Intervention de Gilles Crague

Réunion du jeudi 19 décembre 2019 à 9h05
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Gilles Crague, École des Ponts Paris-Tech-Développement des firmes et territoires :

Vous évoquiez la question du silence. Il est déjà important de se rendre compte de ce dont on ne parle plus. C'est déjà recommencer un petit peu en parler, ce qui est capital.

Je me bats contre les lunettes statistiques. Quand nous décrivons les métropoles aujourd'hui, nous utilisons un indicateur de l'INSEE qui s'appelle les cadres des fonctions métropolitaines (CFM). Est métropole un lieu où il y a beaucoup de fonctions métropolitaines. Dans les métropoles, il y a les fonctions tertiaires supérieures, les cadres des fonctions métropolitaines. Les usines se trouvent en dehors des métropoles. La manière de voir la géographie économique française est une image très forte. Il faut commencer par essayer de voir les métropoles autrement et se rendre compte qu'à l'intérieur, il y a aussi des usines et de la fabrication. Ces lunettes-là, les CFM, ont tendu à le faire disparaître. Quand il y a un accident, on se rend compte qu'il y a aussi de l'industrie dans les métropoles françaises. L'Île-de-France est une grande région industrielle. Ce n'est pas qu'une city-region ou une ville globale qui concentrerait essentiellement des services high-tech aux entreprises.

L'avantage de Toulouse est qu'il y a Airbus. En fait, en Ile-de-France, il y a aussi plein d'aéronautique et parfois, on l'oublie. J'ai été amené il y a peu à discuter avec le responsable d'Air France Industries. Cette entreprise Air France Industries, c'est la maintenance, l'entretien et la réparation. Nous avons beaucoup parlé d'innovation et nous avons oublié que nous avions des systèmes techniques qu'il fallait entretenir, maintenir, faire évoluer. Lâchons un peu l'innovation. Même s'il y a de l'innovation dans la maintenance, il y a la maintenance prédictive, mais il faut nous ré-intéresser aux milieux dans lesquels nous vivons, pas à ceux dont nous rêvons. Intéressons-nous à notre environnement, qui est aussi industriel.

Dire que c'est un problème culturel est essentiel. Si nous avons perdu une forme de culture de l'industrie, cela veut dire qu'il faut reconstruire. Comment reconstruire une culture ? Qu'est-ce qu'une culture ? Cela a à voir avec ce que nous (les politiques, les managers, les familles) avons dans la tête à propos de l'industrie. Là, il y a vraiment quelque chose à changer dans les esprits. Dire ceci ouvre des perspectives en termes d'intervention publique. C'est tous azimuts et c'est aussi dans l'aménagement de l'espace.

Je ne connais pas Rouen, mais je connais un peu ce que font les Lyonnais. Ils ont la vallée de la chimie et ils y tiennent énormément ; c'est frappant. Les Lyonnais ont créé en 2015 une mission territoriale qui y est dédiée. Ils ont fait intervenir de grands urbanistes pour aménager ce territoire. Ils ont créé un concept de paysage productif. Ils font une connexion entre la chimie et l'environnement. Une autre manière de recréer cette culture de l'industrie est simplement de considérer que la transition écologique est un problème industriel, en articulant ces deux sphères de politiques publiques qui le sont assez peu. Nous ne ferons pas la transition écologique et énergétique sans avoir à développer et maintenir des compétences et des savoirs de chimie extrêmement importants.

Pour revenir sur la question du déficit manufacturier de la France, parmi les secteurs manufacturiers qui restent exportateurs, il y en a trois : d'abord, l'aéronautique – si nous ne vendions pas d'avions, nous serions dans une position inconfortable – l'industrie agroalimentaire, et la chimie. Il faut cultiver la chimie, l'entretenir et la valoriser. Les Lyonnais sont un bon exemple d'action publique concertée. Ils ont joué avec le PPRT et d'autres choses pour faire de ce Couloir de la chimie quelque chose d'important pour eux, pour la métropole, à travers tout un travail conceptuel et d'intervention. Le point positif de l'enquête que j'ai menée est qu'il y a des acteurs en France qui considèrent que l'industrie est cruciale, et qui ont déjà mené des actions. Cela vaut le coup de faire circuler cette expérience, de la porter à la connaissance de ceux qui sont plus en difficulté, comme l'agglomération rouennaise. Dans la planification urbaine à Rouen, il faut dire : « Nos chimistes et nos installations industrielles sont précieux, pas juste pour nous, mais aussi pour l'économie française ». Il est essentiel pour la Nation que l'industrie chimique à Rouen fonctionne, se développe et se maintienne.

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