Intervention de Frédéric Reiss

Séance en hémicycle du mardi 21 janvier 2020 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

Lutter contre les contenus haineux sur internet doit être un objectif partagé au sein de toute démocratie qui se respecte. La France a pris ce problème à bras-le-corps avec cette proposition de loi présentée par Laetitia Avia. Le puissant PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, avait d'ailleurs déclaré que les gouvernements doivent assurer un rôle plus actif pour mettre à jour les règles afin de préserver le meilleur d'internet, notamment la liberté d'expression, tout en protégeant la société contre des maux tels que les discours haineux.

Le sujet est éminemment sensible, et c'est pourquoi je regrette que le Gouvernement ait activé la procédure accélérée pour un texte qui méritait sans doute une deuxième lecture à l'Assemblée nationale, ainsi qu'au Sénat. La CMP aurait pu, dans ce cas, être conclusive et donner une force nouvelle à cette proposition de loi. Il est évident que la CMP du 8 janvier dernier était vouée à l'échec, tant les positions des uns et des autres, qui pourtant s'étaient rapprochées, étaient inconciliables.

Nous, Français, ne sommes pas seuls à essayer de trouver des solutions à ce mal qui gangrène nos sociétés : sous couvert de liberté d'expression – une valeur cardinale au pays des droits de l'homme – , des internautes se servent des réseaux sociaux et des plateformes en ligne pour véhiculer des propos inacceptables. Nous sommes tous d'accord pour dire que, face à ces dérives haineuses et ces harcèlements, nous ne pouvons rester indifférents. Il faut agir mais, en même temps, pour être efficaces, nous concerter avec nos partenaires européens – et c'est là que le bât blesse !

Après l'adoption de ce texte en première lecture par notre assemblée, une demande d'information complémentaire a été adressée par la Commission européenne aux autorités françaises. À la suite des réponses apportées par ces dernières, la Commission s'est exprimée dans une notification du 22 novembre dernier, dont la teneur a incontestablement pesé sur les débats du Sénat. La Commission a ainsi relevé un certain nombre de difficultés liées à la directive sur le commerce électronique. Ce qui pose problème est le principe du pays d'origine. Les mesures de cette proposition de loi s'appliqueraient en effet aux plateformes en ligne atteignant un seuil de connexions depuis le territoire français, qu'elles soient établies en France ou non. Cela constituerait une restriction à la prestation transfrontalière des services de la société de l'information, même si la protection des droits fondamentaux, en particulier de la dignité humaine, est en jeu.

De même, la prise de connaissance avérée des fournisseurs de services d'hébergement comme condition à leur responsabilité ou l'obligation d'agir dans un délai fixé posent problème. Agir promptement, oui, mais le délai fixé doit être proportionné et raisonnable au regard du contenu illicite concerné.

Nous sommes dans un domaine où la législation européenne est indispensable. La présidente von der Leyen veut actualiser la responsabilité d'autres règles applicables aux fournisseurs de services intermédiaires en ligne. Ce sera une manière de répondre clairement avec une réglementation harmonisée pour une protection de tous les citoyens européens.

L'adoption imminente de propositions européennes pour lutter contre les contenus haineux et illégaux en ligne pose la question de l'applicabilité de cette proposition de loi française. Si les propositions françaises permettent à l'Europe d'avancer, c'est tant mieux, mais vouloir imposer aux États membres des mesures non conformes aux spécificités de la législation européenne, actuelle ou future, sur les services du numérique n'est pas très raisonnable.

En première lecture, l'Assemblée nationale a tenu compte des observations du Conseil d'État, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État. Pour cette nouvelle lecture, après les travaux du Sénat, il me paraissait nécessaire de nous inscrire dans une approche européenne cohérente avec les plateformes de l'internet. C'est pourquoi le groupe Les Républicains est beaucoup plus réticent qu'en première lecture à l'adoption de ce texte.

Pour l'article 1er, les risques de surcensure sont réels, en raison d'un délit pénal, mais la problématique de la régulation des contenus sur internet doit aussi répondre à des enjeux d'indépendance et de souveraineté numérique. Aussi, à titre personnel, suis-je favorable à la réécriture de cet article 1er proposée par notre rapporteure, la rédaction du Sénat ne me semblant pas satisfaisante non plus.

Il faudra aussi évoquer le rôle du CSA : nous aurons l'occasion de le faire dans la discussion des articles.

Pour terminer, je regrette que n'ait pas trouvé sa place dans cette proposition de loi la discussion que, sous l'impulsion de M. Balanant – qui n'est plus dans l'hémicycle – nous avions eue en commission des lois à propos du volet de prévention qui doit être mis en oeuvre dans les établissements scolaires pour lutter contre les propos haineux sur internet. Je conviens qu'il ne s'agissait pas là de l'objectif initial de cette proposition de loi, mais c'est un aspect important de la question.

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