Intervention de Olivier Garnier

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9h40
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et de l'international de la Banque de France :

Le calendrier nous est favorable puisque les prévisions pour l'ensemble de la zone euro ont été présentées par la Banque centrale européenne (BCE) jeudi dernier à l'issue du conseil des gouverneurs. De son côté, la Banque de France a publié hier soir ses nouvelles prévisions à l'horizon 2021, dont la presse se fait d'ailleurs l'écho ce matin.

Le message qui se dégage pour la France et que M. Tavernier a commencé à évoquer, c'est que, sur le plan international – nous l'avons vu pendant l'été –, les risques baissiers par rapport à notre prévision centrale se sont accrus. Pour autant, ce qui est remarquable, par rapport à juin, c'est que notre prévision de croissance à l'horizon 2020-2021 est quasiment inchangée pour l'économie française, laquelle fait preuve d'une très grande résistance à ce qui se passe dans l'économie internationale.

Je commencerai par la montée des risques au niveau international. Alors qu'en 2017, le commerce mondial augmentait en volume à un rythme d'environ 5 % par an, il est aujourd'hui complètement à l'arrêt, ce qui a notamment un rapport avec les incertitudes liées aux tensions entre les États-Unis et la Chine. C'est un freinage brutal. Quant aux hausses de tarifs sur les importations en provenance de Chine après les annonces et les tweets du président Trump et aux mesures de représailles du côté chinois, si l'on cumule la hausse moyenne des tarifs depuis le début, on arrive à un peu plus de 15 points des deux côtés, ce qui est tout à fait significatif. Alors qu'on était aux alentours de 5 points en 2018, l'augmentation s'est accélérée et l'on perçoit de plus en plus les effets de ces hausses de tarifs et la diversion que cela peut entraîner sur le commerce mondial. Mais le point important est que de nombreux effets restent à venir.

Nous avons pris en compte toutes les mesures annoncées, sauf le dernier tweet du président Trump le 23 août, postérieur à la date à laquelle nous avons arrêté les prévisions. Cela étant, au-delà des effets directs sur le commerce international, on observe aussi des effets indirects, notamment via l'incertitude que la situation engendre. Un peu partout dans le monde, l'investissement des entreprises tend à ralentir, y compris aux États-Unis. Dans une situation incertaine, les entreprises diffèrent les décisions à long terme et en particulier les investissements, ce qui a des répercussions sur le marché des biens d'équipement par exemple, qui tend lui aussi à ralentir.

Le deuxième risque est lié au Brexit. Le risque d'une sortie du Royaume-Uni sans accord a augmenté. Je veux rappeler l'asymétrie qui existe entre le Royaume-Uni et la zone euro. Pour le Royaume-Uni, les exportations vers la zone euro représentent 12 % du PIB, ce qui est considérable, tandis que pour la zone euro, les exportations vers le Royaume-Uni sont de l'ordre de 3,5 % du PIB. Le chiffre est même inférieur pour la France, avec 2,3 % du PIB. Si je compare la France au Royaume-Uni, ce dernier est six fois plus exposé à la zone euro que la France ne l'est au Royaume-Uni en termes de pourcentage de PIB, ce qui signifie qu'en cas de Brexit désordonné, c'est bien sûr l'économie britannique qui sera la plus affectée.

D'ailleurs, on en voit déjà les effets. Je citais l'investissement des entreprises ; si l'on en croit l'analyse de la Banque d'Angleterre, du fait de l'incertitude créée par le Brexit depuis le référendum, l'investissement des entreprises au Royaume-Uni aujourd'hui est de l'ordre de 20 à 25 points en dessous de ce qu'il aurait été sans cette incertitude. Le risque est présent, sachant que la prévision de l'Eurosystème comme celle de la Banque de France intègrent plutôt un scénario de sortie « ordonnée ».

La prévision a également pris en compte des contrepoids au niveau mondial : la dégradation du commerce international et de l'environnement et la baisse des taux d'intérêt dans le monde. Depuis le début de l'année, les taux à 10 ans ont ainsi diminué 100 points de base. En France, le taux de l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans est passé en dessous de zéro.

Le même mouvement s'est opéré aux États-Unis face aux craintes de ralentissement. Les marchés anticipent ce ralentissement ainsi qu'une baisse des taux de la part des banques centrales. La baisse des taux d'intérêt a ainsi un effet amortisseur pris en compte dans la prévision économique.

Un autre cas intéressant est celui de l'Italie. Depuis le début de l'année, le taux italien à 10 ans a baissé significativement (de 200 points de base). On avait constaté une forte hausse des taux à partir du printemps 2018, au moment des élections italiennes, au rebours de ce qu'on observait dans le reste de la zone euro. Depuis, avec la constitution du nouveau gouvernement, ces taux ont connu une très forte réduction. Aujourd'hui, le spread – l'écart de taux entre l'Italie et l'Allemagne – est quasiment revenu au niveau qui prévalait avant les élections. C'est un cas d'école qui montre que lorsque l'on crée une situation d'incertitude politique, notamment en matière de politique budgétaire, une sanction s'applique immédiatement avec un coût élevé pour l'économie. On ne peut pas dire que le phénomène était lié au commerce international ; c'est l'Italie qui s'est un peu flagellée elle-même en créant cette situation.

Le pétrole joue aussi un rôle compensateur : lors de nos prévisions de juin, le pétrole était à un niveau plus élevé et a connu depuis une baisse de 10 %. Or nous faisons nos prévisions sur la base du dernier cours connu du pétrole et de la courbe des taux à partir des taux futurs sur le pétrole, qui tablaient sur une baisse – et la baisse du prix du pétrole soutient la croissance.

Le week-end dernier, vous le savez, des drones ont attaqué des infrastructures pétrolières saoudiennes. Le baril est alors monté à plus de 70 dollars, et il est revenu à 64 dollars ce matin. On constate un repli, notamment après les annonces saoudiennes selon lesquelles les puits pourraient redémarrer plus rapidement que prévu.

Cela appelle deux remarques.

Ce choc concerne le marché du pétrole, où la demande était plutôt en train de s'affaiblir, notamment avec le ralentissement de la Chine, grosse consommatrice de pétrole. Il n'y avait pas de tension entre l'offre et la demande. Il y a quelques mois, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie avaient même annoncé une réduction de leurs quotas de production. Ce marché n'est donc pas très tendu.

En outre, depuis l'apparition des producteurs de pétrole « non conventionnel » aux États-Unis, l'offre est beaucoup plus flexible et réagit beaucoup plus aux prix, car aux États-Unis par exemple, lorsque le prix augmente, de nouveaux puits de pétrole qui n'étaient pas rentables à 60 dollars le deviennent à 70 dollars, ce qui limite la hausse des prix.

Cela dit, tout dépend de la durée de la hausse des prix du pétrole. Pour donner un ordre de grandeur, nous estimons à partir de nos modèles qu'une hausse permanente du prix du pétrole de 5 euros par rapport au niveau qui figure dans la projection engendrerait 0,1 % de croissance en moins en 2020 et à nouveau en 2021, soit – 0,2 % en cumulé. En faisant une règle de trois, 10 euros de plus correspondraient à – 0,2 % l'an prochain, et se répercuteraient également sur l'indice des prix à la consommation (de l'ordre de 0,1 %).

Notre prévision tient compte de l'effet de la baisse du prix du pétrole, qui joue un rôle amortisseur dans le contexte un peu déprimé de l'économie mondiale. Des tensions persistantes sur le prix du pétrole seraient bien sûr un aléa négatif par rapport à nos prévisions.

Les taux de change sont eux aussi importants. Il est assez remarquable que dans un contexte très agité sur les marchés, le marché des changes soit relativement calme, sans choc fort. L'euro suit toujours une tendance légèrement baissière face au dollar, ce qui d'ailleurs tend à irriter le président américain, qui trouve que le dollar est trop fort.

Du point de vue de l'impact économique, il ne faut pas seulement considérer le taux de change de l'euro contre le dollar, mais contre toutes les monnaies, – ce qu'on appelle le taux de change effectif, qui est à peu près stable sur moyenne période. Certes, l'euro s'est déprécié par rapport au dollar, mais il s'est apprécié par rapport à la livre britannique. En outre, les devises émergentes (celle de la Chine par exemple) ont eu plutôt tendance à se déprécier par rapport aux monnaies des pays développés, ce qui, pour nous, contrebalance le bénéfice d'un dollar fort. Le dollar, quant à lui, subit de plein fouet à la fois la baisse de l'euro et la baisse des devises émergentes.

À partir de ces hypothèses, j'en arrive à la prévision pour la zone euro. Les prévisions ont été présentées par la Banque centrale européenne le 12 septembre, avec une révision assez sensible pour l'année 2020 : d'une prévision de croissance de 1,4 % pour l'ensemble de la zone euro en 2020, on est passé à 1,2 %. Auparavant, l'hypothèse était plutôt un raffermissement progressif de l'activité au deuxième semestre 2019. Aujourd'hui, la prévision ne comporte plus ce redressement, qui est reporté vers 2020. Par effet d'acquis, cela joue principalement sur l'année 2020. La croissance reste modeste, avec une révision à la baisse de l'évolution des prix à la consommation. La prévision d'inflation actuelle est à 1,5 %, aussi bien pour l'indice des prix énergie et alimentation compris que hors énergie et alimentation. Ce taux de 1,5 %, sensiblement inférieur à l'objectif que s'est fixé la Banque centrale européenne, explique aussi les mesures supplémentaires d'assouplissement monétaire annoncées jeudi dernier.

Concernant la France, nous n'avons quasiment pas modifié notre prévision. La seule petite modification porte sur 2020, année pour laquelle le taux prévisionnel est passé de 1,4 % à 1,3 %. Il est toutefois relativement stable : 1,3 % en 2019, 1,3 % en 2020 et 1,4 % en 2021.

Pourquoi ce paradoxe français ? Pourquoi, alors que l'univers autour de nous se dégrade, la situation de la France ne se dégrade-t-elle pas ?

L'une des raisons est que la France est moins exposée que l'Allemagne par exemple à tout ce qui se passe hors de la zone euro. Pour vous donner un ordre de grandeur, les exportations allemandes à l'extérieur de la zone euro représentent 30 % du PIB, contre 15 % pour les exportations françaises.

Par ailleurs, bien que la demande extérieure adressée à la France ait été révisée à la baisse, la demande intérieure a encore été revue à la hausse, aussi bien en termes de consommation que d'investissement des entreprises, avec de bonnes surprises sur l'emploi qui augmentent le pouvoir d'achat. Dès le mois de mars, nous avions parlé ici des gains de pouvoir d'achat. À l'époque, c'était encore quelque peu hypothétique, certains d'entre vous avaient encore des doutes quant à la réalité de ces gains de pouvoir d'achat en 2019. En mars, notre prévision d'évolution du pouvoir d'achat du revenu par tête s'élevait à 1,9 %. En juin, nous l'avons révisée à 2,1 % et en septembre, nous en sommes à 2,3 %. Quand on prend le revenu disponible total, la hausse du pouvoir d'achat est de l'ordre de 2,5 %. Une bonne partie est épargnée mais, dans la prévision, ce pouvoir d'achat est consommé progressivement et la consommation des ménages accélère même entre 2019 et 2020.

Pour en venir à la question de l'emploi, un million d'emplois auront été créés entre 2016 et 2019. On peut faire le même calcul sur la base des comptes trimestriels entre mi-2015 et mi-2019, sur quatre années glissantes : un million de créations nettes d'emplois également.

Comme M. Tavernier l'a évoqué, la contrepartie est le ralentissement des gains de productivité, mais, dans notre prévision, les gains d'emplois vont diminuer à l'horizon 2020-2021, avec moins de créations nettes, mais plus de productivité et donc plus de salaire moyen par tête.

Je fais miennes les explications de M. Tavernier sur les créations d'emplois jusqu'à la fin 2018 par rapport au modèle que nous utilisons, avec des surprises positives début 2019. À cet égard, M. Tavernier a évoqué un certain nombre de pistes.

En 2019, le gain annuel moyen pour l'emploi total serait de 271 000, dont 264 000 pour l'emploi salarié marchand. Le gain principal provient donc de l'emploi marchand ; le non-marchand est d'ailleurs en légère baisse. Les emplois non salariés connaissent quant à eux une légère hausse.

Concernant les gains de pouvoir d'achat, je voudrais insister sur un point : ces gains viennent avant tout de l'emploi et du salaire moyen par tête. Des mesures comme celle qui est intervenue en fin d'année 2018 contribuent à hauteur de 0,7 point environ au gain de pouvoir d'achat qui s'élève à 2,3 points. Bien sûr, la faiblesse de l'inflation y contribue également.

Comment ces gains sont-ils dépensés ? Entre le troisième trimestre 2018 et mi-2019, on observe sur la base des comptes trimestriels qu'un peu plus de 40 % des gains de revenu disponible ont été dépensés. En projection, on estime qu'à peu près les trois quarts auront été dépensés à la fin de 2021. Parallèlement à l'accélération de la consommation, nos prévisions annoncent une stabilisation du taux d'épargne.

Si je compare à nouveau la France à la zone euro, la France a, une fois n'est pas coutume, une croissance légèrement supérieure, sachant que la zone euro est quelque peu hétérogène puisque deux des pays qui la forment, l'Allemagne et l'Italie, sont atypiques pour différentes raisons. Nous sommes moins atypiques si nous nous comparons non pas à l'Allemagne et à l'Italie, mais au reste de la zone euro.

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