Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 16h05
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Monsieur Berville, le pilier développement de la coalition pour le Sahel qui a été décidé avant-hier à Pau est essentiel. Il nous faut atteindre deux objectifs. D'abord le décloisonnement du fonctionnement car une douzaine d'acteurs interviennent, dont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l'Union européenne et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). À ce jour, 800 projets sont labellisés ou en cours d'instruction. La capacité de mobilisation est de 11,6 milliards d'euros, ce qui est énorme. Il faut également améliorer la visibilité des actions engagées pour nous comme pour les populations qui doivent sentir qu'un effort considérable est fait pour permettre une stabilisation de la région. Je réunirai l'ensemble des acteurs le mois prochain, à Nouakchott, pour stimuler la réalisation concrète des engagements qui ont été pris. Les Européens, au-delà de l'Union, sont tous présents au rendez-vous, dont l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg. La volonté d'agir ensemble a été réitérée lors du sommet de Pau.

Madame Trisse, concernant le nord-est et le nord-ouest de la Syrie, le ministère des affaires étrangères a mobilisé, en 2019, 50 millions d'euros pour des actions essentiellement liées aux questions de santé et sanitaires immédiates. Ces financements, assez partagés entre les deux zones, sont orientés vers des projets portés par des organisations non gouvernementales (ONG). Il est vrai que le blocage auquel nous assistons du fait d'une délibération prise par le Conseil de sécurité qui empêche maintenant, sur proposition de la Russie, d'entrer dans la zone nord-est par l'Irak, va limiter nos capacités d'action même si nous avons décidé de consacrer le même effort en 2020 qu'en 2019 à l'ensemble de ces populations. La situation humanitaire dans les camps est en effet de plus en plus préoccupante, et la pression monte dans les camps de Roj et Al-Hol qui comptent plusieurs milliers de réfugiés.

Madame Lenne, je crois que nous ne nous sommes pas bien compris. Vous avez évoqué l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme dont j'ai posé à Abidjan la première pierre à la fin de l'année 2017. Il s'agit d'un lieu de formation de cadres, de militaires, de hauts fonctionnaires, de magistrats, destiné à les initier dans le domaine du renseignement et dans la manière de prévenir et d'endiguer la menace. Cette académie ne concerne pas les seules autorités de la Côte d'Ivoire mais l'ensemble des Africains qui veulent bien suivre cette formation sécuritaire. C'est un outil à vocation régionale.

Le développement de l'éducation et de la formation dans ces pays est un tout autre élément. J'ai dit qu'il fallait faire un effort considérable pour rétablir la présence des États dans les zones aujourd'hui investies par les groupes terroristes : il faut savoir que le nombre d'écoles fermées dans les pays du Sahel se compte par centaines. Des générations entières ne vont plus à l'école. Le renouveau de la présence de l'État dans le nord du Burkina Faso, par exemple, ou dans la région de Tillabéri au Niger, permet la réouverture d'une école. L'effort de l'Alliance pour le Sahel sera particulièrement orienté dans cette direction, car voir les enfants, et singulièrement les jeunes filles, retourner à l'école est le signe de la restabilisation. En tapant sur les écoles, les groupes terroristes cherchent à empêcher la formation et l'éducation.

Madame Le Peih, vous m'interrogez sur Mme Adelkhah et M. Marchal, nos deux ressortissants détenus en Iran. Nous avons alerté les plus hautes autorités sur le caractère inacceptable de leur détention et nous appelons à la libération sans délai de nos deux compatriotes. Le Président de la République lui-même a appelé le président Rohani pour lui faire part de notre irritation et lui faire savoir que c'était un élément de très fortes perturbations dans nos relations. Nous souhaitons la libération le plus rapidement possible de nos deux compatriotes.

Monsieur Lejeune, Takuba est un ensemble de forces spéciales qui seront liées à l'opération Barkhane. Il trouvera sa place dans une des décisions importantes qui a été prise avant-hier et que nous souhaitions depuis longtemps : un commandement commun entre l'opération Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel pour permettre une plus grande rapidité de décisions et une plus grande synergie, en particulier une plus grande réactivité pour agir en cas d'alerte. Plusieurs pays européens ont annoncé leur participation : les Tchèques, les Danois, les Portugais et les Belges. Cette démarche très positive en cours d'instauration complétera le tournant qui a été pris avant-hier soir. Je le redis ici, notre conversation ayant été quelque peu focalisée sur l'Iran, il est indispensable que ce tournant soit opéré le mieux possible, parce que c'est crucial pour la présence de la France et sa sécurité. Nous serons pleinement mobilisés pour que ce soit efficace.

Monsieur Mbaye, vous m'interrogez sur la MINUSMA. J'ai évoqué la stratégie des quatre piliers dans laquelle peuvent s'inscrire tous les partenaires. Les Nations unies seront directement concernées par trois piliers au moins – leur mandat ne comporte pas de mission antiterroriste. Le mandat actuel de la force de la MINUSMA nous paraît suffisamment robuste, s'il est réellement mis en oeuvre, pour contribuer à stabiliser le pays. Les blocages au Conseil de sécurité sur le chapitre VII de la Charte ne proviennent ni de la Chine ni de la Russie, mais des États-Unis d'Amérique. Nous essayons de les convaincre de rester présents dans cette bataille contre le terrorisme, parce que nous sommes confrontés à une véritable internationale de la terreur. Il faut combattre le terrorisme au Sahel mais aussi en Libye et en Irak. Je pense que nous réussirons à les convaincre de demeurer dans le dispositif.

Monsieur Dupont-Aignan, s'agissant de la Libye, l'embargo sur les armes doit être respecté. Nous avons fait inscrire cela dans le relevé de décisions qui devrait intervenir dimanche à Berlin comme un engagement de l'ensemble des parties. Mais il est bien évident que l'accord entre le gouvernement d'entente nationale libyen, décidé à la suite d'une résolution des Nations unies, et le gouvernement turc contredit l'embargo. Il y a donc là une contradiction importante qui, je l'espère, sera levée lors de la réunion de Berlin.

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