Intervention de Laetitia Avia

Réunion du mardi 14 janvier 2020 à 21h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaetitia Avia, rapporteure :

Nous essayons de construire un équilibre à l'article 1er. Je n'aurai pas la prétention d'affirmer que je détiens la solution ultime et que la disposition proposée constitue l'alpha et l'oméga pour lutter contre la haine sur internet. C'est un sujet sur lequel je travaille quasiment à plein temps depuis près de deux ans, qui m'a donné l'occasion de rencontrer de nombreuses personnes. Je me suis toujours efforcée de trouver la solution la plus effective, efficace et équilibrée possible.

En première lecture, nous avions voté deux dispositifs à la lumière de l'avis du Conseil d'État : une régulation administrative centrée sur des obligations de moyens et la définition d'un délit, sanctionné par le juge, pour encadrer l'obligation de retrait, en vingt-quatre heures, des contenus manifestement haineux. J'insiste sur ces deux termes : « manifestement » indique que cette disposition ne doit pas viser les contenus « gris », qui ne sont pas soumis à l'obligation de retrait ; « haineux » résulte de la définition que nous avons élaborée collectivement en commission des Lois puis dans l'hémicycle pour construire ces éléments de protection de la dignité humaine. Comme je le disais tout à l'heure, la Commission européenne a validé, s'agissant du volet délictuel, la dérogation à la directive e-commerce, dès lors qu'on se trouve dans le champ de la protection de la dignité humaine, tout en invitant à un meilleur ciblage. Par ailleurs, lors des débats au Sénat, plusieurs questions ont été soulevées, auxquelles je me suis efforcée de répondre dans la rédaction proposée en CMP. Je vous propose de voter cette disposition dans une rédaction très similaire à celle-ci, et non pas l'article 1er tel que nous l'avions voté en première lecture.

Cette rédaction rétablit d'abord une création qui constitue le coeur du texte et qui avait été construite de manière assez transpartisane avec des apports de plusieurs groupes : le régime de responsabilité renforcée des plateformes. Sans ce délit, cette responsabilité n'existerait pas et, malgré nos bonnes intentions, nous serions dépourvus d'outils efficaces. Ensuite, la rédaction est allégée, pour renforcer la lisibilité du texte. En première lecture, l'article comportait un inventaire dense, à la Prévert, des éléments constitutifs de l'atteinte à la dignité humaine. Dans la nouvelle rédaction, j'ai simplement visé le « respect de la dignité humaine » et fait référence aux infractions que nous avions collectivement ajoutées.

Pour ce qui est du champ de la mesure, deux alinéas distincts concernent les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. S'agissant de ces derniers, nous avions prévu, en première lecture, le déréférencement des pages litigieuses, alors que nous visions en réalité le retrait du contenu haineux de la page de recherche. Autant l'écrire ainsi pour que les choses soient claires.

Nous avions beaucoup débattu des contenus à caractère négationniste. Le négationnisme n'entrait initialement pas dans le champ des contenus haineux constitutifs d'une infraction. Toutefois, compte tenu des nombreuses demandes faites par certains de nos collègues ainsi que par les associations de lutte contre la discrimination, je vous propose d'intégrer le négationnisme au champ d'application de ce texte.

Pour ce qui est des sanctions, je vous propose de retirer la peine d'emprisonnement qui, d'une part, a peu de sens dans la mesure où elle concerne des plateformes, donc des sociétés et non des personnes, d'autre part, nuit à la lisibilité du dispositif – le but de ce texte n'est pas d'envoyer M. Mark Zuckerberg en prison.

Le Sénat a très judicieusement posé une question, sur laquelle j'ai beaucoup travaillé pour préparer la CMP, consistant à définir l'élément intentionnel et à préciser les modalités d'application de la sanction. Dans ses observations sur le texte, la Commission européenne estime qu'il faudrait que les sanctions soient plus proportionnées et permettent une certaine flexibilité lorsque la plateforme a dû contextualiser le contenu visé. Je vous propose donc un alinéa permettant de donner un peu de souffle aux dispositions relatives aux sanctions, en prévoyant que, lorsque la plateforme n'a pas retiré un contenu ou l'a retiré à l'issue d'un délai supérieur à vingt-quatre heures parce que la nature du contenu, située dans la zone « gris foncé », nécessitait une évaluation, il convient de tenir compte de la bonne foi de la plateforme et, dès lors, de considérer que le caractère intentionnel du délit n'est pas constitué. Ces dispositions permettent de privilégier une approche concrète, au cas par cas, et leur évocation me donne l'occasion de rappeler que le texte n'a pas vocation à sanctionner les contenus « gris », mais uniquement les contenus manifestement haineux – un point qui se trouve donc ici précisé pour la deuxième fois dans l'article 1er.

Enfin – c'est peut-être du droit bavard, mais il vaut toujours mieux que les choses soient écrites noir sur blanc –, je rappelle que l'action en référé est toujours applicable, et qu'il est donc toujours possible de faire appel au juge, que ce soit pour faire retirer un contenu ou, à l'inverse, pour se plaindre de ce que l'on considère comme une atteinte à sa liberté d'expression.

Je récapitule donc les diverses modifications que je vous propose d'apporter à l'article 1er : elles consistent à rappeler la possibilité de faire appel au juge, à préciser que les sanctions ne s'appliquent pas indistinctement sous la forme d'un couperet, mais seulement aux acteurs n'agissant pas de bonne foi, à faire en sorte que les sanctions correspondent mieux à la réalité, à apporter quelques précisions rédactionnelles, et enfin à rétablir diverses dispositions que vous aviez votées, notamment au sujet du message de substitution, de la conservation des contenus aux fins de poursuite, de la possibilité pour les associations agréées d'engager des poursuites, et de la sanction des signalements abusifs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.