Intervention de Ginette Vastel

Réunion du jeudi 12 décembre 2019 à 10h55
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Ginette Vastel, pilote du réseau Risques et impacts industriels de FNE :

France nature environnement est une fédération qui regroupe 3 500 associations, soit environ 100 000 personnes, réparties en Métropole et Outre-mer. Je m'occupe plus spécifiquement du réseau « Risques et impacts industriels ». L'accident de Lubrizol est malheureusement une illustration de ce que nous dénonçons depuis de nombreuses années.

Je vais vous décrire trois domaines sur lesquels nous intervenons.

Nous nous opposons à la simplification du droit, parce que la réglementation qui régit les établissements industriels est une bonne réglementation. Mais actuellement, elle est constamment assouplie, alors qu'elle n'est déjà pas nécessairement appliquée. C'est le cas pour Lubrizol : le préfet a décidé que l'augmentation du stockage ne nécessitait pas d'études complémentaires. Mais lorsqu'un stockage augmente, le terme-source change. Celui à l'origine de l'incendie n'est plus le même. Même si en l'occurrence, ce n'est pas cela qui a déterminé l'incendie. Un nouveau rapport vient de sortir, le rapport Kasbarian. Il est fait pour simplifier la vie des industriels. Si ce rapport passe, le préfet pourra donner l'autorisation pour le commencement des travaux, alors même que toutes les autorisations n'auront pas été données. On ne peut plus continuer comme ça. Nous passons d'une très bonne réglementation à son assouplissement en faveur des industriels, ce qui va conduire à une non-maîtrise des risques.

Au niveau de la réglementation des entrepôts sur lesquels nous étions intervenus, nous avions dénoncé, il y a deux ans, le fait que des entrepôts, comme l'entrepôt Normandie Logistiques mais il y en a d'autres, devraient être classés Seveso. Mais ils font tout pour être en dessous du seuil et ils ne sont pas classés Seveso.

Il y a aussi la consultation et le contrôle sur le terrain. Il n'y a pas assez d'inspecteurs pour contrôler. Les contrôles sont passés de 30 000 en 2006 à 18 196 en 2018. Parallèlement, il y a eu une augmentation des accidents, passant de 827 en 2016, à 1 112 en 2018.

Nous souhaiterions la création d'un système dans lequel les inspecteurs des installations classées, en qui j'ai une grande confiance, soient préservés de la pression socio-économique locale, parce que malheureusement, leur travail est interprété après. Cela ne peut pas continuer comme cela. Nous souhaiterions un système, non pas similaire à celui de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), parce que c'est un problème différent, mais indépendant.

- Concernant la culture du risque, c'est un mot que nous avons entendu après l'accident de Toulouse. À ce moment-là, tout le monde employait l'expression « la culture du risque ». Le citoyen constitue le premier maillon de la sécurité dans tout ce système. Mais le temps a passé, et nous avons un peu oublié que l'accident et le risque industriel existaient. Nous avons fait une enquête en 2017, qui a révélé que le CODERST, la CSS (commission de suivi de site) et le S3PI (Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques industriels) étaient des structures qui avaient beaucoup de mal à fonctionner. Certaines ne se réunissaient plus, et les autres étaient « des chambres d'enregistrement ». Ce qui s'est passé il y a deux jours avec le CODERST, en prévision de la réouverture de Lubrizol, en est un bon exemple. C'est « une chambre d'enregistrement. » Tout était prévu pour que nous disions : « Oui, nous allons rouvrir ».

Mais malheureusement, il reste des questions non traitées sur Lubrizol. Nous ne sommes pas contre la réouverture de Lubrizol de manière systématique, parce que ce n'est pas le problème. Mais nous souhaitons que Lubrizol rouvre à partir du moment où les questions ont été traitées. Nous ne savons même pas qui est responsable, ni d'où est parti l'incendie. Des fûts n'ont pas encore été évacués. Le transport en camion va être organisé pour passer d'un site à un autre. Cela me paraît un peu précipité. Surtout, comme le disait M. Olivier Blond, il faudrait attendre le rapport des mises en demeure. Si nous n'avons pas le rapport sur les mises en demeure, rouvrir un site sans que nous sachions si elles ont bien été effectuées, cela pose un problème !

Concernant toujours la culture du risque, il faudrait relancer les S3PI, parce que c'est une structure issue du Grenelle. Nous pouvions discuter de tous les sujets, et surtout ne pas être concentrés juste sur un établissement. Nous pouvions élargir un peu le sujet. Ce serait une possibilité.

Quelque chose a aussi fait du mal à l'information : c'est l'instruction gouvernementale de novembre 2017. Sans changer la raison pour laquelle elle a été faite, parce qu'évidemment nous ne voulons pas aider les terroristes, il faudrait néanmoins revoir son application afin que les gens ne reçoivent pas des documents entièrement noircis et incompréhensibles. C'est une demande de la FNE.

Peut-être pourrions-nous renforcer les exercices impliquant la population autour des sites, parce que cela permet de former les habitants. Peut-être faudrait-il aussi resserrer les liens entre l'industrie et les riverains. Car lorsqu'une relation de confiance s'installe, le jour où un problème arrive, il est forcément mieux accepté. Les gens ont peut-être peur, mais ils ont les bons comportements. Dans le cadre de Lubrizol, nous avons constaté que les gens n'étaient pas informés du tout.

Au sujet du risque sanitaire, il faudrait améliorer la communication sur les mesures prises, parce que dans le cas de Lubrizol, il fallait avoir bac +20 pour comprendre ce qui était dit. Les fiches de sécurité que j'ai lues sont extrêmement compliquées. Au moment d'une crise, il faudrait donner une information que toutes les personnes peuvent comprendre et qui les aide à repérer, par exemple, l'endroit des prélèvements et comment ils sont effectués. Dans les futures études de danger qui vont être demandées, il faudrait que l'on puisse connaître les produits de décomposition.

Aujourd'hui, dans le cadre de Lubrizol, nous connaissons bien les produits qui ont brûlé, mais nous ne savons pas quels sont les produits de décomposition auxquels ont été exposés les habitants. Cela reste un point d'interrogation pour le calcul du risque sanitaire. Enfin, il serait bien aussi de conserver des prélèvements et d'archiver correctement les données. De cette façon, si dans un an ou deux ans, nous voyons apparaître des symptômes un peu étonnants et qui interpellent, nous pourrons nous reporter à ces données. Nous pourrons refaire des études et peut-être mieux comprendre les symptômes que nous voyons apparaître.

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