Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du mercredi 8 janvier 2020 à 15h00
Débat sur les politiques de l'emploi

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Certaines régions avaient bien travaillé ; d'autres ont vu leur nombre d'apprentis baisser fortement. Les résultats ont été très inégaux d'une région à l'autre. Par exemple, le 26 novembre dernier, j'étais dans les Pyrénées-Atlantiques pour y rencontrer les directeurs des 150 CFA, qui sont très impliqués : le département a vu le nombre de ses apprentis augmenter de 19 % en un an.

Ce nombre augmente aussi pour les maisons familiales rurales : on nous avait prédit que nous allions tuer l'apprentissage dans le secteur rural, il est au contraire en plein développement. Même constat pour les compagnons du devoir – 27 % d'augmentation – , les chambres des métiers, l'industrie – 10 % d'augmentation. Malheureusement, cette expansion a lieu en dépit des régions : en 2019, presque toutes ont diminué leurs subventions aux CFA, brutalement, alors que l'apprentissage relevait pleinement de leur compétence et qu'elles avaient plus d'argent que jamais à y consacrer. Nous avons dû remédier à un certain nombre de dysfonctionnements dus à cela.

Carole Grandjean l'a souligné, nous ouvrons plus grandes encore les portes de l'apprentissage aux jeunes handicapés. Beaucoup reste à faire mais nous nous en sommes donné les moyens grâce à la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Parmi les nouveautés, signalons encore le lancement, le 21 novembre dernier, de l'application Mon compte formation. Ce nouveau service public offre pour la première fois un vrai droit à la formation. Nos concitoyens, sans autorisation préalable, pourront exercer directement leur droit à la formation. Ce droit est essentiel à l'heure où les mutations sont en constante évolution. Certains doutaient de la réaction des Français mais le 3 janvier, à savoir six semaines plus tard, l'application avait déjà été téléchargée à 750 000 reprises et 58 000 personnes se trouvaient inscrites dans des cycles de formation.

C'est une bonne chose pour notre pays, et surtout nos concitoyens. Ces excellents chiffres nous invitent à poursuivre notre engagement.

Je voudrais à présent développer plusieurs axes qui me permettront de commencer à répondre aux questions posées, que nous pourrons approfondir ensuite à l'occasion de la séance de questions-réponses.

Tout d'abord, nous devons consolider et amplifier la mise en oeuvre opérationnelle de ces transformations.

Certains sujets concernent directement les citoyens et les services territoriaux sont particulièrement attentifs, sur le terrain, à leur exécution. L'apprentissage en est un. Le plan d'investissement dans les compétences, Mme Fadila Khattabi l'a rappelé, représente un investissement sans précédent de 15 milliards d'euros, mais ce sont avant tout ses bienfaits pour nos concitoyens qui importent. Or, en 2019, 451 000 personnes sont entrées en formation, ce qui est une forte progression, sachant que l'acquisition de compétences est une clé extrêmement importante de lutte contre le chômage.

Le taux de chômage est de 6 % pour les personnes qualifiées en France, et de 2,8 % pour les cadres. Il est en revanche de 18 % pour celles sans qualification, que l'on retrouve majoritairement dans les emplois précaires, les moins rémunérés et offrant le moins de perspectives. Se battre pour les compétences, c'est se battre pour l'emploi, la promotion sociale et le droit de chacun d'évoluer dans sa vie professionnelle. Francis Vercamer a souligné à juste titre l'importance d'accentuer notre travail en faveur de l'acquisition des compétences pour lutter contre le chômage.

Bien évidemment, il faut relier cet engagement aux enjeux économiques pour être efficace. C'est pourquoi les mesures du plan d'investissement dans les compétences destinées à accompagner la transition écologique, la transition numérique et l'innovation sociale sont cruciales. Je pense au programme « 100 % inclusion » destiné aux plus vulnérables ou aux écoles Cuisine mode d'emploi(s), qui permettent de faire profiter des bienfaits de l'innovation ceux qui en ont le plus besoin.

Nous opérons une différenciation territoriale dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences. Jean-Philippe Nilor soulignait avec raison le besoin plus important en compétences dans les territoires en grande difficulté où le taux de chômage est extrêmement élevé. Ainsi, nous consacrons 1,1 % de la totalité des crédits du plan d'investissement dans les compétences à la Martinique, qui ne compte pourtant que 0,6 % de la population française. Les résultats sont au rendez-vous, du reste, puisque nous comptabilisons 7 400 entrées en formation, ce qui dépasse largement les objectifs. Ne serait-ce que pour la Martinique, nous apportons 69 millions d'euros à ce plan, qui s'ajoutent aux efforts consentis par les régions.

Citons encore, parmi les mesures destinées à concrétiser nos objectifs, les emplois francs, l'index de l'égalité professionnelle, sur lequel je reviendrai, les mesures pour l'assurance chômage des démissionnaires et des indépendants et toutes les actions que nous menons auprès des jeunes sans emploi et sans qualification.

Nous avons déconcentré de nombreuses activités auprès des préfets qui, grâce au fonds d'inclusion dans l'emploi, peuvent jouer sur la palette des dispositifs et les adapter selon les besoins des territoires.

Notre deuxième axe de mise en oeuvre s'articule autour des efforts que nous devons consentir pour rendre la croissance plus inclusive. Patrick Loiseau a rappelé les nombreuses inégalités qui perdurent et les progrès qui restent à faire. L'action publique est nécessaire car les règles du marché ne suffiront pas à ramener vers l'emploi ceux qui en sont le plus éloignés. Il nous revient de leur donner leur chance.

Dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, nous menons un pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique au service d'une société inclusive, chère à plusieurs d'entre vous, qui a été présenté au Président de la République le 10 septembre dernier à Bonneuil-sur-Marne. Rappelons d'ailleurs que la loi de finances pour 2020 prévoit d'augmenter massivement le financement des aides au poste dans les structures de l'insertion par l'activité économique – IAE. Pour la première fois, il dépassera 1 milliard d'euros. C'est essentiel : personne n'est inemployable, mais il faut parfois un marchepied – en matière de formation, d'accompagnement, de situation de l'emploi – pour accéder à l'emploi. Les résultats de l'insertion par l'économie sont excellents puisque deux personnes sur trois parviennent à obtenir une qualification et retrouver le chemin de l'emploi.

La nation réalise là, avec raison, un véritable investissement social.

Concernant toujours l'inclusion, nous menons, depuis le 1er janvier, la réforme de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés – OETH – et nous poursuivons l'engagement « Cap vers l'entreprise inclusive 2018-2022 ». Carole Grandjean a évoqué ce sujet essentiel. L'entreprise n'est pas assez inclusive aujourd'hui, notamment à l'égard des personnes handicapées.

Nous avons signé, le 12 juillet 2018, avec l'Union nationale des entreprises adaptées, APF France handicap et l'Unapei – Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis – un plan ambitieux pour porter de 40 000 à 80 000 le nombre d'emplois adaptés. De son exécution dépendra notre réussite.

Je reviendrai plus longuement, si vous le souhaitez, sur les progrès réalisés dans le domaine des emplois francs, généralisés depuis le 1er janvier à l'ensemble des quartiers prioritaires de la ville, ainsi que sur les parcours emploi compétences, en plein régime de vitesse, la garantie jeunes ou les efforts accrus en direction des missions locales, les écoles de la deuxième chance, l'EPIDE – Établissement pour l'insertion dans l'emploi – ou les écoles de production.

Joël Aviragnet et d'autres ont cité l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Le budget de mon ministère traduit notre soutien à cette démarche, principalement financée par le ministère du travail. Les crédits augmentent fortement pour 2020. La mobilisation au plan local des élus locaux et des acteurs économiques, vous l'avez souligné, est particulièrement intéressante.

Comme pour toute expérimentation qui n'en est qu'à mi-parcours, il faut prendre du recul pour l'évaluer, l'améliorer, partager le diagnostic. C'est dans ce but que j'ai réuni le 25 novembre dernier les initiateurs du projet et un comité scientifique ainsi que des inspecteurs de l'inspection générale des affaires sociales. Ils ont procédé à trois évaluations que nous avons confrontées. C'est une approche inédite et intéressante car nous ne travaillons pas ainsi d'habitude. Ils réfléchissent à un diagnostic que je souhaite le plus partagé possible pour pouvoir, d'ici quelques semaines, proposer des pistes d'évolution et de développement de cette expérimentation.

Enfin, pour poursuivre la lutte contre la précarité et lever les freins à l'emploi, nous devons responsabiliser les acteurs. Ce matin étaient publiées 563 912 offres d'emploi sur Pôle emploi. Comment les pourvoir ? Ce volume d'offres est très important mais beaucoup demeurent non pourvues. Les demandes sont tout aussi importantes et ne rencontrent pas toujours une offre.

Le président Philippe Vigier a souligné les grandes différences entre les territoires dans ce domaine. En métropole, le taux de chômage peut passer d'un département à l'autre de 6 à 14 %, et dépasser 20 % dans plusieurs départements d'outre-mer. Dans tous les cas, ces chiffres doublent pour ce qui concerne les jeunes.

Au-delà des actions que nous menons dans les territoires, la réforme de l'assurance chômage permettra de mobiliser des leviers d'action, notamment en offrant beaucoup plus de services sur-mesure aux entreprises et aux demandeurs d'emploi.

Les expérimentations menées en ce sens à Nice, au niveau des offres d'emplois, se sont avérées concluantes et nous allons les généraliser dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage. Le processus a commencé dès le 1er janvier 2020 et nous allons le poursuivre tout au long de l'année. Les offres seront proposées d'une manière plus précoce et intensive aux demandeurs d'emploi mais aussi aux entreprises, de sorte que, si elles n'ont pas trouvé au bout de trente jours, elles puissent bénéficier d'une aide renforcée.

Depuis le 1er janvier, le système de bonus-malus sur les emplois précaires et les mi-temps est installé ainsi que la taxe CDDU – contrats à durée déterminée dits d'usage – que vous avez votée dans la loi de finances. Ces mesures nous permettront de mieux lutter contre la précarité excessive. Il est en effet anormal et choquant que 87 % des contrats de travail soient des CDD courts ou en intérim. Nous voulons responsabiliser les employeurs à ce sujet.

Concernant l'approche territoriale, je répondrai à Philippe Vigier et beaucoup d'entre vous que j'ai lancé avec Agnès Pannier-Runacher et Emmanuelle Wargon, sous l'égide du Premier ministre, un Tour de France des solutions. Nous avons récolté une cinquantaine de pratiques particulièrement innovantes, qui impliquent toutes les acteurs économiques, les élus locaux, Pôle emploi et les autres acteurs de l'emploi. C'est important car les freins à la reprise de l'emploi varient selon les territoires. Le problème de la compétence est récurrent dans tous les territoires mais celui de la mobilité peut prendre une importance particulière dans certains, tandis que d'autres seront plus concernés par celui de l'hébergement lorsque l'emploi est surtout saisonnier, ou encore la garde d'enfants, qui empêche beaucoup de femmes de retrouver un emploi. Les différentes solutions qui émergent au niveau local sont précieuses et ont vocation à être développées dans l'ensemble du territoire.

J'en viens à l'emploi des seniors. Nous y reviendrons dans quelques instants mais également dans les prochaines semaines. C'est un sujet essentiel de nos politiques, notamment au niveau du plan d'investissement dans les compétences et de celui pour l'inclusion dans l'emploi. Le taux de chômage des seniors, de l'ordre de 6 %, est inférieur à la moyenne, mais les seniors qui se retrouvent au chômage éprouvent les plus grandes difficultés à retrouver un emploi. C'est un problème culturel en France : les employeurs écartent les jeunes et les seniors. Nous ne devons pas accepter cette spécificité française comme une fatalité et allons continuer, au contraire, à la combattre. J'y reviendrai.

Nous aurons l'occasion d'aborder le sujet de la pénibilité à l'occasion du troisième débat, autour des ordonnances de la loi travail.

Dans le bilan d'étape concernant l'emploi et le pouvoir d'achat, il ne faut pas oublier l'obligation de résultat en matière d'égalité professionnelle, votée dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Toutes les entreprises de plus de 250 salariés doivent calculer et publier leur index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cette obligation sera étendue aux 40 000 entreprises de plus 50 salariés au 1er mars. Nous avons prévu un important dispositif pour accompagner les PME.

Concernant les entreprises de plus de 250 salariés, le premier bilan témoigne de la pertinence de l'index puisqu'il met en évidence ce que l'on pressentait : sur 7 000 entreprises, seules 167 ont 99 ou 100 points, autrement dit pratiquent l'égalité, tandis que 17 % sont dans la zone rouge et ne respectent pas du tout cette obligation.

Nous verrons bientôt ce que donne la deuxième étape, plus ambitieuse. Nous restons mobilisés, d'autant plus que le projet de loi pour l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'économie, porté par Bruno Le Maire et Marlène Schiappa, nous offrira l'occasion de proposer des mesures pour développer les capacités économiques des femmes.

Je dirai un mot de notre ambition très forte pour l'Europe sociale et de notre volonté de renforcer notre action nationale. Le socle européen des droits sociaux est une base excellente pour accélérer la convergence sociale, facteur de la cohésion, certes fragile, de l'Union européenne. La négociation de la directive relative aux travailleurs détachés fut une première étape. Elle entrera en application au 1er juillet 2020. Nous voulons aller plus loin et travaillons avec la Commission européenne pour que tous les États se dotent d'un salaire minimum et pour faire avancer les négociations sur la révision des règlements européens de sécurité sociale. Nous ne devons pas nous contenter de l'objectif « à travail égal à salaire égal », ce qui est le sens de la directive relative aux travailleurs détachés : nous devons aussi parvenir au principe « à travail égal, coût égal », qui est loin d'être la réalité.

Enfin, nous encourageons l'Europe à investir massivement dans l'éducation et la formation professionnelle car nous croyons à la société des compétences ; nous croyons que des compétences dépend l'avenir des entreprises, des salariés et des demandeurs d'emploi.

Vous le voyez, nous faisons nôtre la formule d'Auguste Comte : « Régler le présent d'après l'avenir déduit du passé. » N'oublions pas le passé, qui est la base de départ, mais allons plus loin en réalisant notre ambition : faire de la France, forte de ses valeurs et de son histoire, un modèle social ambitieux, rénové, en phase avec les enjeux de notre temps – en partie ceux d'hier, en partie nouveaux. Nous devons, ensemble, progresser.

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