Intervention de Lise Foisneau

Réunion du jeudi 12 décembre 2019 à 10h55
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Lise Foisneau, ethnologue à l'Université Aix-Marseille, associée à l'IDEMEC :

Je m'appelle Lise Foisneau, je suis docteure en ethnologie de l'université Aix-Marseille et chercheuse associée de l'Institut d'ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (IDEMEC). Mes recherches portent en partie sur les inégalités environnementales dont sont victimes, en France, les gens du voyage résidant sur les aires d'accueil. C'est à ce titre que je me suis rendue au Petit-Quevilly avec M. Valentin Merlin, 48 heures après le début de l'incendie. Nous y avons passé plusieurs semaines depuis. Mon exposé bref portera sur les préjudices subis par les habitants de l'aire d'accueil des gens du voyage.

A ma demande, Mme Vanessa Moreira Fernandes, habitante de l'aire d'accueil, prendra la parole pour vous faire le récit chronologique des faits. Ouverte en 1998 dans une zone industrielle, l'aire d'accueil de Petit-Quevilly, se trouve à moins de 500 mètres de deux sites Seveso. L'un est « seuil haut » - celui de Lubrizol - et l'autre est « seuil bas », celui de Total Lubrifiants. Rappelons que, lorsque nous sommes catégorisés par l'administration comme « Gens du voyage » et que nous ne sommes pas propriétaires de notre terrain de stationnement, nous devons résider dans les aires d'accueil. Lorsqu'elles sont situées en « zone Seveso », comme celle de Petit-Quevilly, elles ne possèdent souvent pas de dispositifs de sécurité en cas d'accident industriel.

La négligence institutionnelle s'étend aussi à la gestion sanitaire des aires d'accueil. Celle de Petit-Quevilly ne dispose pas d'installations décentes. En 2012, un rapport de l'InVS (Institut de veille sanitaire) sur une épidémie d'hépatite A, précise que les habitants n'ont pas accès à des commodités sanitaires suffisantes sur des terrains gérés par la CREA (Communauté d'agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe). Je cite : « 37 % de la population d'étude n'avaient pas accès à des douches. 56,4 % n'avaient pas accès à des toilettes ». Malheureusement, les rédacteurs du rapport se contentent de préconiser une campagne de vaccination et une sensibilisation à l'hygiène des populations concernées. Les victimes de conditions de vie indignes sont, pour ainsi dire, rendues responsables de leur santé dégradée. Pas un mot, en revanche, sur la nécessité de réaménager ces aires pour en faire des lieux de vie décents, répondant à des normes de sécurité minimales.

De telles recommandations existent pourtant. En effet, le dernier schéma départemental d'accueil des gens du voyage de Seine-Maritime (2012–2017) prévoyait très explicitement la relocalisation des aires d'accueil situées en « zone Seveso ». Non seulement celle-ci n'a pas eu lieu, mais aucune des mesures urgentes recommandées n'a été mise en oeuvre par la Métropole Rouen-Normandie, notamment l'aménagement d'un local de confinement. Aujourd'hui, 78 jours après l'incendie de Lubrizol, les habitants de l'aire d'accueil de Petit-Quevilly sont toujours en attente d'un nouveau terrain, proche des écoles de leurs enfants et à distance raisonnable de la zone polluée. Leur demande est restée vaine.

Habituée à l'observation des aires d'accueil, je peux témoigner que ce genre de silences, en forme d'abandons, n'est pas rare. Cette absence de réponse aux demandes élémentaires des habitants reste néanmoins paradoxale si nous la rapportons au nombre de services, d'entreprises, d'associations et de commissions censés encadrer les Gens du voyage sur le plan social et sanitaire.

La vérité est que les habitants des aires d'accueil ne sont habituellement pas conviés à donner leurs avis sur les décisions concernant les lieux où ils sont tenus de vivre. Lorsque nous les écoutons, ils disent qu'une aire d'accueil n'aurait jamais dû être construite près d'une décharge comme à Lyon, à moins de dix mètres d'une autoroute comme à Saint-Menet, dans la proximité immédiate d'une voie ferrée comme à Bordeaux, ou près d'une usine à béton comme à Ronchin. Ainsi, il est très important que Mme Vanessa Moreira Fernandes puisse être auditionnée aujourd'hui. Mes suggestions pour parer à l'urgence, sont triples :

- que les habitants de l'aire de Petit-Quevilly et de l'aire de Bois-Guillaume, exposés aux fumées de l'incendie, puissent bénéficier d'un suivi médical rapproché ;

- il serait souhaitable de créer un service d'inspection national, doté de moyens suffisants pour contraindre les collectivités à respecter les normes d'hygiène et de sécurité. Les habitants devraient pouvoir saisir ce service directement.

- il est indispensable d'interdire toute nouvelle création d'aires d'accueil en zone Seveso ou en zone industrielle.

L'incendie de Lubrizol montre à quel point les politiques publiques menées depuis les lois Besson, sont inégalitaires. L'usage de la catégorie administrative de « gens du voyage » rompt tous les jours le principe de l'égalité républicaine.

Mme Moreira Fernandes va maintenant vous exposer ce dont elle a été témoin sur l'aire d'accueil depuis le 26 septembre 2019. Habitante de l'aire d'accueil du Petit-Quevilly depuis 12 ans, elle était présente le jour de l'incendie.

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