Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du mercredi 8 janvier 2020 à 15h00
Débat sur la mise en oeuvre des ordonnances de la loi travail

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Le Gouvernement a placé ce quinquennat sous le signe de la réforme. Le Président de la République s'était déjà attaqué à plusieurs chantiers avant celui des retraites, notamment celui de la réforme du code du travail, que vous avez défendue, madame la ministre, une réforme attendue, l'évolution de notre société devant s'accompagner d'une transition nécessaire pour adapter le marché du travail aux enjeux d'un monde en pleine mutation et moderniser notre modèle social tout en le préservant et en privilégiant le dialogue et le travail en commun. Le Gouvernement semblait d'ailleurs l'avoir bien compris quand il faisait du renforcement du dialogue social l'une de ses priorités.

Or, comme cela a trop souvent été le cas depuis le début de la législature, la réforme du code du travail a été réalisée par ordonnances et sans qu'une véritable concertation parlementaire soit organisée en amont, ce que nous ne pouvons que regretter. S'agissant d'un sujet aussi structurant pour notre société, le choix des ordonnances n'était pas judicieux, surtout dans un cadre social au sein duquel les corps intermédiaires ne cessent de s'affaiblir.

Après un premier bilan au mois d'avril, l'opportunité nous est à nouveau donnée aujourd'hui d'évaluer les effets de ces ordonnances. Certaines de ces mesures étaient nécessaires et attendues par les entreprises, notamment les petites et très petites entreprises. Pour lutter contre un chômage persistant, s'adapter à un monde de plus en plus ouvert aux échanges, aux bouleversements économiques et technologiques, mais également pour répondre aux nouvelles aspirations de certains salariés, notre marché du travail avait besoin de plus de flexibilité.

Je m'empresse de préciser que plus de flexibilité ne signifie pas moins de sécurité. Notre code du travail se devait également d'accompagner les évolutions de l'emploi et de sécuriser les nouvelles pratiques. Nous saluons à ce propos certaines mesures que nous considérons comme des avancées, comme le recours facilité au télétravail, ou encore la hausse de l'indemnité légale de licenciement, augmentée de 25 % jusqu'à dix ans d'ancienneté.

Le renforcement du dialogue social a été placé au coeur de cette réforme. Son bilan est pourtant en demi-teinte. Rappelons que ces ordonnances devaient profiter à chacun des acteurs, en particulier aux TPE et aux PME. En septembre 2017, au moment de la réforme, 96 % des TPE n'avaient pas de syndicats. Il était donc urgent de doter les petites entreprises de moyens, afin de favoriser le dialogue au sein de leur structure. Mais les entreprises peinent à se saisir des possibilités offertes par les ordonnances.

J'en veux pour preuve l'exemple du comité social économique, résultant de la fusion des instances représentatives du personnel, et dont les entreprises de plus de 11 salariés doivent impérativement se doter depuis le 1er janvier. Cette mesure est intéressante en ce qu'elle permet de supprimer les seuils qui dissuadent certaines entreprises d'embaucher lorsqu'elles sont sur le point de les franchir. Le mouvement met pourtant du temps à s'initier : en novembre 2018, seules 10 500 entreprises avaient mis en place un CSE, au lieu des 50 à 60 000 attendues – mon collègue M'Jid El Guerrab reviendra sur ce point.

De même, l'effet du barème prud'homal encadrant le montant des dommages et intérêts en cas de préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui devait offrir plus de prévisibilité aux salariés et aux entreprises, est amoindri en raison des incertitudes juridiques liées au contexte jurisprudentiel.

Il en va de même de la nouvelle articulation entre négociations de branche et d'entreprise. Cette mesure devait faire de l'entreprise le lieu privilégié de la création de la norme sociale, afin d'apporter des réponses adaptées aux besoins spécifiques des salariés et des entreprises au plus près du terrain. Or il apparaît clairement que les représentants du personnel continuent de considérer la négociation de branche comme plus protectrice et que la dérogation par accord d'entreprise est généralement dictée par des nécessités économiques, et non par la volonté d'améliorer le cadre global de travail au sein de l'entreprise.

Deux ans après la mise en oeuvre de ces ordonnances, le bilan est donc mitigé. Le renforcement du dialogue social, au coeur de cette réforme, n'a pas encore atteint le niveau attendu.

Madame la ministre, devant les effets limités de ces ordonnances, tant en termes de résultats chiffrés que de changement de culture d'entreprise, il est indispensable de poursuivre le travail, d'améliorer les dispositifs. Nos entreprises ont certes besoin d'efficacité, mais, dans un contexte mondial impitoyable de désescalade sociale, nous avons aussi à répondre à la légitime demande de protection exprimée au sein du monde du travail.

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