Intervention de Simon De Carvalho

Réunion du jeudi 12 décembre 2019 à 10h55
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Simon De Carvalho, représentant de l'association des Sinistrés de Lubrizol :

Je vais parler des gens, des humains. Durant cette nuit du jeudi 26 septembre, nous nous sommes tous réveillés à Rouen et ailleurs, en se demandant : « Que s'est-il passé ? Quelqu'un essaie-t-il de nous tuer ? ». Nous nous demandons cela, parce que nous avons été abandonnés tout au long de la journée. Heureusement que nos amis nous préviennent, parce que l'Etat a failli. Il s'est caché derrière ce riche industriel. D'ailleurs, je n'ai pas vu l'avocat de Lubrizol.

En revanche, j'ai vu des ministres se succéder, défendre les intérêts de cette usine, et oublier ses citoyens et son premier devoir, à savoir protéger la population, les enfants et les handicapés. Qu'est-ce qui a été fait pour les handicapés ? Rien. Pour les enfants, la pédagogie ? Rien. Je suis handicapé. J'ai une maladie orpheline neuromusculaire. J'ai cru que j'allais mourir ce jour-là. J'étais hypertrophié et j'étais tout seul chez moi, abandonné. Nous n'avons pas eu un mot, rien, ni de mon maire, ni de mes députés, de personne.

Les ministres ont défendu cette usine. Nous les avons vus parader à la télévision. Je suis en colère parce que ce type de catastrophes se répète toujours. Mais dans le cas de Lubrizol, le mensonge est tel qu'ils n'ont pas pu le cacher. Nous nous sommes demandé, de deux heures quarante à huit heures du matin : « Que s'est-il passé ? ». Vous avez peut-être essayé d'éteindre ce feu, et de faire comme si de rien n'était. Peut-être avez-vous cru que nous allions nous réveiller le lendemain en étant tranquilles, sans fumée ?

Cette usine n'a pas de quoi éteindre un incendie, et nous voudrions la faire rouvrir, alors qu'aucune analyse sur la population n'a été faite. J'ai les analyses concernant l'amiante. Elles sont disponibles à la préfecture. Elles ont été faites 48 heures après, à partir de minuit, et il n'y a pas d'heure de fin. Aucune analyse n'a été faite sur le sol. Cela indique une volonté de cacher les résultats, et ce n'est pas normal. Vous êtes en train de mettre en colère la population qui n'en peut plus. Elle est à bout. Nous le voyons bien sur les réseaux sociaux. Elle a peur. Toutes les structures se cachent derrière le préfet, que ce soit les écoles, les collèges, les lycées et les maires. Les membres du CODERST sont nommés par le préfet.

Tout s'articule autour du préfet. Il a les pleins pouvoirs. Personne n'ose aller à l'encontre de sa décision et s'il dit : « Ce n'est pas toxique », tout le monde va dire pareil !

Non seulement de la gomme a brûlé, mais aussi plein de produits chimiques, dont de l'amiante sur laquelle nous avons le recul, des nanoparticules et des dioxines. La quantité est telle que tous les chimistes regardent Rouen et veulent procéder à des analyses, parce que c'est très intéressant pour leurs études. C'est inédit.

La gestion de cette catastrophe est calamiteuse. Où sont les mesures pour déterminer l'impact sur la santé ? Il n'y a aucune analyse, et cela ne dérange personne en haut lieu. Pour le plan santé, nous devons attendre le mois de mars. Pourquoi ? Des analyses ont été faites sur le lait maternel sur neuf femmes. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'analyses à plus grande échelle ? Les chimistes veulent des analyses, et l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) réclame des résultats. Imaginez donc ce qu'attend la population ! Ce n'est pas normal.

Il a fallu dix jours pour avoir une liste partielle des produits dangereux, alors qu'en un clic nous pouvons l'avoir. Pourquoi a-t-il fallu attendre dix jours ? L'industriel est-il au-dessus de vous, ou pas ? C'est la question. S'il est au-dessus de vous, effectivement, nous n'aurons jamais les réponses. Dans cette liste, nous nous apercevons aujourd'hui qu'il y a des produits sans fiche de risques, ni de logo « CE ». Quels sont ces produits ? Nous ne savons pas. Comment se fait-il que l'Etat ne va pas les rechercher ? Quels produits ont brûlé ? C'est le minimum de savoir exactement quels sont les produits qui ont brûlé. Nous sommes en France. Nous ne sommes pas aux États-Unis, ni dans le royaume de Warren Buffett. Nous sommes en France, et le pouvoir des politiciens devrait se situer au-dessus de celui des industriels.

Le site n'est même pas sécurisé. Il ne vend pas des chouquettes ! Il vend des produits extrêmement dangereux. Il faut donc le sécuriser. Il faut faire preuve de bienveillance. Des populations habitent en bas de cette usine. Or, aujourd'hui, l'industriel obtient sa réouverture. Comment est-ce possible ? J'espère que le préjudice d'anxiété et d'autres seront reconnus, parce que les habitants ont peur pour eux et leurs enfants. J'ai peur pour ma fille et pour moi-même. Combien d'années de vie m'a enlevées ce nuage ? En ce qui concerne la retraite, c'est sûr que je m'en fiche pour le moment. Je voudrais simplement savoir combien d'années il me reste à vivre. Qu'est-ce que j'ai respiré pendant les huit heures de cet incendie ?

De nombreuses usines Seveso sont installées les unes à côté des autres. Il n'y avait pas assez de mousse, et il fallait que les pompiers aillent en chercher plus loin. C'est très grave. Heureusement que les travailleurs de Lubrizol et les pompiers ont pris les choses en main pour dégager les fûts qui auraient pu exploser. Nous aurions pu ne pas être là pour vous parler aujourd'hui, il faut comprendre ça. Heureusement que les usines d'à côté n'ont pas explosé successivement. Le toit en amiante de 12 tonnes et de 8 000 mètres carrés, est parti dans nos poumons et dans nos terres. Nous le respirons. Le quartier Saint-Gervais à Rouen est plein d'amiante. Je suis allé à la mairie pour voir ce qu'elle pouvait faire : « Nous faisons confiance à Lubrizol ». C'est une blague ? Nous faisons confiance à l'usine qui a pollué, et qui a été condamnée à plusieurs reprises pour cela. Ce n'est pas normal.

Quand est-ce que l'Etat va être fort sur ce sujet ? Les citoyens sont en colère et regardent Rouen dans toute la France. Nous attendons des réponses et de l'action. Apparemment, un comité indépendant pourrait être créé pour veiller au bon fonctionnement de ces usines. Ce comité sera-t-il aussi « indépendant » que le CODERST ? Qui va nommer ce comité ? Qui va y siéger ? J'espère qu'il s'agira de personnes qui n'y auront pas d'intérêts politiques, industriels ou économiques. Nous sommes d'accord pour qu'une unité contrôle ces usines et qu'elle puisse dire à tout moment : « Stop. Il n'y a pas assez d'eau pour l'incendie. Stop, il n'y a pas de mousse. Stop, nous ne stockons pas de marchandises hyper toxiques dans un site qui n'est pas classé Seveso. Nous ne laisserons pas déverser tous ces produits dans la Seine et dans les terres ». Les paysans ne vont pas bénéficier d'une indemnisation, mais d'une avance.

Nous, citoyens, à quoi pouvons-nous prétendre ? Rien. Nous nous taisons et nous laissons passer. Nous faisons comme si de rien n'était. Nous allons à la Foire Saint-Romain, alors qu'au même moment, un site en bas est en train d'être dépollué par un bras mécanique, car il est trop toxique. Et nous laisserions nos enfants s'amuser à la Foire Saint-Romain, comme si de rien n'était ? C'est honteux. La gestion de cette crise est calamiteuse.

Chacun ici aurait dû être entendu pendant une demi-journée pour pouvoir dire tout ce qu'il a à dire, et pour essayer de travailler et d'avancer, afin que cela ne se produise plus. Le stockage au pied des habitations, c'est du délire. C'est du délire d'attendre qu'il y ait une telle catastrophe pour dire : « C'est bon, nous n'allons plus stocker. Mais si nous pouvions reprendre l'activité, ce serait bien ».

C'est du chantage à l'emploi, qui est d'ailleurs souvent intérimaire et donc précaire. Ces employés n'ont même pas le droit à un suivi médical, alors qu'ils travaillent sur le site. Ces usines devraient être un modèle économique et social, employant uniquement des gens en CDI, sans sous-traitance. C'est tellement dangereux et toxique qu'il faut des employés compétents, et non des gens à qui on fait appel ponctuellement et qui arrivent du jour au lendemain en disant : « Bonjour, je vais remplacer un tel. Je ne sais pas dans quoi j'ai atterri ». C'était la même situation avec AZF. C'est un endroit où il y a eu un grave accident, alors que la sous-traitance était en charge. Nous voulons des gens qualifiés, bien payés, et qui peuvent bénéficier d'un suivi médical. Un intérimaire n'ira jamais voir son employeur pour lui demander des analyses, parce qu'il est précaire et qu'il tient à son emploi. Il va donc se laisser manipuler. Cette situation est une chaîne d'incohérences. Rien n'est fait pour nous aider.

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