réflexion citoyenne sur le sujet.

Il s'agirait de préciser aux Rouennais qu'une grosse part du PIB de la Métropole provient de cela, que l'industrie est aussi une industrie en transition et qu'elle a complètement vocation à devenir une industrie durable à terme.

Certaines industries sont plus en retard que d'autres évidemment, mais en tout cas, c'est l'objectif. D'ailleurs on les y oblige de plus en plus, à travers une réglementation de plus en plus importante. Après, il y a ce que l'on projette vers l'extérieur, ce qui est plus compliqué. Je ne sais pas si la catastrophe de Lubrizol a eu un impact de niveau européen. Peut-être que vu de Rouen, nous en avons l'impression mais est-ce que cela a eu un vrai impact, je ne sais pas... Je n'ai pas de réponse à ma question parce que je n'ai pas regardé cela en détail, mais il faut voir comment nous pouvons projeter une image différente s'il y a eu un impact au niveau européen.

Je crois que le Premier ministre ou le Président de la République, lors de leur venue à Rouen, avaient évoqué la possibilité de faire venir des grandes rencontres internationales à Rouen pour essayer d'avoir une image moins liée à Lubrizol.

D'autres sujets avaient aussi été abordés comme celui de la capitale culturelle européenne. Cela avait été un vrai sujet avec une dimension peut-être de théâtre de rue, quelque chose qui fasse revivre Rouen en matière d'image vis-à-vis de l'extérieur, autrement qu'à travers cette catastrophe de Lubrizol. Mais il n'y a pas de solution miracle. Cela ne pourra se faire qu'ensemble.

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