Intervention de Jean-Luc Tavernier

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9h40
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'INSEE :

Notre point de conjoncture devant paraître début octobre, nous avons assez peu de choses nouvelles à vous apporter. Je vais cependant vous présenter quelques graphiques avant de laisser la parole à Olivier Garnier, car la Banque de France et le système européen de banques centrales ont publié très récemment leurs nouvelles prévisions à horizon 2021.

Le premier graphique montre ce que l'on appelle le consensus forecast, c'est-à-dire le consensus des économistes sur la moyenne annuelle de la croissance dans différents pays de la zone euro. En France, il ne s'est pas passé grand-chose au cours de l'été et la prévision de croissance globale des économistes pour l'année 2019 reste à 1,3 %. Pour autant, on ne peut pas dire que les incertitudes politiques et économiques dans le monde se soient dissipées. Notre principal partenaire, l'Allemagne, connaît des déboires dont le diagnostic complet reste à établir entre phénomènes conjoncturels et tendances plus structurelles.

En tout cas, au fil des mois, la courbe française a assez peu bougé. Depuis longtemps le scénario de croissance moyenne anticipée par les économistes pour l'année 2019 est à 1,3 %. C'est ce qu'indiquait la dernière note de conjoncture de l'INSEE. Finalement, le deuxième trimestre a connu une croissance de 0,3 % comme prévu. Cette prévision reste donc assez centrale.

Le Royaume-Uni n'a pas tellement fluctué, mais le calcul est très compliqué : selon les trimestres, selon que l'on anticipe ou non le Brexit, des comportements de stockage de précaution à la fois des entreprises et des ménages se traduisent par un peu plus de demande tandis qu'au trimestre suivant, c'est l'effet inverse qui se produit. Du fait de ces battements de la croissance, les données ne sont pas aisément lisibles.

En revanche, on discerne bien la dégringolade des anticipations de croissance en Allemagne et en Italie, en phase avec des comptes trimestriels de début d'année très décevants, notamment en Allemagne, où la croissance est de l'ordre de – 0,1 % au deuxième trimestre. Il n'est pas exclu que la croissance soit encore très faible, peut-être nulle, voire légèrement négative au troisième trimestre et que l'Allemagne se trouve techniquement en récession, même si cela n'est pas du tout certain à ce stade. En tout cas, une croissance très faible en cours d'année porte la moyenne annuelle du consensus en Allemagne à 0,6 %, très en deçà du 1,3 % français.

Les climats des affaires tels qu'ils sont exprimés par les entreprises et les ménages font ressortir une sorte de nivellement par le bas. Ils s'effritent dans la plupart des régions du monde, qu'il s'agisse de la zone euro, des autres économies industrialisées ou des économies émergentes. Ils restent un peu au-dessus du seuil d'expansion, mais s'en rapprochent.

Dans la zone euro, par secteur, la différence est très nette entre les branches du secteur abrité (commerce, construction, services), où les indicateurs ne vont pas si mal – ils sont même assez élevés s'agissant de la construction et n'ont pas tellement baissé pour les services et le commerce de détail – et l'industrie, qui, depuis le sommet de 2018, connaît une dégringolade continue du climat des affaires tel que l'expriment les industriels dans la zone euro – dégringolade qui, pour l'instant, n'a pas l'air de s'infléchir.

Si l'on examine la situation pays par pays, on constate que la dégradation du climat des affaires dans le secteur manufacturier de la zone euro concerne au premier chef l'Allemagne. L'indice y était au plus haut en 2018, plus que dans les autres pays, et il est aujourd'hui au plus bas, suivant une pente beaucoup plus rapide qu'ailleurs. De plus, l'Allemagne ne semble pas connaître d'inflexion nette, contrairement aux autres pays et notamment la France, où le climat des affaires dans l'industrie s'est quelque peu stabilisé au cours des derniers mois. C'est d'autant plus remarquable qu'il y a moins de deux ans, l'industrie allemande était au sommet, avec des difficultés de recrutement exceptionnelles.

En France, nos enquêtes de conjoncture montrent que le bâtiment se porte bien. Le commerce de détail et les services ont connu un petit rebond et l'industrie est relativement stabilisée ; ce n'est pas du tout la baisse durable, prolongée et continue que connaît l'Allemagne.

J'en viens à la question de la confiance des consommateurs et de l'arbitrage entre consommation et épargne. On assiste depuis la fin de l'année dernière à un afflux de revenus et de pouvoir d'achat des consommateurs, si bien que l'on se demande régulièrement dans quelles proportions cette augmentation sera dirigée vers la consommation ou vers l'épargne. À cet égard, la courbe de l'indicateur de confiance des consommateurs dans les principaux pays de l'Union européenne est intéressante. En France, cet indicateur a connu une dégradation très forte du printemps 2017 à fin 2018, au pic du mouvement des gilets jaunes, alors même que l'on disait que du revenu supplémentaire devrait être perçu par les ménages au troisième et surtout au quatrième trimestre de l'année 2018. Le rebond après l'épisode des gilets jaunes a été très brutal et l'indicateur de confiance des consommateurs en France est remonté à un niveau assez élevé.

C'est moins le cas dans les autres pays, qui n'ont pas connu le mouvement des gilets jaunes et l'à-coup qui en a résulté, et dont les courbes sont assez stables, parfois légèrement orientées à la baisse comme en Allemagne.

Alors que l'on perçoit en Allemagne presque autant de revenus qu'en France, la confiance des consommateurs allemands a plutôt tendance à s'étioler. La perspective est beaucoup moins favorable qu'en France pour deux raisons. La première est que le secteur industriel est exposé au ralentissement mondial, aux perspectives de guerre commerciale et peut-être au Brexit, à la baisse des investissements en Chine… La seconde raison est un problème d'arbitrage entre la consommation et l'épargne. Peut-on s'attendre à ce qu'il y ait un peu plus de demande venant du consommateur allemand ?

En France, comment le pouvoir d'achat alimente-t-il ou non l'épargne et le revenu ? Et surtout, à quelle vitesse et à quelle échéance peut-il alimenter une augmentation du revenu ?

Entre la variation du taux d'épargne sur un an et la variation du pouvoir d'achat du revenu des ménages sur un an, on observe une forte corrélation : quand le pouvoir d'achat accélère, l'épargne accélère, ce qui signifie que la consommation n'accélère pas aussi vite et qu'un comportement de lissage fait que l'évolution du revenu ne se traduit pas aussi vite en évolution de la consommation.

Un graphique que j'ai emprunté à mes collègues du Trésor fait apparaître, au cours de différents épisodes de l'année 2017 et des années 2009 et 2010 – années de la relance –, les pics de pouvoir d'achat et l'évolution de la consommation par rapport au même trimestre de l'année précédente. On s'aperçoit que les pics de croissance du pouvoir d'achat sont suivis avec un certain délai par les pics de croissance de la consommation. En termes économiques, cela signifie en gros qu'il faut plusieurs trimestres pour que la croissance du pouvoir d'achat se traduise par une croissance globale de la consommation, ce qui nous a fondés à dire que la croissance du pouvoir d'achat de la fin de l'année 2018 et du début de l'année 2019 allait graduellement passer en consommation et en baisse du taux d'épargne ; c'est ce qui s'est produit, avec une baisse du taux d'épargne au deuxième trimestre 2019. On peut penser qu'au cours de la fin de l'année, une partie de la consommation sera à nouveau liée aux augmentations antérieures de pouvoir d'achat du revenu.

Nous avons demandé aux ménages leur opinion sur leur situation financière future, s'ils trouvaient plus opportun de faire des achats importants ou d'épargner. Concernant la situation financière future, on constate un rebond depuis la fin de l'année 2018, de même que s'agissant de l'opportunité de faire des achats importants. Mais les opinions sur l'opportunité d'épargner ont également rebondi : lorsque les ménages vont mieux, ils trouvent opportun à la fois d'acheter et d'épargner, ce qui relativise l'information que nous en tirons.

L'inflation reste faible, autour de 1 %, avec une très nette baisse de la contribution de l'augmentation du prix de l'énergie par rapport au pic de 2018. Cette baisse explique à elle seule la plus grosse partie de la diminution de l'inflation. À présent, la contribution de l'énergie sur un an est nulle et l'inflation est assez proche de l'inflation sous-jacente, elle-même toujours légèrement inférieure à 1 %.

La hausse de l'emploi en début d'année nous a surpris. Comme le montre la courbe du climat de l'emploi tel qu'il est issu des enquêtes de conjoncture, le glissement annuel d'emploi, c'est-à-dire le nombre d'emplois créés en taux de croissance sur quatre trimestres, a rebondi au début de 2019. Le climat de l'emploi est bon, sans pour autant connaître d'accélération. La vigueur des créations d'emplois en début d'année, je l'ai dit, nous a surpris. À ce stade, une piste possible est que la bascule du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sur les cotisations sera porteuse de création d'emplois supplémentaires, dans la mesure où l'on baisse les cotisations sociales.

Je fais partie de ceux qui pensent que le CICE est un instrument assez sous-optimal pour réduire le coût du travail. On peut estimer que la bascule a un effet favorable, mais c'est pour l'instant pure conjecture. Il faudra du recul et des travaux économétriques pour le vérifier.

La conséquence de cette forte création d'emplois est que la productivité apparente du travail a baissé au point d'être nulle en glissement. Si l'on regarde les quatre derniers trimestres (du troisième trimestre 2018 au deuxième trimestre 2019), le chiffre est le même pour la croissance de l'emploi et la croissance du produit intérieur brut (PIB), ce qui indique une absence de productivité apparente de l'emploi au cours des derniers trimestres. On rejoint en cela un phénomène observé depuis plusieurs années en Italie ou au Royaume-Uni et qui est un réel défi pour les économistes. Dans un contexte de chômage élevé, on se réjouit de l'autre face de cette baisse de la productivité, à savoir la croissance en emplois ; mais si cela devait se prolonger, cela poserait un problème durable s'agissant de l'évolution de la croissance potentielle.

Aujourd'hui, nous n'avons pas de raison significative de remettre en cause la prévision de croissance de 0,3 % par trimestre qui figurait dans la note de conjoncture parue au mois de juin.

On ne trouve pas vraiment trace, dans les réponses des entreprises françaises sur le climat des affaires, de l'accumulation d'incertitudes politiques et économiques qui sévit partout dans le monde, si bien qu'on pourrait même atteindre un chiffre un peu plus élevé. Mais notre prévision centrale reste à ce jour de 0,3 % par trimestre pour la fin de l'année, ce qui porte la prévision de croissance moyenne annuelle à 1,3 % en 2019.

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