Intervention de Danièle Obono

Réunion du mardi 14 janvier 2020 à 21h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Comme en première lecture, le groupe La France insoumise s'oppose aux mauvaises propositions de réponse à des problèmes réels, graves et sérieux, auxquels il faudrait s'atteler autrement. La navette parlementaire n'a malheureusement pas permis d'améliorer le texte pour en faire un instrument utile, tant pour les personnes victimes de ces contenus que pour le débat démocratique et pour la communauté que nous formons aussi bien sur internet qu'en dehors. Les problèmes rencontrés sur la toile sont, de fait, les mêmes que ceux auxquels sont confrontés au quotidien des milliers de personnes, en butte aux attaques, aux insultes et aux invectives racistes, homophobes, transphobes…

En première lecture, nous avions argumenté en faveur non seulement de la liberté d'expression, mais aussi d'un accompagnement des personnes victimes des contenus haineux. Nous pensons à nouveau que le texte adopté par le Sénat, de même que le texte proposé par la rapporteure de la majorité, vont tous deux dans le mauvais sens.

Ils ne s'attaquent pas au fond du problème, à savoir l'économie particulière sur laquelle repose le fonctionnement d'internet. Cette économie est celle de la captation maximale d'attention ; ses mécanismes ont pour effet d'accélérer la diffusion à des millions, voire des milliards de personnes, de contenus qui sont délibérément les plus spectaculaires, les plus provocateurs et les plus virulents. L'économie d'internet se fonde là-dessus.

C'est pourquoi nous avions formulé des propositions en première lecture pour nous attaquer directement à ce fonctionnement, notamment en permettant l'interopérabilité. Celle-ci permet, en effet, aux internautes de s'extraire d'un environnement devenu toxique, tout en gardant des liens avec l'accès aux ressources que fournissent les plateformes.

S'agissant de la place de la justice, je m'inscris en faux contre les propos de Mme George Pau-Langevin. Certes, sur internet comme dans la vraie vie, il n'y a pas des juges à tous les coins de rue, dans toutes les institutions, pour sanctionner les propos haineux, les comportements délictueux. Quand on constate l'existence de tels propos, il faut permettre aux victimes de saisir la justice et offrir à cette dernière les moyens de faire son travail. Or cette proposition de loi ne donne pas à la justice les moyens de mener à bien cette tâche ; au contraire – c'est là où le bât blesse – elle la dessaisit, ce qui est une erreur fondamentale.

Par ailleurs, le texte ne traite pas de l'accompagnement des victimes. On a eu de nombreux débats sur les violences sexuelles et sexistes. Des victimes ont souligné le manque de moyens dédiés à l'accueil et à l'accompagnement, et les obstacles considérables, notamment financiers, qu'elles rencontrent au cours de la procédure judiciaire. C'est de cela que nous aurions dû discuter. Là encore, il n'en est rien, pas plus dans le texte du Sénat que dans les propositions renouvelées par la majorité. C'est une occasion manquée.

Je ne crois pas que le Sénat ait une stratégie plus politicienne que la majorité, laquelle semble se donner à bon compte une posture de défenseure des victimes sans prévoir les moyens correspondants. Qu'il n'y ait pas de faux débats entre nous : certes, nous pouvons partager des objectifs louables mais nous entretenons un désaccord – que nous assumons – sur les méthodes et les moyens proposés. Ceux-ci vont produire plus de mal que de bien, tant pour les victimes que pour la justice, qui se trouve reléguée au second plan, derrière les plateformes privées.

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